ET SI LA SANTÉ GUIDAIT LE MONDE ?

ET SI LA SANTÉ GUIDAIT LE MONDE ?

(L’espérance de vie vaut mieux que la croissance)

Éloi LAURENT – Les Liens qui Libèrent – 2020

Le sous –titre, « L’espérance de vie vaut mieux que la croissance », dit tout des objectifs et intentions de l’auteur. Écrit pendant la pandémie de Covid19 et le confinement de 2020, le livre d’Éloi Laurent pose la question de la prise de conscience écologique et des relations à faire entre Écologie-Économie et liens sociaux.

Abandonner l’objectif de croissance économique.

La croissance économique a aujourd’hui plus d’effets négatifs que positifs sur le bien-être des individus. Le lien entre croissance économique et dégâts environnementaux n’a plus à être démontré. Il en résulte de multiples conséquences négatives  sur la santé des individus (particules fines, épidémies,…).; sur la mortalité des moins de cinq ans et sur leurs parcours scolaire. Elle a également des effets sur la santé mentale et le bien-être des individus notamment par ses répercussions sur les modes de vie et par les diverses pollutions sonores et atmosphériques. En conséquence la corrélation entre croissance économique et espérance de vie est faible et non linéaire. On peut même constater des baisses récentes de l’espérance de vie dans dix-neuf pays de l’Ocde en 2015 et notamment aux États-Unis. L’état de santé de la population a également en retour des effets sur la croissance économique. Il n’y a donc pas lieu de se demander s’il faut faire un arbitrage entre santé et économie ; si la situation sanitaire s’effondre c’est l’économie qui s’effondre également.. Éloi Laurent vise l’objectif de « pleine santé » (« état de complet bien-être physique, mental et social et pas seulement une absence de morbidité »).

La lutte pour une pleine santé doit également passer par une lutte contre les inégalités, d’une part parce que cela permet d’augmenter la santé des moins démunis d’autre part parce qu’on limite les effets de propagation des épidémies (le cas des États-Unis a montré que les inégalités face au système de santé a permis à l’épidémie de se répandre). La transition écologique doit donc se faire dans le cadre du respect de la justice sociale (« transition juste »). La convergence « santé-environnement » doit donc être au premier rang des réponses à la crise actuelle.

Le confinement de 2020 a montré qu’on a pu, provisoirement, préférer sauvegarder la santé plutôt que la croissance économique mais il a également mis en lumière la nécessité pour les individus de pouvoir entretenir des relations sociales et que l’isolement relationnel a des effets sur leur état de santé mentale. Sur plus long terme, il apparait que l’usage incontrôlé du numérique a également des effets néfastes en termes de bien-être individuel.

La domination des perspectives économicistes.

La question de la croissance doit donc passer au second plan, pourtant il semble difficile de le faire car la perspective économique a eu une telle emprise sur le reste de la société qu’elle l’a phagocytée.

Certes la pensée économique a été dès ses origines extro-déterminée et à la recherche de modèles. Le modèle de la physique s’impose avec Smith mais devient une véritable fascination avec les Néo-Classiques. Parallèlement, le modèle de la médecine a été adopté par Quesnay et connait un renouveau avec l’exemple des essais thérapeutiques (cf « Le négationnisme économique » de Cahuc et Zylberberg) , l’apparition des « big data » et l’utilisation des expériences randomisées(Duflot) auxquels on peut ajouter l’essor de la neuro économie. D’après Éloi Laurent,ces recherches de modèles sont surtout des recherches d’honorabilité.

A l’inverse le mode de pensée « économiciste » a fini par envahir les autres secteurs de la société. L’auteur ne rejette pas, par exemple, l’économie de la santé qui peut être utile si elle n’est pas impérialiste. Cependant les outils de gestion économique ont envahi les autres domaines (indicateurs de performance de santé) avec comme conséquence que le calcul « coût/bénéfice » appliqué à la santé en vient à monétariser la vie humaine et le vivant. Même les statistiques mesurant la qualité de la vie (comme le Daly et le Qaly auxquels l’auteur consacre plusieurs pages) peuvent aboutir à des dérives économicistes. De manière générale, ainsi qu’Arrow montre dans un article de 1957,  le modèle de la Concurrence Pure et Parfaite est inadapté au cas de la santé car il est incapable de prendre en compte l’incertitude et la confiance qui sont au cœur des pratiques médicales (de même pour l’enseignement).

