Robert ROLLINAT : LA NOUVELLE HISTOIRE ECONOMIQUE - Editions Liris - 1997
Avant que Douglas North et Robert Fogel n'aient obtenu le prix nobel d'économie en 1993 j' ignorais l'existence de la "New Economic History", caractérisée par l' utilisation des outils économiques dans les études d'histoire économique. A travers une présentation claire de ces travaux, Robert Rollinat pose le problème plus général des relations entre histoire et théorie économique. L 'histoire économique est elle vouée à rester dans une condition indéterminée, entre l'histoire et l' économie, où est elle en mesure de s'autonomiser en développant des méthodes qui lui sont propres ?
L'auteur s'attache d'abord à nous montrer les relations existant entre théorie économique et perspectives historiques avant 1930. Opposant un premier courant, purement déductiviste et
"a-historique" (Ricardo,...), à la recherche de lois universelles, à d'autres auteurs ( Malthus, Sismondi, Mill, Marx bien sûr) qui réintègrent la perspective historique.
A la fin du XIXème siècle divers courants intègrent de façon moins timide l'Histoire et l'économie : ce sera l'école "historiste" allemande (héritière de List, notamment) et "l'institutionnalisme" américain (dans la lignée de Veblen). Alfred Marshall constituera l'exemple d'un auteur essayant de lier la démarche déductiviste au souci de prendre l'histoire en compte. En France, le mouvement viendra d'une part de la mouvance durkheimienne avec les travaux de Simiand ("Le salaire, l'évolution sociale et la monnaie") visant à faire de l'économie une science "positive". Il faut citer également l'impact de "l' Histoire des Annales" (notamment Labrousse et Braudel) mais qui, par ses ambitions, dépasse la seule histoire économique pour faire référence à une véritable histoire "anthropologique". Plus tardivement, les travaux de Marczewski ont abouti en France à l'utilisation de modèles d'inspiration keynesienne afin de développer l'analyse de séries statistiques longues d'isoler clairement l'influence des variables historiques.
L'ensemble des chapitres suivants sont consacrés à la "New Economic History" (N.E.H.); celle ci se caractérise par la tentative d'utiliser les modèles économiques (essentiellement néo-classiques) dans l'analyse de phénomènes économiques appartenant à l'histoire. Le point essentiel de ce type d'analyse est le choix de la méthode "contre-factuelle" : l'idée est qu'on peut, à partir du modèle, envisager ce qui aurait pu se passer en l'absence du phénomène qu'on cherche à analyser. Par exemple, Fogel se demande si le chemin de fer a été, ainsi que le pensent les historiens traditionnels, un élément essentiel dans la croissance américaine du XIXème siècle. En comparant cette situation à une situation modélisée où il n' y a pas de chemins de fer et où l'essentiel des transports est fait par canaux, il calcule que le gain social du chemin de fer sur les canaux n'est que de 2% du P.I.B. Le chemin de fer a donc eu des effets sur la croissance mais n'aurait pas été le secteur moteur qu'on prétend.
Cette analyse est considérée comme une des deux recherches fondatrices de la N.E.H. L'autre recherche montre que le système esclavagiste du sud des Etats-Unis n'était pas un système moribond et contre-productif. En ce sens la guerre de sécession peut être interprétée comme la volonté de défendre un système économiquement rentable et le retard ultérieur du Sud sur le Nord ne serait plus du à la persistence d'un système économiquement dépassé mais aux dégâts de la guerre.
Ces travaux relèvent d'analyses en termes d'équilibre partiel, mais les auteurs ont également eu recours à l'équilibre général pour étudier la croissance économique américaine au 19è siècle et la croissance française (Lévy-Leboyer). On a également eu recours à des modèles à deux secteurs applicables aux sociétés où le passage du secteur secondaire au secteur tertiaire fut brusque (Japon de l'ère Meiji).
Rollinat montre également comment des thèses économiques traditionnelles ont pu être mises à l'épreuve de l'histoire à l'aide de ces modèles : le théorème Heckscher-Ohlin, les effets du commerce triangulaire, la supériorité du libre échange sur le protectionnisme, la vérification de la théorie quantitative de la monnaie, le rôle des anticipations,...Mais il y a eu également des rééévaluations de domaines plus larges comme la révolution industrielle : la croissance française, par exemple, est antérieure au 19è siècle et on ne peut pas parler de R.I. pour ce pays. Certains ont montré qu' il faut réévaluer le rôle de la demande dans la R.I. et qu'au contraire il faut minorer le rôle des innovations et de l'industrialisation (la croissance aurait précédé l'industrialisation aux Etats-Unis). Enfin de nombreux travaux, dans la lignée de Denison, ont porté sur les facteurs de la croissance et notamment sur le rôle du "résidu".
Cependant les travaux de la "NEH" ont tendance à délaisser les déterminants sociaux de la croissance et le rôle des institutions. En réponse, North s'est éloigné de la "N.E.H." traditionnelle pour intégrer les institutions dans ses modèles. Il le fait à partir de deux concepts majeurs, les coûts de transaction (les institutions étant censées réduire ces coûts de transaction) et les droits de propriété.
Enfin l' auteur présente - en les confrontant aux travaux de Marx, Polanyi et Braudel - les analyses de North sur l'évolution sociale; dans cette optique, l'évolution dépend de l'évolution des droits de propriété, analyse qui laisse plus que sceptique.
Rollinat ne cesse tout au long de son livre de nous mettre en garde contre les excès possibles de la "N.E.H."; en effet les hypothèses choisies souffrent des mêmes critiques que celles qu'on peut adresser aux modèles néo-classiques : concurrence pure et parfaite, mobilité parfaite des facteurs, coûts constants, comportements d'offre et de demande supposés stables dans le long terme, universalité de "l'homo-oeconomicus",... D'une manière générale cela amène à sous estimer l' action des groupes et des conflits et, surtout, ces auteurs sont tentés de réexpliquer des phénomènes historiques à l'aide des seules variables économiques, sous- estimant ainsi les explications politques ou culturelles; ce qui confirme que dès qu'un spécialiste sort de son domaine les risques d'incohérence sont grands.
Doit on en conclure que l' utilisation de modèles économiques est intile pour la compréhension des phénomènes historiques? Certes non. Ces modèles sont précieux quand on manque de séries statistiques longues. De plus, en développant de nouvelles problématiques ils obligent à réexaminer des thèses historiques qui manquent parfois d'exactitude et à clarifier les concepts utilisés. A l'inverse, la connaissance de l'histoire permet de tester la validité de ces modèles. Finalement, l'auteur plaide pour une collaboration plus étroite entre "économistes théoriciens" et "historiens économistes", instituant une confrontation entre les tendances déductives et inductives typiques de ces deux approches.
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