TROIS CONCEPTS EN PSYCHOLOGIE UTILISABLES EN SCIENCES ECONOMIQUES ET SOCIALES.

NORME D'INTERNALITE, CROYANCE EN UN MONDE JUSTE, DISSONANCE COGNITIVE :

TROIS CONCEPTS EN PSYCHOLOGIE UTILISABLES EN SCIENCES ECONOMIQUES ET SOCIALES.

INTRODUCTION
A priori, les enseignants de S.E.S. enseignent des disciplines appartenant aux sciences sociales (économie, sociologie, sciences politiques entre autres) et n'ont pas à s'emparer, en plus de toutes ces disciplines, de la psychologie en tant que discipline scientifique.
Pourtant celle-ci est intimement liée à celles là : Pareto lui-même estimait que l'économie était une branche de la psychologie mais on usa, à sa suite, d'une « psychologie de convention », celle de l'homo-oeconomicus. Depuis, l'économie expérimentale a pleinement intégré les procédures des psychologues dans la recherche économique. Du côté des sociologues, le lien existe depuis plus longtemps via la psychologie sociale qui est intégré par l'une et l'autre discipline : Milgram, Moreno, Lewin sont bien connus des sociologues et les notions, par exemple, de « polarisation des décisions collectives » font partie du corpus des sociologues.
On voit donc qu'il n'est pas absurde que les SES intègrent quelques concepts issus de la psychologie, les seuls impératifs étant qu'ils permettent d'éclairer diverses situations sociales quotidiennes et qu'ils soient accessibles aux élèves.

I) LES THEORIES DE L'ATTRIBUTION.
A) PRINCIPE.
Depuis Heider, les « théories de l'attribution » occupent une place essentielle dans les travaux des psychologues et des psychosociologues. Il s'agit pour ces chercheurs de comprendre comment les individus expliquent ce qu'ils font ou ce qui leur arrive. A partir de questionnaires ou d'expérimentations, ils en sont arrivés à classer les explications en deux grandes catégories : les explications internes et les explications externes (les premières trouvant leur source dans l'individu, les secondes dans son environnement), ces explications étant elles mêmes divisée en deux sous catégories - causes stables et causes instables
Ainsi, si un lycéen rate son oral de sciences économiques et sociales, il pourra donner des explications de type interne :
- « J'ai raté parce que je n'ai pas assez travaillé » : il s'agit d'une explication interne et d'une cause instable dans la mesure où l'élève peut estimer qu'il pourra travailler mieux la prochaine fois.
- « J'ai raté parceque je n'ai pas assez de capacités » : explication interne et stable puisque l'élève peut estimer que même en faisant plus d'efforts, il ne pourra pas y arriver.
Mais il peut aussi attribuer son échec à des causes externes :
- « Je n'ai pas eu de chance » ou « le sujet était hors programme » : causes externes et instables.
- « Les profs ne m'aiment pas » : cause externe et stable.

Globalement, on peut dire classer les attributions selon le tableau ci-dessous.

 

     CAUSES STABLES

     CAUSES INSTABLES

   EXPLICATIONS   INTERNES

  Personnalité, capacités

  Efforts, volonté, intention

   EXPLICATIONS  EXTERNES

  Conditions de l’action (sociales, environnementales,…)

  Hasard, chance

     
     
     

Certes, certaines explications peuvent relever à la fois de l'internalité et de l'externalité mais cette dichotomie est globalement opérante.

B) LES DOMAINES D'APPLICATION.
Les psychologues vont rechercher ces attributions dans trois domaines :
- Le domaine de l'action : ce que l'on fait ; comment explique-t-on si on a réussi ou échoué ?
- Le domaine des « renforcements » : ce qui arrive à l'individu. Ce qu'il lui arrive est il du à lui-même ou à des éléments extérieurs ?
- Le domaine du « contrôle des évènements » (« Locus of control ») : l'individu a-t-il le sentiment d'être en mesure de contrôler les évènements ?
Pour faire apparaître ces attributions, les psychologues vont se servir de questionnaires ou bien mettre les individus dans des situations fictives et leur demander comment ils réagiraient, ou comment d'autres réagiraient, dans ces conditions.

