C'EST DANS LES GENES , STUPID!
Ce T.D. permet de "mesurer" l'impact de la croyance dans la toute puissance des gènes sous forme d'un bêtisier à la fois distrayant et déprimant
« C’EST DANS LES GENES, STUPID ! »
(Thierry Rogel – professeur de sciences économiques et sociales –
Lycée Descartes de Tours)
Le gène a donc quitté les laboratoires scientifiques pour se diffuser dans le monde mais il devient alors un « mot valise», c’est à dire un terme qui peut porter toutes les significations possibles. Qui n’a pas entendu un jour prétendre que « c’est dans les gènes » ? « C’est dans les gènes ! » : une expression qui a gagné un statut particulier dans notre vie quotidienne ; on peut le constater en faisant une recherche rapide sur Internet puisqu’on trouve 21 400 pages en français à partir du moteur de recherche le plus utilisé. La compilation suivante est fondée sur une soixantaine de pages seulement : des articles, des textes scientifiques, des textes tirés de forums ou de blogs. On rêve à ce qu’un Goffman aurait pu tirer d’un tel matériau. (Nous avons cependant écarté les réflexions qui semblaient relever du second degré - heureusement que les « smileys » sont là)
PREMIERE CATEGORIE : PROPOS APPAREMMENT PAS MECHANTS ET PAS DANGEREUX
EXTRAIT
"Refrain
Les bras en l'air, ton pouls s'accélère
Faut que tu su à grosses larmes on l'fait pas pour l'salaire
Musique c'est dans les gènes
Musique c'est dans les veines
Logique c'est pas la peine
De nous dire de quitter la scène
Agite les bras bien haut
Cogite surtout pas trop évite
Pour que ton esprit lévite
J'prends le micro j'l'agrippe
Flow, rimes, mélodies et rythmiques
Un aquarium dans nos cockpits
Il faut que les baffles crépitent
Que tous les barges s'écartent et que toute la merde s'effrite
Que le mal rejoigne ses cryptes et que le son vous remue les tripes" http://www.dialect-music.com/elements/txt1.pdf
Dans cet extrait de texte de chanson, on repère trois clichés : la musique c’est, d’une manière ou d’une autre, inné ; donc d’une manière ou d’une autre çà vient du ciel (de Dieu, la vocation,…) ; on a ici les deux sources de l’inné, la traditionnelle qui est le sang et la source « moderne », le gène.
EXTRAIT
"Une question => Est-il possible de lutter contre sa morphologie ? [Mon père n'a quasiment pas de mollets et moi non plus j'en déduit donc que c'est dans les gènes ! :'(]
Genre quand je contracte de dos le mollet est "large" mais de face c'est comme si il avait été aplati c'est trop bizarre ! Quelqu'un pourrait me répondre ?" http://www.courseapied.net/forum/msg/20712.htm.
J’ai gardé ce propos qui n’a sans doute rien d’inexact : faisant référence à des données biologiques, on peut supposer que « le » gène y est pour quelque chose ; on peut supposer aussi que le mode de vie, les habitudes de marche et peut être l’apprentissage au plus jeune âge aient pu jouer.
