KAUFMANN - EGO POUR UNE SOCIOLOGIE DE L'INDIVIDU
EGO- POUR UNE SOCIOLOGIE DE L’INDIVIDU
(J.C. KAUFMANN-NATHAN-2001)
Jean-Claude Kaufmann, dans une tradition maintenant bien établie, entreprend d’intégrer le concept d’individu dans une analyse sociologique. L’auteur préconise pour cela de ne pas analyser séparément l’individu et la société et de faire des allers et retours entre la théorie et le terrain.
Il pose d’abord la question de l’émergence historique de l’individualisation et du processus d’hominisation, ce qui implique d’envisager les relations entre la sociologie et les sciences de la vie. Kaufmann regrette que la rencontre entre ces deux (familles de) disciplines ait échoué en trois occasions : d’abord, au 19ème siècle lorsque la sociologie préféra suivre Spencer plutôt que Darwin (et l’évolutionnisme de Spencer et de Comte plutôt que celui de Darwin) ; la deuxième fois fut lorsque, sous l’action de Durkheim, la sociologie acheva sa clôture en rompant les liens avec la biologie ; la troisième occasion perdue est contemporaine et est due au fait que l’analyse des liens entre le sciences du vivant et les sciences de la société ait été abandonnée à la sociobiologie.
Kaufmann insiste beaucoup sur le concept d’habitus repris par Bourdieu mais l’usage qu’en fait ce dernier lui semble rhétorique : chez Bourdieu, il y a deux conceptions de l’habitus, en tant que renforcement du comportement de l’individu, ou en tant que concept statistique et produit de stratégies. Pour Kaufmann, l’habitus selon Bourdieu connait donc de nombreuses limites : il n’explique ni le changement ni l’action individuelle et est incapable de rendre compte de la pluralité de l’individu (cf Lahire). L’habitus première manière selon Bourdieu s’applique donc assez bien aux sociétés traditionnelles mais pas aux sociétés contemporaines. A l’habitus, Kaufmann préfère la notion « d’habitude » en tant que « social intériorisé » et la notion de schème opératoire, c'est-à-dire d’actions qui sont incorporées et qui ne sont ni conscientes ni inconscientes.
De ce point de vue, la conscience de soi apparaitra à travers la « réflexivité individuelle » produite par la contradiction entre deux schèmes opératoires ou entre un schème opératoire et la pensée de l’individu : il y a alors nécessité d’interrogations de l’individu sur sa propre action.
Kaufmann ne conçoit pas l’individu comme une réalité figée mais comme un processus se situant entre les quatre pôles du « carré dialectique ». Ces quatre pôles peuvent être classés en deux pôles individuels, la « réflexivité individuelle » et le « patrimoine individuel d’habitudes » et deux pôles sociaux, la « réflexivité sociale » et les « cadres de la socialisation ». L’individu et la conscience de soi naissent des mouvements de ces quatre pôles et de leurs disjonctions.
Cependant, l’individu ne peut pas être réduit à une forme unique. Ainsi, Kaufmann distingue trois cercles du Moi : « l’homo clausus », le Moi comme processus (incluant la conscience de soi) et le « Moi abstrait », ce dernier étant au centre du mode de construction sociale de la réalité et constituant la croyance la plus partagée.
L’auteur date, de façon habituelle, les débuts de l’individualisme à la Renaissance. Cet individualisme n’est pas une entité sui generis mais s’appuiera successivement sur divers supports : la religion (qui développe la notion d’âme) puis, par la suite, la propriété et l’argent pour certains, les plus aisés, et l’Etat-assistance pour d’autres. A partir des années 60, on assiste à l’essor d’un individualiste particulariste (dont les supports identitaires sont constitués par les groupes d’appartenance et de référence) et d’un « individualisme sensible ».
Enfin, dans les années 1960, se développera une dernière vague d’individualisation fondée sur l’idée d’accomplissement personnel. Il ne suffit plus alors d’être soi mais ce qu’on a projeté d’être. Nous sommes alors au début d’une grande évolution où l’individu choisit sa vérité, sa morale, ses liens sociaux et son identité.
Du coup, la notion même d’identité change ; alors que dans les sociétés traditionnelles, elle est le produit de la structure sociale, dans les sociétés modernes elle implique que sa construction se fasse à travers une stratégie narrative ce qui, selon Kaufmann, constitue une nouveauté historique. En plus de la narration, l’individu pourra se construire par ses œuvres dans une forme « d’extériorisation- objectivation » (on a là, non plus une opposition mais un rapprochement entre l’objectivation et la subjectivation). Le « modèle artiste » constitue selon Kauffman les premiers traits d’un basculement historique.
En tout cas, l’identité n’assure plus aussi aisément qu’avant la « fermeture holistique » de l’individu (les limites ne se trouvent ni dans la réflexivité ni dans les rôles sociaux). Seule la croyance dans un « Moi abstrait » permet désormais cette fermeture.
Les mécanismes de domination vont également changer : alors que dans les sociétés traditionnelles, il s’agit d’une domination de l’extérieur, dans les sociétés individualistes elle est cachée et intériorisée et l’individu devient le responsable de sa propre situation.
L’hypothèse de Kaufmann est que le modèle artiste constitue les premiers traits d’un basculement historique vers cette personnalisation de la mémoire sociale.
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