II) L'ERREUR FONDAMENTALE D'ATTRIBUTION.
A) UNE TENDANCE MAJEURE...
Le premier enseignement qu'en ont tiré les psychologues est ce qu'ils appellent « l'erreur fondamentale d'attribution », c'est-à-dire le fait que les personnes interrogées privilégient très largement les explications de type interne aux explications externes.
Il est par exemple notable que face à la célèbre expérience de Milgram, la majorité des individus aient du mal à expliquer les comportements par la situation d'expérimentation ; on préfèrera des explications « personnologiques » (liées à la personnalité ) : « il, elle, est sadique, lâche... »

Ces constats concernent avant tout les domaines de l'action et des renforcements mais il faut rajouter à cela, concernant le « locus of control » le fait que les individus ont souvent, implicitement, le sentiment de pouvoir contrôler les évènements. Cela relève beaucoup moins du constat commun que les données précédentes mais il suffit de rappeler une petite expérience significative et facile à reproduire : quand on demande à quelqu'un de lancer des dés, il aura tendance à les jeter doucement quand on lui demande de faire un petit nombre et fortement quand on lui demande de faire un grand nombre .
On voit donc que dans les trois domaines (action, renforcement, contrôle), les explications de type interne sont largement préférées aux explications externes, à tel point qu'on peut parler de « norme d'internalité ».

B) ...QUI CONNAIT UN CERTAIN NOMBRE D'EXCEPTIONS.
Mais il existe des nuances et des exceptions à cette tendance :
La première nuance est ce qu'on appelle le « paradoxe de l'observateur » : un individu expliquera le comportement d'autrui par des causes internes mais on préfèrera avoir recours à des explications de type externe quand il s'agit d'expliquer son propre comportement (probablement parce que, d'un point de vue cognitif, on a plus facilement accès à des données externes quand il s'agit de soi même).
L'attribution causale sera également influencée par les préjugés en cours : ainsi, dans une expérience de 1976, on monte à des étudiants une altercation entre un blanc et un noir. Quand l'agressivité est le fait du blanc, celle-ci est mise sur le compte de facteurs dispositionnels, quand elle est le fait du noir, on a plus facilement recours à des explications internes.
De même, dans une autre expérience, on demande à des étudiants des deux sexes d'évaluer la même performance réalisée par un homme et par une femme dans une tâche clairement « féminine » ou clairement « masculine » et on demande de donner une explication à la performance. Lorsqu'un homme réussit dans une tâche spécifiquement féminine on l'attribue à sa compétence mais lorsque c'est une femme qui réussit une activité masculine, on l'attribue à la chance (cause externe).

Enfin, il existe une exception notable (relevant d'ailleurs du sens commun) selon laquelle on a tendance à expliquer nos réussites par des causes internes et nos échecs par des causes externes (« Biais d'autocomplaisance »).

III) UNE « ERREUR » SOCIALEMENT DETERMINEE.
A) LES GROUPES LES ¨PLUS PROPICES AUX « ERREURS D'ATTRIBUTION ».

Il apparaît cependant que ce recours aux explications internes n'apparaît pas avec la même fréquence dans tous les cas.
- Si on se réfère à l'âge de la personne interrogée, il semble que les explications internes soient privilégiées à mesure que l'enfant grandit avec, cependant, une chute notable du recours aux explications internes à l'entrée en sixième puis une remontée par la suite.

- Il apparaît également de nettes différences selon les groupes ethniques ou culturels. Aux USA, les anglo-américains ont plus souvent recours à ce type d'explications que les indiens ou les sino-américains. On peut lier ce constat à des variables culturelles, comme le fait que les sociétés individualistes ont plus facilement recours aux explications personnologiques que les sociétés holistes.

- Cependant, des recherches plus poussées montrent que ces différences culturelles recouvrent en fait des différences sociales, les catégories favorisées utilisant plus facilement les explications internes que les autres.

