A PROPOS DE LA "PHILOSOPHIE DE L'ARGENT" DE GEORG SIMMEL
"A PROPOS DE LA PHILOSOPHIE DE L'ARGENT".
(L' Harmattan - 1993).
CHAPITRE I : La méthode historique (J.Y. Grenier).
Simmel aborde trois problèmes dans "la philosophie de l'argent" et dans "les problèmes de la philo de l'histoire":
- Réflexion sur les rapports entre la philo et la réflexion historique.
- Caractère particulier de la connaissance historique.
- Penser simultanément les sciences humaines et la théorie de la connaissance.
Son travail est donc à la fois une philosophie de l'Histoire, une reflexion sur la connaissance et une reflexion sur le réel historique.
- Il s'oppose aussi bien aux philosophies de l'histoire qu'au "réalisme" (Ranke). Pour Grenier il y a bien une philo de l'histoire chez Simmel dans la mesure où son analyse du passé ne peut dse faire qu'en fonction des problèmes que pose le présent; il y a donc "des" finalités dans le mouvement historique.
- Sa théorie de la connaissance est kantienne. Cela pose deux problèmes : les a priori reposent les uns sur les autres (notamment sdans les chaines téléologiques) et peuvent se ruiner mutuellement. De plus la connaissance du passé repose sur le présent, celle du présent sur le passé ( risque de circularité).
- La réalité historique : la science historique est une science des phénomènes psychiques. Il faut donc prendre deux éléments en compte : la situation initiale et les interactions psychiques.
Un troisième élément est le caractère téléologique de l'Histoire.
La méthode de Simmel est "relativiste".
- Chaque phénomène historique est un complexe de faits élémentaires; on ne peut donc les connaitre entant que tels. Il est donc exclu d'espérer observer des régularités. La loi historique est donc "un modèle" qui permet d'étudier des cas limites.
La démarche de Simmel repose sur trois éléments : la conjecture initiale, le fait initial, les interactions psychiques. La présence d'une liberté psychique n'invalide pas la causalité mais il y a deux causalités : une causalité générale (constat empirique) et une causalité restreinte renvoyant à la nécessité du passage à un autre (c'est, je crois, la "loi individuelle" chez Simmel).
- L'important est qu'ensuite on peut confronter ses "modèles" à la réalité, sans les confondre, et c'est de cette confrontation qu'émergera le sens.
- Enfin il faut tenir compte de deux formes de temps chez Simmel : le temps historique et la dynamique de la chaine téléologique. Ainsi des sociétés situées en des temps différents peuvent se retrouver au même niveau dans une chaine téléologique.
CHAPITRE II : PHILOSOPHIE ET SOCIOLOGIE DANS L'OEUVRE DE SIMMEL (Alain Guéry).
Pourquoi Simmel ne suit il pas les frontières disciplinaires traditionnelles notamment entre sociologie et philosophie?
Il pense qu'on peut faire une analyse scientifique du social mais celle ci ne suffit pas car l vie déborde l'analyse de toutes parts. On peut donc aborder une perspective esthétique, sociologique,... La philo tient une place à part puisque c'est elle qui peut élaborer des concepts sans être forcément tenue par le fait brut, comme pour la science.
La place de la sociologie est de fournir une approche spécifique, par les interactions et l'analyse des formes, mais elle n'a pas pour destin de chapeauter les autres sciences sociales.
CHAPITRE IV : L'ARGENT DE LA BEAUTE, LA BEAUTE DE L'ARGENT. ( Ph. SIMMONOT).
Thèse : chez Simmel l'art et l'argent constituent des "formes" semblables.
La valeur provient d'un écart entre le sujet et l'objet et l'argent participe au développement de cet écart. Cependant l'objet et le sujet se confondent aux deux bouts du processus. Au départ, l'objet est entièrement intégré dans le sujet (enfant, sexe,...). A l'arrivée c'est le sujet qui est intégré dans l'objet (oeuvre d'art).
L'avare et le collectionneur sont deux figures semblables : le premier accumule la monnaie, le second les oeuvres d'art, confondant les moyens et les finalités.
