CONSTRUIRE UN MATRIMOINE DE LA BANDE DESSINÉE

CONSTRUIRE UN MATRIMOINE DE LA BANDE DESSINÉE

CRÉATIONS, MOBILISATIONS ET TRANSMISSIONS DES FEMMES DANS LE NEUVIÈME ART, EN EUROPE ET EN AMÉRIQUE

Sous la direction de Marys Renné Hertiman et Camille de Singly

Les Presses du Réel – 2024

Même si leur présence a augmenté ces dernières années, les femmes sont aujourd’hui nettement minoritaires parmi les auteur.e.s de bande dessinée (probablement moins de 30 % en France) et l’étaient encore plus dans les années 1950-1960. Il est effectivement difficile pour chacun de citer un grand nombre de femmes présentes dans ce domaine avant les années 1970. Cependant les recherches actuelles montent qu’il y a eu également un processus d’invisibilisation des femmes, notamment durant les trente glorieuses. Ce processus semble en effet  tenir plus souvent de l’invisibilisation que de l’exclusion ou de « l’effet Mathilda » (même si ces deux derniers cas peuvent également exister) et l’analyse requiert donc une approche systémique. Comme le dit Jessica Kohn : « Précisons qu’il n’y a aps eu d’hommes cachés derrière des barricades qui ont empêché les femmes d’avancer !C’est plus discret, comme souvent avec ce processus d’invisibilisation (…) » (p.39). L’objectif de ce livre collectif est double : analyser ce processus d’invisibilisation et construire un « matrimoine » de la Bande Dessinée. Mais il ne faut pas sous-estimer les obstacles propres au sujet abordé. La délimitation de l’activité de production de bades dessinées n’est pas simple à effectuer ; qu’appelle-t-on BD ? Quelle place attribuer aux différentes fonctions liées à la BD? Quelle place accorder aux coloristes ? Aux scénaristes ? (avant René Goscinny qui a œuvré pour la reconnaissance du métier, le scénariste n’était pas reconnu et pas mentionné et payé par le dessinateur et non par l’éditeur). On peut même étendre la question à l’ensemble des participants dans une optique relevant des « mondes de l’art » de Howard Becker : quelle place pour les fonctions d’édition, d’impression, secrétariat, … pour le lectorat, les autres créateurs,… ? C’est ce que fait  Marys Renné Hertiman en adoptant le concept de « constellation » (qui n’est pas sans rappeler le concept de configuration chez Norbert Élias). La réalité « auteur.e de BD » s’est constituée progressivement et se stabilise dans les années 1950-60. De plus, cette catégorie est ignorée des nomenclatures de l’Insee. Enfin, il faut tenir compte de l’insuffisance des sources : les noms ne sont pas toujours mentionnées dans les publications les plus anciennes (notamment les scénaristes et coloristes,…), les archives n’ont pas toujours été conservées, etc…

Il faut donc considérer ce livre comme une des premières pierres d’un matrimoine à construire. Il est constitué de trois parties : la première est consacrée à la reconstitution d’une généalogie des autrices en BD, forcément incomplète et imparfaite. La deuxième partie est intitulée « corps à corps » et porte sur les « résistances et représentations ». Enfin la dernière partie (« Faire corps ») traite des essais de mobilisation et de constitution de collectifs. L’ouvrage a les qualités et les défauts des ouvrages collectifs de cette catégorie, faits de contributions individuelles diverses qui donnent des pistes de réflexion diverses mais aussi des répétitions d’un article à l’autre rendant le travail de synthèse difficile à mener. Certaines contributions portent sur quelques autrices ou revues en particulier dans des contextes spécifiques (dans l’Espagne franquiste, à Berkeley dans les années 1970, en Allemagne dans les années 1990, au Mexique, etc…). D’autres contributions relèvent plus de la synthèse : « un siècle d’autrices BD aux Etats-Unis », « Les premières dessinatrices de la BD franco-belge », « faire corps pour faire groupe ? »,… Enfin, il est conseillé de lire l’ouvrage avec Internet sous les yeux afin d’apprécier les travaux des autrices citées (je citerai donc beaucoup de noms dans cette note de lecture).