B) LE BIAIS D'AUTOCOMPLAISANCE N'EST PAS UNIVERSEL.
Le « biais d'autocomplaisance » semble s'étendre aux groupes. On attribuera plus facilement la réussite d'un membre du groupe (« endogroupe ») à ses capacités personnelles et la réussite d'un membre d'un autre groupe (« exogroupe ») à des conditions externes.
Il existe cependant une exception notable qui est celle des groupes dominés et stigmatisés qui attribueront leurs échecs à des causes internes. Selon Croizier et Leyens, les individus stigmatisés ont tendance à minimiser le rôle de la discrimination dans leurs échecs car çà leur permet de maintenir une image positive d'eux-mêmes, cela leur donne le sentiment qu'ils peuvent contrôler leur situation et, surtout, le fait d'attribuer leurs problèmes à des causes extérieures les ferait passer pour plaintifs et serait socialement extrêmement coûteux. Cela permet également de comprendre une énigme qui a été soulevée par les sociologues travaillant sur la stigmatisation : une personne handicapée, par exemple, à la suite d'un accident tend à se sentir plus coupable que victime : habituellement, une faute dévoilée publiquement engendre la honte, la culpabilité et enfin le châtiment. Dans le cas du handicap il semblerait que cet enchaînement s'inverse ; c'est l'invalidité, prenant la place du châtiment, qui entraîne le sentiment de honte, puis la culpabilité et le sentiment d'être un criminel. Cette inversion peut s'expliquer aisément si on retient l'importance de la norme d'internalité.

IV) EXPLICATIONS SOCIOLOGIQUES OU COGNITIVES ?
A) L'ERREUR FONDAMENTALE : EXPLICATIONS.
La première explication au recours dominant aux explications internes est d'ordre cognitif. Il est simplement plus facile d'avoir recours à des explications en termes de dispositions ou de volonté personnelle que mobiliser des données contextuelles.
De plus, les explications internes sont, dans nos sociétés, « socialement désirables », ce qui va de pair avec une société où l'individu est considéré comme étant au centre de l'action et du changement et, donc, avec l'idéologie individualiste.
Une expérience illustre clairement cet aspect désirable des explications internes : on demande à des personnes de porter un jugement sur des réponses à un questionnaire. Ces réponses ont été fabriquées par les psychologues et correspondent à quatre profils marqués. Dans un cas, toutes les réponses correspondent à des explications internes (profil « interne »), dans un autre elles sont toutes externes (profil « externe »), dans un troisième les échecs sont expliqués par des causes externes et les réussites par des causes internes (profil « complaisant ») et dans un dernier cas, les réussites sont expliquées de manière externe et les échecs de manière interne (profil « modeste »). Il apparaît que les individus jugent le plus positivement les profils « interne pur » et le moins positivement les profils « externe », les profils « modeste » et « complaisant » occupant une place intermédiaire (Dubois - 1994) ; il convient cependant de remarquer qu'une personne expliquant tout par des causes externes sera moins valorisée qu'une personne « complaisante » n'expliquant ses échecs que par des causes externes.

- L'Ecole joue un rôle essentiel dans l'intériorisation de la norme d'internalité. On pourrait a priori penser que c'est parce qu'elle transmet une idéologie dominante mais certains psychologues préfèrent une autre explication tenant à son rôle d'évaluation. L'Ecole a pour fonction, parmi d'autres, d'évaluer la réussite des élèves (capacités, performances, travail,...) et elle ne peut le faire que sur la base de données propres à l'élève donc sur les explications internes. Et l'élève le sait bien quand il fait reposer ses possibilités de progrès sur des causes internes (« Je vais me mettre à travailler » et non « le programme sera plus intéressant l'année prochaine donc je réussirai mieux »). Cet effet n'est cependant pas linéaire, la baisse des explications internes par les élèves de sixième pouvant peut être s'expliquer par le fait qu'ayant plusieurs enseignants, et non un seul, leur environnement prend un poids plus important dans l'explication de leur réussite.
Il apparaît donc que le recours aux explications internes est fortement lié aux pratiques évaluatives or celles-ci sont de plus en plus nombreuses dans les sociétés contemporaines.

- Le fait que les explications internes soient plus fréquentes dans les CSP élevées peut s'expliquer par la volonté de justifier sa propre position (on est là dans une extension du « biais d'autocomplaisance »).

B) « BIAIS D'AUTOCOMPLAISANCE » : EXPLICATIONS.
- Spontanément, on est amené à penser que le biais d'autocomplaisance a une fonction de sauvegarde de l'image de soi en évitant de nous attribuer nos propres échecs.