De même l'avare, le voyeur et l'esthète sont des figures semblables car ils ne vont pas jusqu'à la jouissance de l'objet.
dans tous ces cas la jouissance vient de la seule possession de l'objet et permet à l'individu d'échapper à la déception (utilité marginale décroissante); en ce sens on ne peut jamais rien posséder sauf l'argent et l'art.
Argent et Art sont donc des substituts.
CHAPITRE V : GEORG SIMMEL, L'ARGENT, LE FEMINISME ET LA FEMME.
Simmel est un des plus fins féministes du XXème siècle et pense que la question féminine sera dans l'avenir plus important que la question ouvrière.
Toutefois il pense que les femmes, comme tout le monde, passent par une période de soumission avant de pouvoir se libérer : ainsi elles passent da la situation d'achat à une situation où elles semblent dépendre du travail de l'homme.
Il se pose la question du risque qu'il y aurait à ce qu'elles occupent des professions masculines avant d'y avoir imprimé leur marque.
L'auteur voit cependant une contradiction chez Simmel entre ces idées sur la femme et sa vision d'une femme "unitaire" (en fait il ne faut pas voir une détermination naturelle mais sociale, la femme est peu engagée dans la division du travail et dans les processus de distinction).
Enfin il pose le problème de la coquetterie comme concept général.
CHAPITRE VI : LE TYPE DE L'AVARE. (J.M. Baldner)
- L'avarice se situe dans une rupture de la série téléologique quand l'argent est désiré pour lui même. Ce faisant l'avare ne reconnait que l'utilité individuelle de l'argent mais pas son utilité sociale, l'argent n'a plus qu'une fonction de réserve de valeur et n'a plus sa fonction de transaction. En refusant la dépense il refuse le lien avec la société et il ressemble , de ce point de vue, au moine ou à l'ascète.
- Par ailleurs toute possession d'objet limite, par sa nature propre, la liberté de l'individu et soumet l'individu au risque de la déception. L'argent étant l'objet qui présente le moins de résistance et le moins propice à la déception, l'avare, comme l'artiste, évite cette déception et connait une fusion entre l'objet et le sujet.
- L'avare en gardant l'argent conserve la puissance virtuelle mais jamais utilisée de l'argent.
- En refusant la dépense il se met hors du circuit économique et hors de la structuration en classes sociales. Il se met également hors du temps.
- Pour l'auteur l'avare ne peut apparaitre que lorsque l'argent se débarrasse de la plupart de ses usages monétaires, c'est à dire au moment où l'on passe d'une société primitive à une société monétaire développée.
CHAPITRE VII : LA COHESION D' UNE ECONOMIE MONETAIRE CENTRALISEE. (Laurence Scialom).
Les travaux de Simmel permettent de dépasser une contradiction de l'analyse standard de la monnaie, analyse selon laquelle la monnaie n'est qu'un voile jeté sur les échanges, elle n'a pas de valeur en elle même. cette perception suppose le problème de l'adéquation sociale déjà réglée avant les échanges.
Dans la perspective de Simmel la valeur se développe dans le cadre de l'échange, laa monnaie a don c un rôle actif dans la constitution de la valeur. L'existence de la monnaie suppose qu'on ait en elle une confiance quasi religieuse qui permettra la compatibilité intergénérationnelle des échanges; cette confiance est aussi une confiance dans la société.
Par ailleurs l'argent donne toujours un pouvoir dans l'échange vis à vis de celui qui détient les objets (super additum).
Thésauriser la monnaie c'est alors ne plus avoir confiance dans le système social dans son entier (on retrouve une perspective keynésienne)
L'approche de Simmel s'éloigne donc de celle de Walras. Chez Walras les agents évaluent d'abord les valeurs relatives des biens avant de faire les échanges. Chez Simmel échanges et fixation des valeurs se font en même temps car c'est l'échange qui est créateur de valeur. Noud avons là une économie qui est d'emblée une économie monétaire. L'approche de Simmel est donc proche de celle de Keynes.
CHAPITRE VIII : LES MEDIATIONS SYMBOLIQUES ENTRE L'ECONOMIQUE ET LE POLITIQUE. ( B. Théret).
L'objet de l'article est d'étudier les rapports entre économie et politique à la lumière de Simmel.