Croissances et invisibilisation

Les autrices représenteraient donc aujourd’hui un peu moins de 30% de la profession dans l’espace franco-belge. Pour ce qui est de la période 1945-1968 durant laquelle le métier s’est véritablement stabilisé, Jessica Kohn estime qu’elles représentent environ 10% du corpus de quarante auteur.e.s qu’elle étudie (voir également ma note de lecture « Dessiner de petits mickeys»). C’est peu mais Jessica Kohn explique qu’on a longtemps pensé qu’elles n’étaient pas plus de 1 ou 2%. Si ces femmes ont toujours été minoritaires, leur présence est avéré depuis le 19ème siècle, ce que rappelle Trina Robbins dans sa contribution « un siècle d’autrices de BD aux Etats-Unis ». Elle cite par exemple les strips de Rose O’Neil qui paraissent dans le journal « Truth » en 1896 ou Nell Brinkley dans la période 1910-1930 ainsi que Ethel Eyes dans les années 1920. Elle note également une « révolution » qui s’opère dans les années 1940 avec l’apparition des comic books (alors qu’auparavant il n’y avait que les journaux ; on notera également qu’ultérieurement la diffusion des BD grâce à Internet sera favorable à la visibilité des travaux des autrices de BD). De son côté Jessica Kohn rappelle que les plus anciennes autrices de BD sont nées avant 1905 et ont commencé leur carrière avant 1920 ; cependant lorsqu’elle commence ses recherches (dans les années 2010) seules cinq femmes ayant commencé avant 1970 sont encore citées : Liliane Funcken (1927-2015) qui travaille avec son mari Fred Funcken, Suzanne André (1909- ?), Claire Bretécher (1940-2020), Manon Iessel (1905-1985) et Marie-Madeleine Bourdin (1922). Mais on ne sait pas combien de femmes il y a pu y avoir entre 1830 et 1920 (1830 étant conventionnellement retenue comme date de naissance de la bande dessinée avec les premiers travaux de Topffer).