- Mais, après analyse, une explication d'ordre cognitif semble plus probante : en général, quand on entreprend une action, on s'attend à ce qu'elle réussisse et on met en œuvre les moyens nécessaires pour cela ; on ira donc spontanément chercher les causes d'un échec dans l'environnement.

V) LA CROYANCE EN UN MONDE JUSTE.
A) PRINCIPE.
Il s'agit d'une croyance régulièrement repérée par les psychosociologues. Selon Lerner, nous vivons avec la croyance implicite selon laquelle ce qui nous arrive, et ce qui arrive aux autres, est dû à de « bonnes raisons » et est dû pour l'essentiel à nos qualités et à nos efforts (ou à nos défauts et à notre manque d'efforts). Les travaux expérimentaux de Lerner montrent que si les individus perçoivent une injustice, ils tenteront de rétablir la justice et, s'ils n'y arrivent pas, ils réinterpréteront les caractéristiques et les comportements de la victime de façon à en conclure que, finalement, la personne est responsable de son sort. On retrouvera cette idée dans les proverbes tels que « Qui sème le vent récolte la tempête », « On n'a que ce qu'on mérite ». Cette croyance en un « monde juste » remplit un certain nombre de fonctions essentielles : justifier l'état d'une situation, bien sûr, mais aussi rendre l'avenir contrôlable ; si les évènements sont dus à ce qu'on fait alors cela peut valoir la peine de faire d'efforts. De plus, faire le bien permet alors de faire pencher le sort en sa faveur.

B) UNE EXTENSION DE LA « DISSONANCE COGNITIVE ».
La « croyance en un monde juste » apparaît comme une forme particulière de « réduction de la dissonance cognitive ». Il y a « dissonance cognitive » quand un individu est confronté à deux phénomènes qui lui apparaissent contradictoires . Dans ce cas, il tentera de réduire cette dissonance cognitive par son comportement ou bien en réinterprétant la situation de façon à ce que les deux éléments n'apparaissent plus comme contradictoires. Ainsi, quand un élève qui pense bien se comporter en cours se fait disputer par un enseignant qu'il apprécie, il est en état de « dissonance cognitive » : puisqu'il se comporte bien, le professeur ne devrait pas le disputer. Dans ce cas, il peut prendre conscience de son comportement réel et le modifier ou bien il peut considérer que le professeur a fait une erreur, ou est agacé par son nouveau « look » ou, tout simplement, il cesse d'être un bon professeur et il apparaît logique, aux yeux de l'élève, qu'un mauvais professeur soit injuste.

L'expérience de HARVEY. Dans « les illusions libérales », J.L. Beauvois nous raconte une expérience particulièrement impressionnante qui allie les expériences classiques de coopération à une variante de l'expérience de Milgram. Dans un premier temps, le cobaye est amené à coopérer dans diverses tâches avec un compère de l'expérimentateur puis on lui demande d'évaluer ce compère à partir d'un questionnaire. Dans un deuxième temps, on le fait participer à une expérience du type Milgram (« Soumission à l'autorité » dans laquelle il doit faire souffrir le compère (du moins le croit-il) puis on lui demande d'apprécier à nouveau le compère à l'aide d'un questionnaire. Il s'avère qu'entre les deux questionnaires l'appréciation que le cobaye fait du compère est devenue beaucoup plus négative comme s'il fallait accorder l'appréciation que l'on porte sur quelqu'un au fait qu'on la fait souffrir.

VI) NORME D'INTERNALITE ET SCIENCES ECONOMIQUES ET SOCIALES.
A) INTERNALITE ET IDEOLOGIE.

Si on couple la « norme d'internalité» avec la « croyance en un monde juste », alors on peut dire que s'il vous arrive un malheur, c'est probablement mérité (« Croyance en un monde juste ») et que ce malheur s'explique par des causes internes (« Internalité ») ; en termes plus directs : « Vous l'avez bien cherché » en termes plus élaborés : « Les pauvres sont responsables de leur propre malheur ».
On peut ainsi expliquer diverses positions idéologiques en termes psycho-sociaux :
- Les fameuses thèses sur la « culture d'assistance » s'y prêtent aisément : dans ce type de discours, la pauvreté est due au manque d'efforts ou au manque de compétence des pauvres (« norme d'internalité »). Donc, les mécanismes de marché font que les « bons » et les compétents sont récompensés et s'enrichissent alors que les « mauvais » et les paresseux sont punis (« Croyance en un monde juste »). Ne pas aider les pauvres, ce serait alors les inciter à « faire des efforts ».

