Science Economique et Méthodologie Autrichienne
Science Economique et Méthodologie Autrichienne
HANS - HERMAN HOPPE (Insitut de Coppet - 2019)
La méthodologie autrichienne, dite libertarienne, fait partie des oubliées de l’enseignement aussi bien dans le supérieur que dans l’enseignement secondaire. Cette école occupe une place singulière dans le champ économique, bien distincte des autres approches et notamment de l’approche néo-classique.nH.H. Hoppe nous propose une présentation succincte et claire de cette démarche. (livre accessible en ligne : https://editions.institutcoppet.org/ebooks/Hoppe-Methodologie.pdf).
Hoppe réfute deux approches concurrentes des phénomènes économiques, l’empirisme et l’historicisme. Pour lui, les méthodes de l’empirisme sont inapplicables aux sciences sociales. En effet, l’empirisme suppose qu’une hypothèse soit vérifiée ou réfutée par l’observation ; or ceci suppose que les conditions ne changent jamais ce qui est impossible. Ses conclusions n’ont donc aucune valeur et ceci provient fondamentalement du fait que l’empirisme ne distingue pas la recherche théorique et la recherche historique. Il rejette également l’historicisme car celui-ci confond l’explication par les causes et l’explication par les intentions et aboutit à une forme de relativisme (« tout est possible »). Pour les économistes autrichiens, la causalité n’est valable que pour les sciences de la Nature et l’économie, science s’intéressant aux intentions individuelles) est une science téléologique. Donc l’explication historique ne peut pas passer par la validité de la description ou le repérage des facteurs explicatifs ou des causes. Toute explication historique doit passer par la compréhension donc être explicable par l’acteur qui a contribué à son action
On associe fréquemment le libertarianisme aux libéraux issus du néoclassicisme comme Milton Friedman ou James Buchanan pour leur défense de l’économie de marché libre. Toutefois ils aboutissent à des conclusions convergentes par des chemins très différents. Certes il ya des points communs entre ces deux courants : défense de la libre initiative et de la propriété privée, des mécanismes de marché, retrait de l’État, etc… et d’un point de vue méthodologique les deux courants privilégient une approche individualiste et retiennent l’optique du calcul et du comportement à la marge. Toutefois ils s’opposent sur deux points essentiels : le statut des hypothèses de travail et l’utilisation des mathématiques.
Pour Hoppe l’économie étant une science de l’action suppose une analyse des intentions individuelles. Mais à la différence des néo-classiques, les autrichiens considèrent que les mathématiques sont inopérantes pour analyser le comportement humain. Pour les Autrichiens l’économie est d’abord l’analyse de l’action humaine ce que Mises appelle la praxéologie et ils ne retiennent pas des hypothèses ad-hoc voire héroïques et ils rejettent donc totalement l’idée d’un homo-œconomicus. Ils retiennent l’idée d’hypothèses a priori. Celles-ci ont la particularité de ne pas avoir besoin d’être confirmées ou réfutées par la logique formelle ou par l’observation c s’imposent en réfléchissant sur soi même. L’axiome le plus évident de la praxéologie est de dire que puisque chacun cherche son intérêt maximum, le choix d’une action est dû au fait que les objectifs et buts de cette action apparaissent comme supérieurs aux buts de toute autre action et il n’y a pas besoin de supposer que de telles interventions impliquent forcément l’emploi de moyens rares. De même, il n’est nul besoin de logique formelle ou d’observation pour considérer que « chaque fois que deux personnes A et B se lancent dans un échange volontaire, il est sûr que toutes deux s’attendent à en tirer profit ».