Comment peut-on expliquer le processus d’invisibilisation des femmes dans la BD franco-belge ? La première raison est qu’elles ont surtout travaillé dans la presse catholique qui a peu à peu décliné après guerre et a été oubliée par les historiens. Jessica Kohn propose une autre explication, plutôt bourdieusienne, qui est que les premiers historiens de la BD ont cherché à légitimer la lecture de BD en privilégiant ses formes les moins dévalorisées que sont les albums (par rapport aux journaux) et les BD destinées aux adultes (par rapport à la littérature jeunesse ou enfantine) ce qui occulterait la presse catholique et, par contre coup, les bédéastes femmes. Une explication, non de l’invisibilisation mais de la moindre présence des autrices, non proposée dans le livre est peut être qu’un groupe considéré comme mineur et qui cherche à combattre cette situation ne s’intéressera pas préférentiellement à une activité elle –même considérée comme dévalorisée (il faut se rappeler que jusqu’au début des années 1970, la BD était perçue comme une lecture pour enfant ou pour adultes freinés dans leur développement voir était soupçonnée d’être responsable de l’incivisme et de la délinquance juvénile. Pour quelques précisions sur ce point on peut consulter les pages 33 et 34 de mon cours sur « Les Mondes de l’Art » d’Howard Becker). Le constat d’une augmentation du nombre de femmes bédéastes à partir des années 1970 en parallèle avec la reconnaissance croissante du media BD irait en ce sens. Cette hypothèse est peut-être également corroborée par le fait que la BD a été très récemment reconnue en Allemagne comme genre à part entière. Or sur un panel de 706 auteur.es interrogé.e.s, les femmes représentent 56,2% de l’ensemble contre 28% en France (les hommes 35% et 8,7% se déclarent non-binaires). Il faut également tenir compte du fait que le statut d’auteur.e de BD a longtemps été mal identifié et les coloristes en ont été les victimes. Il n’y a pourtant aucun doute que la couleur joue un rôle important dans le perception d’un récit mais dans l’histoire de la BD, le trait noir a été premier ; la couleur n’est arrivée qu’après , à une place considérée comme marginale voire comme non nécessaire (même si la première BD dite « moderne », Yellow Kid, était colorisée). Un deuxième obstacle est qu’une  colorisation réussie doit se faire oublier. Enfin, la qualité de la mise en couleur en BD est partagée entre le travail du coloriste et celui de l’imprimeur. Cela fait que la colorisation dans la BD était perçue plus comme une activité technique que comme une activité artistique. Pour des raisons financières il était donc intéressant pour les éditeurs de considérer les coloristes comme des exécutants et non comme des créateurs puisque cela évitait de payer des droits d’auteur. Quand des droits d’auteurs étaient versés aux coloristes c’était encore (comme pour les scénaristes) sur les droits touchés par les dessinateurs. Comme on eut s’y attendre, les coloristes étaient majoritairement des femmes (et les femmes majoritairement des coloristes) et dans un certain  nombre de cas, les épouses des auteurs. Le travail de coloriste étaient souvent, semble-t-il, le fait de circonstances ou d’opportunités et non le résultat d’un véritable désir et complétaient un premier emploi quand il ne permettait pas à la femme de s’occuper du foyer et des enfants. Ces divers mécanismes expliquent que les coloristes ont été longtemps invisibilisées, sans vraie formation, peu payées, non créditées, absentes des rédactions, des ateliers et des festivals et, surtout, précaires (les coloristes seraient les « plus précaires parmi les précaires »). L’exemple de Nine Culliford est à cet égard très parlant : inconnue du grand public, c’est elle qui a choisi la couleur bleue des Schtroumpfs et non son mari, Pierre Culliford (dit Peyo). Il y eut cependant de timides avancées : dans « figures de l’ombre », Camille de Singly note que la première mention d’une coloriste sur un album date de 1977 (Evelyne Tran-Lê sur un album de Valerian et Laureline) et la première mention sur couverture d’album date de 1982. Enfin, c’est en 1977 qu’Anne Delobel sera la première coloriste a bénéficier de droits d’auteur en tant que coloriste (pour un album d’Adèle Blanc-Sec de Tardi). De même, les femmes scénarites ont été invisiblisées. Cependant on eput citer les noms de Marguerite Arbouet (1971)Loo Hui Phang (1974), Jacqueline Rivière (1851-1920) créatrice de Bécassine et cheffe de rédaction de la « Semaine de Suzette », Paulette Blonay, Henriette Robitaillier, Marie-ange Guillaume (scénariste de Lily et de Aggie). Pour les « collaborations plurielles » elle mentionne par exemple Suzanne Vigon ( 1893-1977), gérante dessinatrice et scénariste (liste établie par Marys Renné Hertimann). Cette invisibilisation peut prendre d’autres contours. Jessica Kohn explique que dans une enquête qu’elle a faite auprès des autrices de BD des années 50-60, celles-ci déclarent souvent n’avoir pas constaté de différences entre hommes et femme mais au cours de la conversation, les exemples et anecdotes parlants émergent. Non que ces autrices n’aient pas été conscientes des inégalités mais la place des femmes étaient pour elles un « non sujet »).