DEUXIEME CATEGORIE : GENES ET COMPORTEMENTS
EXTRAIT "Une équipe de chercheurs a prouvé qu'il y avait un lien entre la générosité et l'ADN. Il s'agit du gène dit AVPR1 ou de ses variantes. (…) Les personnes les plus généreuses sont en effet porteuses du gène AVPR1. Celui-ci stimule la création d'une hormone (l'arginine vasopressine) qui agit sur une partie du cerveau et favorise le comportement altruiste, selon le professeur Ariel Knafo, du département psychologique de l'Université hébraïque de Jérusalem. "A ma connaissance, il a pour la première fois été établi qu'il y a un lien direct entre la générosité humaine et les variantes de l'ADN, a-t-il déclaré. Pour aboutir à cette conclusion, les scientifiques israéliens ont fait un test sur le comportement. Ils ont donné 12 dollars à 203 individus. Environ la moitié de ceux qui étaient prêts à donner anonymement la totalité ou en partie de leur argent, étaient porteurs du gène AVPR1 ou d'une de ses variantes. Les résultats de cette étude ont été publiés en ligne sur la revue Genes, Brain and Behavior." D'après agence - le 06/12/2007 - 15h23Etude - Un grand classique de la « génétique du comportement » : on repère une corrélation entre un gène et un comportement et on en tire une causalité directe avec une particularité c’est qu’ici on prétend avoir trouvé le facteur causant (l’arginine vasopressine) alors que souvent on en reste au stade de la corrélation. Les critiques qu’on peut faire à ce type de travail sont à peu près toujours les mêmes : la petite taille de l’échantillon (203 individus), le constat d’une corrélation sans se poser la question de la structure de corrélation sous-jacente, le fait qu’un comportement qualitatif complexe (ici la générosité) soit envisagé de manière simple. Enfin, on n’indique pas si ce résultat a pu être reproduit par d’autres laboratoires (ce qui est un début de confIrmation indispensable).
EXTRAIT Les Blouses Roses « Le bénévolat, c’est dans les gènes ! Ma grand-mère et ma mère étaient bénévoles, ma fille l’est aussi. Ce n’est pas pour donner. C’est pour recevoir ! Les malades vous apportent une joie immense, ils vous disent merci et vous embrassent… Cette émotion n’a pas de prix, elle vous offre une sérénité au quotidien et un grand équilibre ».
C’est du haut de ses 76 printemps et de ses 34 ans de bénévolat, qu’Arlette Héliès, veuve de marin, évoque la passion qui anime sa vie depuis toujours. http://www.femina.fr/vf3/leprixlesfemmesversionfemina/7e-edition/var-matin/helies-arlette.
Le même constat est fait que dans le texte précédent, mais ici c’est le sens commun qui parle et non la « science ». Le constat d’une transmission de la générosité entre mères et filles est immédiatement traduit en termes génétiques. On peut faire deux constats : d’abord, il y a assimilation de l’hérédité à la génétique ; assimilation qui existe dans le langage puisque, rappelons le, « héréditaire » veut simplement dire « qui passe d’une génération à l’autre » et il y a une « hérédité juridique » (c’est le premier sens), une « hérédité sociale » et une « hérédité génétique ». Deuxième remarque : on aurait de la peine à contredire cette dame puisque le gène lui permet d’établir un lien magique dans sa généalogie, lien unissant les femmes de la lignée et, qui plus est, fondé sur une grande qualité.
EXTRAIT "Mais le respect, ça se mérite, ce n'est pas quelque chose qui doit être acquis ! Enfin, ce n'est que mon avis, hein. C'est un attachement du bébé envers ses parents dès la naissance. C'est dans les gènes. C'est pour ça que quoiqu'il arrive, même si les parents sont méchants envers leurs enfants. Les enfants les aimeront toujours. A quelques exceptions de parricides". http://www.forum-auto.com/les-clubs/section7/sujet234955.htm. L’attachement à la naissance. Il semblerait qu’il existe : d’après Konrad Lorenz (que je n’ai pas lu), un jeune canard s’attache au premier être vivant qu’il voit ; les gènes ancestraux agiraient ?
TROISIEME CATEGORIE : LES HABITUDES FEMININES ET MASCULINES.
On pourrait dire qu’il s’agit d’un sous ensemble de la génétique du comportement mais suffisamment important pour qu’on lui fasse une place à part.
