N. ROUVIERE : ASTERIX OU LA PARODIE DES IDENTITES - FLAMMARION - 2007

ASTERIX OU LA PARODIE DES IDENTITES

N. ROUVIERE

FLAMMARION - 2007

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http://www.liens-socio.org/article.php3?id_article=3342&var_recherche=rogel

 

Il existe déjà de nombreux travaux sur le « phénomène Astérix » mais ceux-ci essaient en général de montrer comment Astérix s'est inséré dans la France des années 60 et a participé à une certain revivification du sentiment national. Dans cet ouvrage, le propos de Nicolas Rouvière est autre : il se propose d'analyser la façon dont les identités collectives sont représentées dans les aventures d'Astérix ainsi que les sources de ces représentations. Il faut d'abord rappeler que cette « nouvelle figure nationale » qu'est Astérix fut le fait d'un fils d'immigrés italiens, Uderzo, et de Goscinny, fils d'immigrés juifs d'Europe de l'Est ayant passé son enfance en Argentine ; et, selon ce dernier, l'éloignement de la France explique sa sensibilité particulière aux spécificités françaises. Tout Astérix repose sur un jeu sur la représentation des identités collectives, nationales mais également sociales. Le jeu parodique organisé par Uderzo et Goscinny repose sur la conjonction d'une ironie sur le monde contemporain et d'une utilisation de l'imagerie gauloise directement issue des manuels scolaires de la troisième république.Rouvière commence par rappeler que, dans Astérix, la Gaule est assimilée à une France éternelle (la carte de la page d'ouverture, le tour de Gaule d'Astérix,...) et signale que la situation (due au hasard) du village d'Astérix en Bretagne renvoie à une ancienne filiation , fixée au 19ème siècle, entre les Celtes et les Gaulois. Mais le jeu de l'identité porte aussi sur le traitement qui est fait des envahisseurs romains, à la fois « destructeurs » de la civilisation gauloise et à la base de la rénovation « gallo-romaine » ; ce traitement situe donc les aventures d'Astérix dans la lignée de la confrontation issue du 19ème siècle entre « celtomanes » et « romanistes ». Cependant la représentation qui est faite des barbares, Goths et normands, représentation fidèle à l'imagerie du 19ème siècle, permet de réconcilier ces deux courants opposés en créant une communauté d'intérêts entre gaulois et romains. Les personnages essentiels de la bande dessinée correspondent aussi à ce jeu entre l'imagerie du 19ème siècle et la critique contemporaine : Panoramix le druide, par exemple, ne correspondant pas vraiment à l'image du gardien du sacré mais ressemble à un « prêtre laïcisé », simple détenteur de recettes, ou à un instituteur. Assurancetourix, lui, est plus proche de l'artiste incompris et rêvant d'être l'idole des jeunes que du barde solitaire fréquent dans l'imagerie du 19ème siècle.Pour construire cette parodie des identités, Goscinny et Uderzo utilisent deux procédés opposés, le contre-pied des stéréotypes et leur exagération. Exemple de contre-pied, Astérix constitue une représentation inversée du grand guerrier blond du 19ème siècle ; de même, Abraracourcix est un chef un peu ridicule et maltraité par ses porteurs et par sa femme,... César, quant à lui, bénéficie d'un traitement ambigu puisqu'il est à la fois un vainqueur un peu ridicule face à un Vercingétorix vaincu mais dominateur, et un adversaire respecté par Astérix et le village gaulois. La pratique de l'exagération, quant à elle, se retrouvera dans la description des particularismes régionaux (Lutèce, Marseille, la Corse,...) ou nationaux (Hélvétie, Hispanie,...) et, bien sûr, français (avec des références à la gauloiserie, au plaisir de la bonne chère,...). La parodie des identités passe ainsi par les caractéristiques géographiques (Belgique plate,...), des stéréotypes nationaux (le goût de l'intimité chez les britanniques, de la propreté chez les helvètes, ;..) et des stéréotypes sociaux (les britanniques assimilés à la haute bourgeoisie, les hispaniques aux paysans,...).La langue occupe une place centrale dans ce jeu parodique : l'inversion de l'adjectif chez les Bretons, par exemple, mais aussi des terminaisons des noms propres (en « ix » pour les gaulois, « us » pour les romains ; « af » pour les normands,...). En un temps, certains ont pu penser que ces pratiques humoristiques relevaient de la stigmatisation et du cliché xénophobe. En réalité, les auteurs se moquent de la tendance à l'ethnocentrisme, en montrant que c'est une particularité partagée par tous les peuples du monde (« Ils sont fous ces romains »). Finalement, pour Nicolas Rouvière, le groupe central représenté par Goscinny et Uderzo n'est pas la communauté ethnique fermée mais la « cour de récréation » (le village gaulois est une immense cour de récréation à l'image de celle du « petit Nicolas »), cour de récréation qui est le lieu de socialisation inventé par la IIIème République ; on retrouve à nouveau ce jeu entre la critique contemporaine et l'imagerie du 19ème siècle. L'auteur en conclut que Goscinny et Uderzo mettent en lumière une identité collective qui est avant tout culturelle et ouverte, bien éloignée d'une identité ethnique et close.

Voilà un ouvrage bien entendu plaisant à lire (ne serait ce que par les souvenirs qu'il fait surgir) mais parfois un peu décevant dans son traitement et qui, surtout, ne marque pas suffisamment la différence entre l'avant et l'après Goscinny, un après Goscinny ou la parodie des identités se fait moins mordante et moins subtile.

 

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