Ces propositions sont des propositions a priori qui n’ont pas besoin d’être vérifiables empiriquement de même qu’il n’est pas nécessaire d’accepter le théorème de Pythagore en mesurant vraiment les côtés et les angles des triangles. Hoppe résume cette proposition : « (…) les propositions économiques doivent respecter deux exigences. Premièrement, il doit être possible de montrer qu’elles ne dérivent pas d’indices observationnels (…) les propositions économiques doivent être fondées sur la cognition réflexive, sur notre compréhension de nous-mêmes en tant que sujets sachants (…) Et d’autre part, cette compréhension réfléchie doit produire certaines propositions sous forme d’axiomes tangibles évidents». On peut donc dire que ces propositions sont universelles (« c’était vrai il y a un million d’années et ça le sera dans un million d’années »). Cependant cette proposition de l’échange suppose un certain nombre d’autres axiomes : que l’action soit volontaire et consciente, qu’elle soit libre et non soumise à une contrainte. On ne peut donc la considérer que comme une « règle » permettant d’analyser la réalité ; mais on ne voit pas dès lors pourquoi on devrait en déduire nécessairement des positions libérales sinon en se situant dans un monde idéal sans inconscient ni contraintes.
Hoppe ne se contente pas de ces deux exemples du choix de l’action et de l’échange ; il en propose d’autres :
+ La loi de l’utilité marginale décroissante.
+ Le principe de spécialisation selon Ricardo : « si A est plus productif que B dans la production de deux types de biens, ils peuvent encore se lancer dans une division du travail mutuellement bénéfique ».
+ La théorie quantitative de la monnaie : « Si la quantité de monnaie augmente et que la demande de monnaie reste constante, alors le pouvoir d’achat de la monnaie chutera »
+ L’effet néfaste d’un salaire minimum : « si des lois de salaire minimum sont appliquées, exigeant des salaires plus élevés que ceux existant sur le marché, un chômage involontaire en résulte »
Chacune de ces propositions connait, a minima, des contre exemples : La loi de satisfaction marginale décroissante est moins universelle qu’il y parait (Hirshman : « Bonheur privé, action publique»). Le principe ricardien, universellement admis, exclut les phénomènes de synergie dus à l’échange d’informations (tout professeur connait les effets désastreux du partage a priori des tâches entre deux élèves quand il s’agit de faire un travail collectif). Les travaux empiriques effectués dans le New Jersey (cités par Cahuc et Zylberberg) sur le salaire minimum sont suffisamment connus pour nuancer les idées émises sur le salaire minimum. Enfin, les hypothèses sous jacentes à la théorie quantitative que l’auteur indique lui-même (« la demande de monnaie reste constante ») suffisent à en limiter la portée. Toutes ces propositions peuvent être des points de départ ou des guides intéressants pour la réflexion et l’analyse mais apparaissent dans ce livre plutôt comme des actes de foi. Hoppe considère qu’à condition que le processus de déduction soit sans erreur, les conclusions que donne un tel raisonnement sont valides a priori. Hoppe précise que si la déduction est faite pour un monde d’hypothèses supposées (comme un Robinson sur son île) « alors les conclusions sont, bien sûr, a priori vraies mais seulement pour un tel « monde supposé ». Mais ajoute-t-il, la situation et les changements peuvent être identifiés comme réels, perçus et analysés ainsi par des acteurs réels, alors les conclusions sont a priori de vraies propositions traitant du monde tel qu’il est réellement. Et c’est là qu’on retombe sur l’aporie récurrente de cette démarche : comment détermine-t-on que ces changements sont « réels » ? Enfin, Hoppe rappelle l’impossibilité de la prévision en économie et il ne prétend pas que la praxéologie permette de meilleures prévissions que les autres démarches (notamment empiristes) mais d’après lui, « à long terme, le prévisionniste praxéologiquement éclairé fera mieux que les prévisionnistes non éclairés». Oserait –on dire qu’à long terme nous seront sous morts ?
La démarche autrichienne a incontestablement quelque chose de fascinant mais l’ouvrage de vulgarisation de Hoppe nous montre clairement pourquoi il n’est pas utile de se laisser séduire par ses sirènes.
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