EXTRAIT
L'infidélité, c'est dans les gènes ! (Vendredi 03 décembre 2004). "Les scientifiques sont en permanence en train de chercher l'origine génétique de toutes les facettes de la personnalité. Et c'est particulièrement vrai pour les comportements : gène de l'intelligence, de l'homosexualité, etc. Aujourd'hui, des chercheurs anglais pensent avoir mis la main sur le gène de l'infidélité... chez les femmes ! Pour cela, ils ont étudié 1600 jumelles, en les interrogeant sur leur vie sentimentale et sexuelle, et leurs éventuelles incartades amoureuses. Résultat : ils ont trouvé que lorsqu'une des sœurs est plutôt volage, sa jumelle a beaucoup plus de risque de l'être aussi. Ils évalueraient ainsi à 40 % la transmission du trait de caractère « infidèle ». Alors si votre femme vous trompe, dites-vous que c'est malheureusement la nature qui est à blâmer... "Source : Twin Research, décembre 2004, Times Magazine, 25 novembre 2004. http://news.doctissimo.fr/l-infidelite-c-est-dans-les-genes-_article1341.html
Encore un classique : la comparaison de jumeaux-jumelles. En général, on fait cette comparaison avec de « vrais jumeaux » séparés à la naissance, qui sont censés avoir le même patrimoine génétique mais un environnement social différent. Même cette méthode, parfois présentée comme parfaite, souffrent de biais (notamment le fait que de vrais jumeaux n’ont pas tout à fait les mêmes gènes). Ici, il s’agit de jumelles non séparées dont on ne sait pas si elles sont vraies ou fausses (monozygotes ou dizygotes si on veut parler « scientifique ») et pour lesquelles on établit juste une corrélation et on déduit de cette corrélation que la cause serait génétique alors qu’on pourrait aussi se poser la question de leur vie familiale, du comportement de leur père ou de leur mère, des interactions entre jumelles,… La même démarche avait été utilisée pour « démontrer » les causes génétiques de l’homosexualité : la probabilité pour un vrai jumeau d’être homosexuel si son frère l’était était plus forte que pour un faux jumeau, laquelle était plus forte que pour deux frères. Le problème c’est que normalement, deux faux jumeaux ne partageant pas le même patrimoine génétique, ne sont pas plus proches génétiquement que deux frères et les probabilités devraient être les mêmes dans ces deux derniers cas. Un point amusant : ici on prétend montrer les sources génétiques de l’infidélité féminine alors que, généralement, on se sert du gène pour démontrer l’infidélité masculine, ceci dans le cadre de la « sociobiologie », thèse qu’on peut résumer de la manière suivante : la « cible » de la sélection n’est pas l’individu mais le gène ; nous permettons aux gènes de se transmettre ou, dit autrement, chaque individu essaie de transmettre le maximum de ses propres gènes. Dans ces conditions, l’homme a intérêt à avoir le maximum de partenaires sexuelles (il a donc une stratégie « quantitative ») alors que la femme, étant contrainte par la période de grossesse, ne peut pas avoir une telle stratégie ; elle doit donc viser la qualité et choisir un « bon » porteur de gène, donc être fidèle. Il faut voir que dans cette thèse, le gène n’est pas le même que dans la première ; ce n’est pas un morceau d’ADN c’est seulement une hypothèse posée pour expliquer un phénomène. J’aime bien la confrontation des deux thèses parce que çà permet de dire que si l’homme est infidèle, c’est pour la bonne cause alors que la femme… :+) On pourrait se dire que çà ne vaut pas la peine de passer autant de temps sur ce genre de « recherches » mais il faut se rappeler que lorsqu’un journal fait ses grands titres sur le « gène de l’infidélité » ou de l’homosexualité,... c’est souvent sur ce genre de recherches qu’il se fonde.