Représentations

Construire un matrimoine suppose également de s’intéresser aux représentations des femmes dans les bandes dessinées. La question est abordée (conjointement à la question des revendications) dans l’article de Th.B.R. Moreira consacré  au « suffrage des femmes dans la BD en Argentine, États-Unis et au Royaume –Uni ». Au début du 20ème siècle, les représentations graphiques dominantes fustigent « l’inversion des sexes » et sont sexistes, anti féministes et anti suffragettes, notamment dans les journaux satiriques avec des dessins. En réponse il apparait des illustrations féministes mettant l’accent sur les droits des femmes et sur l’immoralité des réactions masculines face aux injustices envers les femmes. Par exemple, en Argentine, la revue « Nuestra causa » (1919-1920) fustige l’immoralité des hommes (alcoolisme, irresponsabilité,..) face à des femmes qui assument leur rôle (mais sans remise en cause de la partition classique de l’espace public réservé aux hommes et de l’espace privé destiné aux femmes). Les représentations positives se développent dans les années 1940. Dans son article sur « Un siècle d’autrices de BD aux États-Unis » Trina Robbins note l’apparition importante de Brenda Starr par Dale Messick (1940)  et elle reprend la généalogie des super-héroïnes. La première d’entre elles est Miss Fury de l’autrice Tarpé Mills qui est créée en 1941 et précède de peu la beaucoup plus célèbre Wonder Woman. Wonder Woman a été créée dans le but de fournir un modèle féminin aux jeunes lectrices (NB : l’évolution ultérieure de l’image de Wonder Woman est par ailleurs intéressante à analyser). Ces deux super-héroïnes seront suivies de très nombreuses autres dans les années 1940 qui, dans un premier temps, seront des personnages autonomes et non des clones de héros masculins (comme par la suite Supergirl ou Bat girl,…). On observe cependant un recul dans les années 1960 quand les super héroïnes n’ont plus leurs propres revues de BD et paraissent faibles et effacées face aux hommes. Mais à partir des années 1970 et surtout des années 80 les super héroïnes seront à la fois de plus en plus puissantes et de plus en plus sexualisées (pour une présentation un peu plus fouillée on peut consulter « Super-héroïsme et relation de genre »- 3ème mention de la page). La question de la représentation des femmes est également abordée dans les articles « l’aventure de la revue Esporadica – Mexique » d’A.G. Tinarero, celui consacré à Nuria Pompéia (Espagne franquiste), la présentation des héroïnes Hothead Paisan et Bitchy Butch (USA), le travail de Ulli Lust (Allemagne) ou « La représentation du corps des femmes dans la BD brésilienne ». Ce qui frappe à la lecture de ces articles est que la dénonciation du patriarcat passe par la représentation du corps des femmes. Nuria Pompeia (1931- 2016) a commencé  à publier en Espagne dans les années 60 (son premier album publié est « maternasis » paru en 1967) et a fondé en 1964 les éditions Kairos avec son mari, le philosophe Salvador Paniker. Dans ses récits le corps féminin est en permanence malmené, contraint, rapetissé et est représenté comme une texture molle, une pâte à modeler. Les femmes mariées sont représentées enchainées ou se transforment en objets ménagers. Pompeia joue beaucoup sur les proportions et les déformations du corps pour dénoncer l’oppression subie par les femmes dans la société franquiste. Mais, à mesure, que les femmes se rebellent dans ses BD, elles reprennent possession de leur corps.  On peut faire un constat proche à la lecture de l’article consacré à la BD brésilienne avec les travaux de Cora Ottoni, Anna Fonseca, Line Lemos, avec de surcroit une hyper sexualisation des personnages (Sirlanney, Lovelocve6-Gabrielle Masson,…). Hélène Camarade s’intéresse au travail d’Ulli Lust, (« Trop n’est pas assez »), bédéaste allemande d’origine autrichienne, qui met en scène deux punkettes autrichiennes mineures et dont les thèmes centraux sont la sexualité féminine, l’agentivité et les violences de genre. Les agressions sexuelles sont représentées par des bras et des mains démesurées qui s’approprient le corps des jeunes femmes. De même, les représentations de l’expérience du couple ouvrent sur la possessivité et la violence masculine. Dans ses BD l’espace public est exclusivement occupé par les hommes et les femmes victimes d’agression s’effacent graphiquement. Hélène Tison s’intéresse à deux héroïnes de la BD Etatsunienne (« Hothead Paisan de Diana DiMassa et Bitchy Butch de Roberta Gregory – deux gouines en colère résistent au patriarcat »). Il s’agit de deux héroïnes lesbiennes, féministes à forte tendance séparatiste, victimes de traumatismes d’enfance et produits de la misogynie et de l’homophobie des medias de masse. Ces BD marquées par le gout de l’exagération et de la provocation imposent une redéfinition de la femme en jouant avec les clichés, en stigmatisant l’hétérosexualité obligatoire et en inversant du côté de la misandrie l’essentialisation et les préjugés de genre. Ces héroïnes rejettent la société hétérosexuelle mais aussi la « bonne société » LGBTQIA+

Mobilisations et actions. Comment les femmes luttent-elles pour être reconnue ?