Cela ne veut pas dire qu’il faille abandonner les calculs « coûts/avantages ». Ainsi la mesure des avantages liés à la baisse des émissions de gaz à effet de serre (augmentation de la qualité de l’air, création d’emplois,…).

Un autre horizon collectif ?

Il faut donc dépasser la croissance comme horizon collectif et l’articuler à  la question sociale et à la question écologique. Trois manières d’aborder cette question sont envisageables : repérer les « limites planétaires » ; adopter la stratégie dite du « donut » (où on intègre la question sociale en se situant entre un « plancher social » et un « plafond écologique »). Enfin, Éloi Laurent privilégie la perspective de la « boucle de rétroaction « social-écologique » où on prend en compte les interactions entre écologie et social.

            S’inspirant de la typologie d’Esping-Andersen concernant les différentes formes d’État-Providence, Éloi Laurent propose une typologie des différentes formes d’États devant faire face à la question écologique (« État-Social-Ecologique »). Pour cela, l’auteur compare les différentes réactions face à l’épidémie de covid 19. Il distingue quatre types de réactions typiques. Laisser faire les  « régulations naturelles » comme ce fut le cas en Inde où on a eu l’addition d’une forte exposition des individus à la pandémie et de faibles protections collectives. La Chine et de la Corée du Sud on adopté une forme de  « Bio techno pouvoir » où face à  une forte exposition au risque les autorités ont privilégié une surveillance collective, une discipline civile et un pouvoir autoritaire. Le « Néo libéralisme économique » caractérisé par une fuite en avant économique (faiblesse des réglementations, exposition forte, protection collective faible) a été caractéristique des États-Unis du Brésil et de l’Australie). Enfin, l’Europe a choisi de ne pas choisir en « naturalisant » les principes économiques à l’œuvre depuis les années 50 (et aboutissant à la situation des services publics que l’on sait). Dernière possibilité, proposée par l’auteur, un  Etat social écologique libéré de la croissance et cherchant la « pleine santé ».

            Mais pour cela il faut de nouvelles formes de protection collective : comme pour la sécurité sociale, il faut mutualiser les risques, réduire les inégalités face aux risques écologiques et créer une nouvelle branche de la sécurité sociale (branche « social-écologique »), l’objectif étant de transformer l’incertitude écologique en risque social (Cette protection sociale sera financée par les dépenses liées à la transition écologique (baisse des dépenses maladie liées à l’environnement). Parallèlement il propose de lutter contre l’isolement social, trouver un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, accélérer la coopération sociale[1] et opérer une décélération numérique (dont la dématérialisation est une illusoire). Enfin, il faut opérer une transition énergétique qui ne peut être que massive. Tout cela devrait se faire dans le cadre d’une « transition urbaine » (à laquelle l’auteur consacre une dizaine de pages).

Indicateurs

Changer d’objectifs collectifs suppose également de changer d’indicateurs (au moins modifier leur priorité). Pour l’auteur les indicateurs macro économiques sont devenus inefficaces voire biaisés (il prend l’exemple du « plein emploi » qui fait l’impasse sur la qualité des emplois occupés). Il propose évidement de prendre des distances avec le PIB pour préférer l’espérance de vie (voire l’espérance de vie en bonne santé) comme indicateur principal (c’est d’ailleurs par cette question qu’il ouvre son livre). L’espérance de vie a le mérite d’être sensible à la situation des membres els plus âgés de la société ainsi qu’à la mortalité infantile et à l’état du système de santé et de protection sociale. Il s’agit donc d’un indicateur de civilisation.

(Mise en ligne le 21 Août 2024)

 

[1] Éloi Laurent donne un sens précis à la notion de « coopération ». Voir Éloi LAURENT : « Coopérer et se faire confiance par tous les temps » - Éd de la rue de l’échiquier- 2024

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