EXTRAIT
"Avez-vous remarqué que le barbecue est vraiment une affaire d’hommes. Il faut les voir avec leurs grandes pinces manipuler la viande, tout en refaisant le monde, un verre de vin à la main. Lorsqu’ils sont regroupés entre hommes autour d’un barbecue, je ne m’y aventure pas. Vous pensez que c’est dans leurs gènes ? "Rédigé par : Ester | 14 juin 05 12:34:18 "C'est dans les gènes, c'est sûr ! et c'est tant mieux parce que la chaleur d'un barbecue en plein soleil, c'est intenable..." http://scally.typepad.com/cest_moi_qui_lai_fait/2005/06/sauce_barbecue.html
Je suppose que la vaisselle est une affaire de femmes. Ces propos un peu simplistes rejoignent en fait d’autres perspectives théoriques dont la « psychologie évolutionniste » (qu’on pourrait classer dans la même catégorie que la sociobiologie) selon laquelle des aptitudes seraient transmises selon le sexe de génération en génération : ainsi des différences entre hommes et femmes comme les différences de champ de vision seraient le résultat d’une sélection de type darwinien. Ces théories reposent sur deux hypothèses « lourdes » (comme on dit) :
1°) que les facultés acquises se transmettent génétiquement (la fameuse « hérédité des caractères acquis »)
2°) Qu’elles se transmettent différemment selon les sexes donc qu’elles se situent sur les chromosomes X ou Y.
Ce type de thèses s’est bien diffusé dans la population grâce à des ouvrages grand public comme ceux des époux Pease, « Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières ».
QUATRIEME CATEGORIE : L’INEXPLICABLE (L’ART ET LES DIVERSES VOCATIONS)
EXTRAIT
"Toujours infatigable, il continue de se promener entre son atelier de Turgut Reis, près de Bodrum, son musée d’Istanbul et son atelier dans Soho, sur Manhattan : « Vous comprenez, la peinture, c’est dans les gènes … Prenez les hommes de Lascaux … Eux, ils ne jouaient pas du piano mais ils savaient peindre» s’exclama-t-il en riant !" http://bosphore.blog.lemonde.fr/2007/10/16/burhan-dogancay-%C2%AB-peindre-c%E2%80%99est-dans-les-genes-%C2%BB/ 16 octobre 2007 Burhan DOGANCAY : « peindre, c’est dans les gènes ! »
On a à la fois le caractère « magique » du gène qui permet de peindre, son caractère collectif (« les » hommes de Lascaux). A remarquer que, si on suit B. DOGANCAY, nous avons du perdre le gène de la peinture au cours de l’évolution et gagner celui du piano.
EXTRAIT "C'est dans les gènes de l'Homme de s'en remettre à une entité supérieure ? Oui, car c'est dans les gènes de l'Homme d'avoir un cortex cérébral aussi développé." http://www.gamekult.com/communaute/forum/voirmessage.html?foid=13735632
L’entité supérieure à laquelle il est fait référence est bien sûr la religion. On a ici une belle conjonction entre religion, humanité et science (avec la référence au cortex cérébral assimilé au seul gène, ce qui est d’ailleurs une simplification abusive).
EXTRAIT "C'est très joliment fait et bien réaliste !! Bien sûr que l'art, c'est dans les gènes !! Un grand bravo au dessinateur et au coloriste !! Hip hip hip... " Posté par Farfarelli, 15 janvier 2008 à 14:26 http://rackael.canalblog.com/archives/2008/01/13/7542900.html "C'est dans les gènes, le talent pour les loisirs créatifs !!! Un grand bravo à elle !!!" commentaire n° : 2 posté par : HELENE (site web) le: 06/04/2008 08:29:37 http://bidouilleriesbilitounette.over-blog.com/article-18090925-6.html
Ici, le gène permet d’expliquer la particularité, la différence, et non plus la ressemblance comme dans les exemples précédents.