Simmel est au départ des approches hétérodoxes qui se reconnaissent dans trois principes :
+ Les individus ne construisent pas leurs rapports mutuels sur la base de calculs individuels.
+ L'économie marchande est d'emblée monétaire.
+ On doit étudier les fondements macro sociaux des comportements micro économiques et non les fondements micro de la macroéconomie.
En sous estimant l'importance du salariat naissant il se situe en deçà de Marx mais il préfigure aussi Keynes.
L'argent va être un médiateur entre économique et politique car, permettant la mesure des choses, il permet dans un premier temps la mesure des hommes (Wergeld) jusqu'à ce que l'individualisation rende cette mesure impossible.
L'avare et le prodigue vont occuper des places essentielles et, d'après l'auteur, la stabilisation du système politique réclame la présence d'un individu avare au niveau des moyens et prodigue au niveau des fins qui serait l'ideal type du bourgeois libéral.
- L'argent, l'intellectualité et le droit auront des effets similaires et contradictoires: ils favorisent un certain égalitarisme universaliste (argent, droit et intellectualité traitent tous les hommes de manière semblable) mais en même temps ils peuvent développer une forme d'aristocratie (la maitrise de l'argent et de la culture).
- Sa critique de la valeur travail est en fait une critique de la thèse proudhonienne du paiement en bons de travail. Pour lui la valeur de la force de travail est créée par le recours à l'argent.
CHAPITRE IX : LES CONDITIONS D' UNE COHERENCE ECONOMIQUE.
(L. Gillard)
( important)
Dans son analyse de la valeur de l'argent Simmel envisage qu'il existe une égalité entre l'argent engagé pour l'achat d'un objet et la totalité de l'argent en circulation, d'une part, et la part de l'objet sur l'ensemble des objets échangeables (compte tenu de la vitesse de circulation de la monnaie). Cela pose le problème de la fixation de la valeur d’objets hétérogènes.
Simmel se distingue nettement des marginalistes:
Pour les marginalistes la valeur est subjective, mais cette subjectivité est "spéculative" et l'appréciation fait e par les individus est indépendante d'autrui.
Pour Simmel la subjectivité de la valeur se construit dans la pratique (écart entre subjectivité et objectivité), les objets se valorisent mutuellement dans un style de vie et la valeur se construit objectivement dans l'échange. L'existence d'une valeur objectivée suppose l'existence d'une norme sociale et suppose donc une structuration de classes sociales. Dans cette structuration la classe moyenne occupe une place particulière car porteuse de valeurs normatives.
L'argent devient monnaie dès lors qu'on voit apparaitre une stabilité de l'unité de compte; les périodes d'instabilité économique sont, pour Simmel, des situations où la monétarisation de l'économie est insuffisante.
- L'auteur aborde deux notions de Simmel , le bonus et le superadditum.
Le bonus est l'avantage que donne l'argent dans l'échange ce qui fait supposer que la valeur de l'argent n'est pas exactement égale à la valeur des objets échangés.
Le superadditum renvoie aux avantages liés à la possession d'argent. Parmi ceux ci il y a le "plaisir de la jouissance facile" c'est à dire l'idée que le coût de l'échange est moins lourd pour les plus riches. Ainsi l'argent n'a pas la même valeur pour tous .
Il y a deux seuils- le seuil de jouissance où on trouve surtout les plus pauvres, et le seuil de blasement- seuil des plus riches. La classe moyenne se situe entre ces deux seuils et a donc un rôle dynamique particulièrement important : pour la classe populaire le coût et le bénéfice d'une unité monétaire marginale augmentent et s'annulent tous deux; pour les classes supérieures les deux restent constants; seul pour la classe moyenne le bénéfice augment alors que le coût reste constant.
Dans cette optique les mécanismes de marché ne sont pas des mécanismes "duels" mais transitent par le social. D'un côté la monnaie a un rôle de détermination des valeurs et des prix; de l'autre la structuration a ces mêmes effets par l'intermédiaire du quanta (bonus) et des superadditum.
On doit donc, à la suite de Simmel, être capable de penser à la fois l'analyse quantitative de la valeur et les transformations qualitatives du social car les deux sont mêlés.
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