La reconnaissance des femmes est d’abord passée par des monstrations : la présence croissante des femmes comme « autrices » et l’imposition du terme « autrice » en étant d’ailleurs un instrument. C’est également passé par la publication de journaux faits essentiellement voire entièrement par des femmes (on peut penser à « Nuestra causa » déjà cité). Camille de Singly présente les créations de « Wimmen’s comix » aux États-Unis et « Ah Nana ! » en France. « Wimmen’s comix » est créé en Novembre 1972 par des femmes souvent évincées des fanzines créés par des hommes. On y publie des autrices comme Aline Kominsky, Lora Fontaine, Lee Mars, Shelby Sampson, Trina Robbins, Sharon Rudalh,… La revue comprendra dix sept numéros, sera victime de la censure en 1977 et disparaitra en 1991. Comme « Wimmen’s comix », la revue « Ah Nana ! » a pour objectif de tendre plus visible le travail des autrices de BD mais les deux revues se développent selon des modèles différents. « Ah Nana ! » est créé en 1976 par les « humanoïdes associés » qui éditait déjà « Métal hurlant » depuis 1975, lequel est dirigé par Jean-Pierre Dionnet (mari de Janic Guillerez, directrice de « AhNana ! »). L’éditorial du numéro 1 rappelle que les dessinatrices, journalistes et autrices se plaignaient régulièrement de « devoir assumer les phantasmes masculins déguisés en règle d’or de la presse ». Mais « Ah Nana ! » « ne se revendique pas comme une revue féministe » (p. 255). Janic Guillerez tient à ce que le magazine permette à des femmes de raconter leur propre histoire mais « des femmes détachées du féminisme » (p. 255). Le journal pose tout de même des questions relatives au corps des femmes, à leur sexualité ou à leurs fantasme de façon provocatrice (avec par exemple, la représentations de « chippendales » avant l’heure). L’accueil de la revue est plutôt tiède et les ventes décevantes. Les abonnements sont majoritairement le fait de lecteurs masculins (ce qui est significatif même si, à l’époque, le lectorat de BD était majoritairement masculin). Mais , d’après Camille de Singly, le magazine change d’allure à partir du numéro 6 en se rapprochant des fantasmes masculins (avec le thème «  le sexe et les petites filles ») et provocateurs (le numéro 9 est intitulé « inceste : bonne fête papa ! »). La revue est interdite en 1978 (NB : un numéro hors série spécial est publié en Octobre 2023). L’action collective passe également par des interventions publiques (tribunes, manifestes,…) : le manifeste « Navrant ! » publié dans Le Monde en Février 1982 pour dénoncer le sexisme dans l’industrie de la BD. La tribune « Dessinatrices oubliées » publiée dans le Monde du 8 Février 1998 à la suite d’une précédente sélection du Monde sur la BD des 25 dernières années qui ne citait qu’une seule femme dessinatrice (Bretécher, évidemment !). Les « États généraux de la BD » de 2016 rendent compte des difficultés des professionnels de la BD et notamment des autrices et coloristes. L’action peut également prendre la forme de collectifs organisés comme « l’association des coloristes de BD » en 2009, le « collectif des créatrices de BD contre le sexisme » (collectif «BD  collectif égalité ») en 2015, Artemisia en 2017.

            Le dernier article du recueil, écrit par Pierre Nocérino (sociologue et seul contributeur de l’ouvrage), pose une énigme stimulante et propre à nourrir la réflexion sur l’action collective. Pourquoi les professionnel.le.s de la BD ont-ils tant de mal à mener des actions collectives et pourquoi les femmes l’ont elles fait plus efficacement que les hommes alors qu’elles sont dans des situations plus précaires (ce qui est souvent plus un frein qu’un moteur de l’action collective) ? Nocérino rappelle que l’activité des auteur.e.s de BD est généralement solitaire (mis à part dans les ateliers chapeautés par un ancien) ce qui amène les auteur.e.s de BD à avoir une perception individualiste de leur activité et à se considérer comme seul.e.s responsables de leurs réussites et de leurs échecs. Une « attribution causale » des problèmes à un tiers (éditeur,…) est donc difficile à établir et freine les possibilités d’action collective. Mais dès lors que la responsabilité des problèmes peut être attribuée à un tiers, le problème individuel peut se transformer en question collective voire en « problème public ». Dans ce contexte, les autrices qui ont plus de mal que les hommes à se faire une place individuellement ont pu mettre progressivement en évidence des fonctionnements systémiques (avec des perceptions différentes selon les âges et les générations).