- On pourrait analyser la thèse du « chômage volontaire » dans les mêmes termes.

- De manière plus générale, J.L. Beauvois estime que la norme d'internalité couplée à la croyance en un monde juste » aboutit à ce que les dominés intègrent et légitiment cette domination (il faut alors se rappeler que nombre d'expérimentations ont montré que les groupes stigmatisés expliquent leurs échecs par des causes internes).

- A l'inverse, la richesse est alors justifiée par ses capacités propres (internalité) et sa capacité à contrôler les événements (« locus of control »), tendances qui fonctionneront « à plein » dans le cas des bulles financières et illustrent pleinement les propos rapportés par Galbraith sur le lien que font les individus entre réussite financière et intelligence.

- On peut même se demander si l'analyse néoclassique du marché fondée sur le comportement rationnel des agents (« norme d'internalité ») et l'équilibre du marché (« croyance en un monde juste ») ne relève pas entièrement de ce paradigme.

On voit que ce qui fait la force de ces propos n'est pas seulement qu'ils reposent sur des analyses scientifiques ou sur des présupposés culturels ou idéologiques (malthusianisme, idéologie individualiste) mais aussi sur des impératifs cognitifs et psychosociologiques.

B) L'ETHIQUE PROTESTANTE DANS LA TRAME PSYCHOSOCIALE.
On sait que Max Weber a cherché à montrer que le protestantisme du 19ème siècle était corrélé à l'essor du capitalisme dans la mesure où il permettait de lever les obstacles constitués par le catholicisme ; en effet, il est difficile, dans ce dernier cas, de concilier la référence à la pauvreté et l'accumulation nécessaire du capitalisme ; le protestantisme, en revanche, ne rejette pas l'enrichissement si celui-ci correspond à la valorisation de la « vocation » qui nous a été donnée par Dieu. On voit, par ce rappel trop rapide, que la « vocation », relève de la causalité externe puisque transmise par Dieu, mais il est de la responsabilité du croyant de savoir valoriser ou non ce que Dieu lui a confié («internalité »)
Le résultat de l'action du croyant permet donc d'embellir le monde que dieu nous a confié (« croyance dans le monde juste »). Enfin, il apparaît clairement que le protestantisme permet de réduire une « dissonance cognitive » issue de la confrontation du catholicisme et du capitalisme.

V) UN ENVIRONNEMENT POURTANT DE MOINS EN MOINS PROPICE A LA NORME D'INTERNALITE.
Nous sommes, depuis trente ans, dans une période de crise marquée par un accroissement des contraintes qui pèsent sur les individus. On pourrait alors s'attendre à ce que cette norme d'internalité perde de sa force. Qu'en a-t-il été ?
Pour cela, nous disposons de quelques éléments pour juger de la façon dont l'exclusion et la pauvreté sont et ont été perçues.
Depuis 1976, nous avons à notre disposition un certain nombre d'enquêtes sur la perception des causes de la pauvreté dans les grands pays européens. On demande aux enquêtés de répondre à la question suivante : « Pourquoi y a-t-il, a votre avis, des gens qui vivent dans le besoin ? » et les réponses proposées sont : 1. C'est parce qu'ils n'ont pas eu de chance ; 2. C'est par paresse ou mauvaise volonté ; 3. C'est parce qu'il y a beaucoup d'injustice dans notre société ; 4. C'est inévitable dans le monde moderne ; 5. Aucune de ces formules.
Serge Paugam sépare les réponses en « causes individuelles » et « causes sociales » et il va se polariser sur les réponses mettant en avant la paresse et celle mettant en avant l'injustice. Il constate que le nombre de répondants mettant la paresse en avant diffère d'un pays à l'autre de manière stable sans qu'on puisse inférer un seul facteur causal (comme l'importance de la protection sociale,...) mais il ne fait aucun doute que les facteurs structurels sont à prendre en compte. Le facteur conjoncturel a aussi un effet propre : quel que soit le pays, un chômage élevé et une augmentation du chômage durant les quatre dernières années font baisser les explications par la paresse. De même, Dans le « rapport 2003-2004 de l'observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion », les auteurs constatent, en s'appuyant sur les enquêtes barométriques de l'IFOP, que l'opinion selon laquelle la pauvreté s'explique par « le refus de travailler » passe de 47% des répondants en 2000 à 56% en 2002, cette opinion augmentant avec l'âge et étant d'autant plus forte que le répondant est éloigné des situations de précarité. (Enquête Credoc pour la Cnaf)
On voit donc que la perception des causes du chômage est corrélée à des facteurs institutionnels et à des facteurs culturels (dont on ne peut pas ignorer l'importance) mais on ne peut ignorer que les données conjoncturelles ont un effet certain sur la perception de la pauvreté et sur la norme d'internalité.