EXTRAIT
"René : Je ne compte sur rien du tout! Ne vous inquiétez pas ! C’est juste que ma maman s’est mise au tricot, et que prise par le récit, j’ai manqué de précision ! Mais j’attends avec impatience que bébé plante, cueille et taille avec sa grand mère, et tente, lui aussi, de m’enseigner les noms savants des plantes qu’il retiendra lui, parce que c’est dans les gènes !!" http://www.blogdesego.fr/2007/05/19/les-merveilles-doctobre/
On atteint une étape nouvelle : habituellement, le gène est conçu comme se transmettant de génération en génération et expliquant les ressemblances. Ici, il explique les différences entre mère et fils : les capacités passeront de grand mère à petit fils et cette transmission se fait par les gènes (et pas tout bêtement par l’apprentissage). On a ici l’illustration de « l’atavisme » (c’est à dire les particularités psychologiques sautant une ou plusieurs générations). Et, grande nouveauté, le gène permet de changer le sens de la transmission, c’est le petit fils qui apprendra au père.
EXTRAIT
"Interview réalisé au Festival des arts dans la rue de Morlaix le 31 Juillet 2002. Dans la rue, tu croises des mecs extraordinaires, ils te balancent un message à la gueule, et t’en fais ce que tu veux. Le talent Burattini se trouve dans les gènes, et ni lui, ni personne n’arrivent à l’expliquer." http://www.lefourneau.com/dubruitdanslacuisine/imprimer.php3?id_article=2
Ici, tout est dévoilé : le gène permet d’expliquer ce qu’on ne sait pas expliquer. C’est tout !
EXTRAIT
"Ses textes sont nés dans des chambres d’Asie, au royaume de Siam, à Sumatra ou à La Havane... « Cette histoire de création est fragile. Il ne faut pas laisser passer les voix à la Jeanne d’Arc. » Selon Manset, l’inspiration est « à 30% héréditaire » : « C’est dans les gènes ou non. Quelques-uns l’ont : Trenet l’avait ; Brel, non, c’était un tâcheron, mais il arrivait à atteindre le merveilleux. Gainsbourg l’a dévoyée. Avec le recul, je me rends compte que j’ai eu aussi cette inspiration brute au moment d’Animal on est mal... Ensuite, 30% vient du tempérament. Le reste relève de la clairvoyance et du travail bien fait - pareil à l’ébénisterie. » (Gérard Manset : Sur la route http://www.lexpress.fr/mag/arts/dossier/chanson/dossier.asp ?ida=426508 propos recueillis par Gilles Médioni) http://www.iparoles.net/spip.php?article42
Le chanteur Gérard Manset nous offre une approche plus complexe, pseudo scientifique et quantitative : « 30% héréditaire ». D’où vient ce 30% ? De plus, on retrouve la confusion entre génétique et héréditaire. Mais il complique l’approche en supposant que chez certains chanteurs (Trenet) c’est entièrement le gène (ou l’inné) qui joue alors que chez Brel c’est le travail (ou l’acquis). Ce n’est évidemment pas sérieux mais çà permet de parler de musique, d’y réfléchir et de rêver. En fait, sans utilisation du terme « gène », l’explication aurait été au moins aussi belle et aussi intéressante.
EXTRAIT "Elle passe aussi de longues heures à....rien. Elle ne regarde pas un objet particulier, elle n'est pas en train de s'endormir. Elle...rien. Et ca à l'air 'achement important. Un moment à soi que beaucoup perdent en grandissant. A si, quand même, l'inégalable qu'elle a reconnu sans l'avoir jamais vu (c'est dans les gênes? Parce que dans la culture c'est un peu tôt)".http://mowglinomade.canalblog.com/archives/2008/02/26/7945453.html
La reconnaissance de la girafe Sophie serait dans les gènes (remarquez, çà expliquerait la longévité de son incroyable succès). On ne sait pas quel âge a le bébé en question ; réagit il à la forme, à la couleur,… ? Auquel cas on pourrait dire que les gènes ont à faire de manière très éloignée (de même que notre capacité à parler à affaire avec les gènes). Mais on voit encore que le recours à l’hypothèse du gène vient de ce que « c’est un peu tôt pour la culture » ignorant que la culture agit dès les tout premiers âges de la vie.