La fin de l’ouvrage est constituée d’une présentation des quinze contributrices et contributeur et d’un index de près de 300 autrices citées (classées par ordre alphabétique de prénom) et des magazines cités dans l’ouvrage. Il est conseillé d’avoir recours à Internet pour apprécier leurs travaux mais comme il n’est pas possible de citer plusieurs centaines de noms j’ai mis ci-dessous une sélection selon quatre critères : les autrices les plus anciennes, les plus connues, les plus citées dans l’ouvrage, celles que j’ai envie de citer.

Adriana Batista, Alice Kominsky, Alison Bechdel, Ana Barreto, Annie Goetzinger, Chantal Montellier, Catherine Beaunez, Claire Bretécher, Dian Di Massa, Florence Cestac, Johanna Schipper, Julie Doucet, Liliane Funcken, Marion Montaigne, Marjane Satrapi, Nicoe Clavelyx, Nin Culliford, Nureia Pompéia, Olivia Clavel, Penelope Bagieu, Sandrine Lemoult, Trina Robbins, Ulli Lust

Et je rajoute trois noms absents du livre : Claire Wedling, Fiona Staples, Catherine Meurisse.

                                                                          (Note de lecture par Thierry Rogel - Mise en ligne le 11 Octobre)

TABLE DES MATIÈRES

Introduction : Marys Renné Hertiman & Camille de Singly

1RE PARTIE Reconstituer une généalogi
1. Un siècle d’autrices de BD aux États-Unis, Trina Robbins
2. On croyait qu’elles n’étaient que cinq : entretien autour des premières dessinatrices professionnelles de la bd franco-belge - Entretien du 6 décembre 2022 avec Jessica Kohn, Marys Renné Hertiman & Camille de Singly
3. D’Yvette Lapointe à Zviane : les femmes dans la création de BD au Québec, Maël Rannou
4. Figures de l’ombre : la place des femmes dans la colorisation de la BD en France - Entretiens menés avec Kathrine Avraam, Isabelle Merlet & Albertine Ralenti, Camille de Singly
5. Tracer les constellations des créatrices de la BD française, Marys Renné Hertiman

2E PARTIE Corps à corps : résistances et représentations
6. Construire des liens par les cases : l’expérience féministe d’Esporádica, Alfredo Guzmán Tinajero
7. Dessiner contre le patriarcat dans l’Espagne franquiste  - Les corps soumis et les corps rebelles dans l’oeuvre de Núria Pompeia, Claudia Jareño Gil & Anne-Claire Sanz-Gavillon
8. Hothead Paisan (1991-1996) de Diane DiMassa et Bitchy Butch (1991-1999) de Roberta Gregory - Deux gouines en colère résistent au patriarcat, Hélène Tison
9. Représentations du corps des femmes par les femmes dans la BD brésilienne contemporaine, Maria Clara da S.R. Carneiro & Liane Azevedo de Souza
10. Ulli Lust dans le paysage des autrices germanophones - L’exemple du traitement des violences sexuelles dans
Trop n’est pas assez (2009), Hélène Camarade

3E PARTIE  Faire corps : collectifs et mobilisations
11. Le suffrage des femmes dans la BD en Argentine, aux États Unis et au Royaume-Uni, Thais Batista Rosa Moreira
12.
Ah!Nana et Wimmen’s comix : deux aventures collectives d’autrices en BD, Camille de Singly
13. Faire corps : collectifs et fédérations des femmes dans la BD - Entretiens avec Christelle Pécout, Jeanne Puchol et Johanna Schipper, Marys Renné Hertiman
14. Faire corps ou faire groupe ? Le cas des autrices de la BD française contemporaine, Pierre Nocérino

Index
Biographies
Biblio

Il est possible de continuer la réflexion avec ces articles (liste forcément non exhaustive)

+ Gilles Ciment : « Femmes dans la bande dessinée - Des pionnières à l’affaire d’Angoulême » - https://bbf.enssib.fr/matieres-a-penser/femmes-dans-la-bande-dessinee_67374

+ Maëlys Tirehote-Corbin et Léandre Ackermann : « Une lecture critique de l’histoire de la bande dessinée entre invisibilisation et exclusion : le cas des autrices en France » - https://journals.openedition.org/itti/3518

+ Nicky Le Feuvre : « Toujours Trop Ou Pas Assez De Femmes » - https://www.researchgate.net/publication/309879667_Toujours_Trop_Ou_Pas_Assez_De_Femmes

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