Pourtant, trente ans de chômage massif n'ont pas suffi à réduire significativement celle-ci alors qu'avec l'augmentation des fluctuations cycliques (des années 1980 aux années 2000), la réussite va dépendre de plus en plus de l'entrée au bon moment sur le marché du travail ou sur le marché du logement. Le poids du hasard va dès lors s'accroitre sur ces deux décennies. Comment alors expliquer la persistance des explications en termes de capacités personnelles?
Peut-être est ce lié à la contestation de l'Etat et au retour des idées et théories en termes d'action individuelle (liberté des marché, individualisme méthodologique, retour du sujet,...) mais quelle est la structure de causalité sous jacent à cette corrélation ?
Peut-être aussi peut-on retenir l'idée que la norme d'internalité aura d'autant plus de poids qu'elle offre des réponses cognitivement peu coûteuses dans un environnement de plus en plus complexe.

La crise actuelle se traduit également par un mouvement de subjectivation, tendance particulièrement claire dans le domaine de la spéculation financière. Alors qu'auparavant, les cours apparaissaient comme corrélés à des données « objectives », c'est-à-dire extérieures à l'individu (croissance de l'entreprise, dividendes,...), avec l'essor de la spéculation, les cours dépendent de plus en plus des anticipations sur le comportement d'autrui : c'est parcequ'ego pense qu'alter achètera tel titre et fera monter les cours, qu'il l'achète et participe à la hausse des cours selon un phénomène bien connu de « prédiction créatrice ». D'un mécanisme apparemment « objectif », on passe à une situation d'intersubjectivité ; or, Galbraith nous rappelle ce fait essentiel qu'au lieu de voir dans la hausse des cours le résultat de cette intersubjectivité, les individus tendent à y voir le résultat de leur talent particulier et expliquent la plus-value faite par leur intelligence particulière en économie et la justesse de leurs stratégies (on retrouve une explication « personnologique » et le sentiment de « contrôle de la situation »).

BIBLIOGRAPHIE.
PSYCHOLOGIE SOCIALE
- J.L. BEAUVOIS : « La psychologie quotidienne » - PUF - 1984.
- J.L. BEAUVOIS, JOULE : « Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens » - PUG - 2002.
- J.L. BEAUVOIS : « Les illusions libérales, individualisme et pouvoir social » - PUG - 2005.
- BLANCHET, TROGNON : « La psychologie des groupes » -Nathan 128 -
- CAZALS-FERRE, ROSSI : « Eléments de psychologie sociale » - Armand Colin - 2002.
- DOISE, MUGNY, DESCHAMPS : « La psychologie sociale expérimentale » - Armand Colin - 1978.
- N. DUBOIS : « Norme d'internalité et libéralisme » - PUG - 1994.
- G.N. FISCHER : « La psychologie sociale » - Points Seuil - 1997.
- GUIMELLI : « La pensée sociale » - PUF - 1999.
- LEYENS, CROIZIER : « Mauvaises réputations » - Armand Colin - 2003.

AUTRES DISCIPLINES
- GALBRAITH : « Brève histoire de l'euphorie financière » -
- V. PARETO : « Traité de sociologie générale »
- S. PAUGAM et MARION SELZ : « La perception de la pauvreté en Europe depuis le milieu des années 1970 - Analyse des variations structurelles et conjoncturelles » - ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 383-384-385, 2005 http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/es383-384-385m.pdf
- M. WEBER : « L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme » -

 

 

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