CINQUIEME CATEGORIE : LE GENE COMME SUPPORT DE L’IDENTITE COLLECTIVE
Là, attention, on va se faire peur.
EXTRAIT
"Dans l’sud du département, le hobby c’est l’élevage de brebis
Après le dépeçage on en fait des habits
On reste New-York garçon
Casquette en fourrure de mouton
Dans les années 70 y’a eu une vague d’immigration
Des chevelus barbus fumeurs de joints, grosse consommation
Combien en reste-t-il de la deuxième génération ?
On s’improvise pas du bled, c’est dans les gènes de notre Nation
Certains ont obtenu leurs papiers
Pour rester au pays
A la seule condition de fabriquer
Des bons produits
Je crois qu’il est l’heure de rendre hommage
A cette vague hippie
Big up aux producteurs d’fromage
Et de vrais baguépis
As-tu déjà entendu parler du FLA ?
Front d’libération de l’Aveyron, tatoué sur mon bras
C’est vrai qu’on pose pas d’bombes pour faire peur à l’État
Mais celui qu’t’entend milite depuis qu’sa mère l’allaita" http://stephane.busuttil.free.fr/b10g/index.php/2007/12/31/38-le4p-bienvenue-dans-l-aveyron
Revendication à la fois « régionaliste », anti hippie, nationaliste,…çà fait peur ! Mais on apprend qu’il existe un gène de l’Aveyron.
EXTRAIT "Ce caractère des footballeurs de l’Ile de Beauté ne vient donc pas spécialement du club où ils ont été formés ? Non, c’est dans la vie quotidienne d’un corse. Je dirais que nous sommes élevés comme ça. C’est dans les gènes !" bollaert.free.fr/pagehtml/interview/Rencontre%20avec%20Bruno%20Rodriguez.doc –
Encore un beau mélange. Mélange entre éducation et gènes : « Je dirais que nous sommes élevés comme çà. C’est dans les gènes ». Mélange entre capacités sportives et génétique et au travers de cela, une revendication identitaire qui prend corps sur le gène.
EXTRAIT "Connaissez-vous Tozeur ? C’est cette ville tunisienne qui se jette dans les bras du Sahara mais qui lui barre le passage grâce à une palmeraie de plus d’un million de palmiers dattiers. (…) Mais pourtant. C’est toujours ce paysan, ce travailleur de la terre aux mains calleuses et au dos courbé qui est souvent le plus joyeux et le plus serein. Les Tozeurois sont même considérés en Tunisie comme les rois de la plaisanterie, sans blague ! Même le plus grand poète tunisien est originaire de Tozeur, l’hymne national c’est de lui : Al Chabbi.Cherche pas c’est dans les gênes ! Nous et les autres. On n’a pas tous l’odeur intime de la terre plein les pores du corps, mais on peut toujours apprécier !" http://www.rahhala.net/consultcourrier.php?id=111&PHPSESSID=78529d9f0fd1b5509208d08064e0ab54
Ici, nous avons les gènes d’une ville tunisienne expliquant le sens de l’humour et de la poésie. Qui dit mieux ?
EXTRAIT "Nous arrivons à la Nouvelle Orléans, et sommes agréablement surpris par notre balade dans le « French quarter » le quartier français appelé aussi « VIEUX Carré ». De petites ruelles bordées de belles maisons coloniales, des balcons en fer forgé sur lesquelles sont suspendus de plantes à la végétation luxuriante….c’est superbe ! La ville est plutôt animée, beaucoup de bars, de la musique partout, le jazz est né ici… et on aime faire la fête, c’est dans les gênes !" http://davidetmonica.top-depart.com/etats-unis-les-/louisiana/recits/sur-les-rives-du-mississipi-21329.html
Le sens de la fête est dans les gènes mais l’implicite ? dont David et Monica ne sont peut être pas conscients, fait froid dans le dos. Les gènes détermineraient le sens de la fête et de la musique (le Jazz)…mais les porteurs de gènes, ici, ce sont les noirs.
EXTRAIT "Origineaire de gwadrou j'ai le sang de l'Afrique dans les veinne pour nous aucune aubene pour eux c'est dans les genes ils detestent nos H L M et tout c'qui s'crame dedans la profondeur de nos problemes, la souffrance de nos parents, mon enfance glacée incompris ca ma fait mal man, voila pourquoi notre epoque est marginale man brizez pas nos reves car nos reves de demain et j'croit qu'c'est ça qui nous tient" http://www.lyricsmania.com/lyrics/mafia_k1_fry_lyrics_13053/jusqu%C3%A0_la_mort_lyrics_39819/incompris_lyrics_431779.html
Ce texte est différent des autres puisque cette fois ci, le gène est du « mauvais côté » mais il y a une opposition intéressante entre « le sang » qui est revendiqué et les « gènes » qui sont cités par « eux ». On a une opposition « sang/gène » qui recouvre une opposition « Nous/eux » et, peut être, « ancien ou tradition/modernité », « Afrique/HLM »,…
SIXIEME CATEGORIE : L’INQUIETANT, DEGUEULASSE ET PARFAITEMENT ASSUMÉ.
EXTRAIT
"Peux-tu te présenter ?
Je m'appelle Boris Petrovic, je suis étudiant en Management et Sciences de l'Information. Le reste du temps, je suis aussi philosophe, artiste techno, musicien et designer. (…)
Quelle était ton opinion sur le Kosovo et ce qu'il s'y passait avant les frappes de l'OTAN ?
Bon, j'espère que tu sais que le Kosovo est une partie de la Serbie, Yougoslavie. Je me fichais de savoir si c'était le Kosovo américain ou l'Albanie ou quoi que ce soit, mais maintenant je veux le garder au prix de ma vie, comme les 11 millions de Serbes qui vivent ici. C'est dans les gènes. Personne ne me prendra ce qui est à moi ! Tout le monde y vivait normalement jusqu'à il y a deux ans. C'était une rebellion armée, non pas de toute la population albanaisene du Kosovo, mais d'insurgés venus d'Albanie. Ils ont déjà leur patrie. Ils vivent en Serbie depuis 40 ans, sous les lois serbes, et personne ne les y a forcés" http://www.laspirale.org/pages/afficheArticle.php3?id=86&lang=fr
Sans commentaire.
EXTRAIT
"Mon premier antisémite
Yaïr Lapid
[les antisémites sont rares en Israël. Alors, quand, en Russie, un chroniqueur israélien en rencontre un (une, pour l'occasion), cela l'amuse et il s'amuse. Très israélien] (…) Elena était mon guide. Elle avait 50 ans, les yeux clairs et les cheveux coiffés en quatre couches de rose et blanc. Deux fois par semaine, elle allait à la messe à l'Eglise orthodoxe russe, et elle n'aimait pas les Juifs. Je ne sais pas si j'ai jamais réfléchi à l'aspect que pourraient avoir les antisémites, mais il est sûr qu'ils ne lui ressemblaient pas. Une petite femme à la peau laiteuse, dont le cou s'élève vers vous comme celui d'un oiseau quand elle vous parle. "Les Juifs", m'expliqua-t-elle sincèrement, "sont génétiquement plus au courant. C'est pourquoi ils ont été les premiers à voler les Russes après la chute du communisme." Qui est ce "nous"?, lui demandai-je. Et si "nous'" avons volé tout l'argent, pourquoi n'en ai-je rien reçu? "Ne faites pas l'idiot avec moi", se fâcha-t-elle. "Qui sont les oligarques, Berezovski, Chodorovski, Abramovitch, Gosinski et Gomelski? Tous des Juifs. Au moment où nous commencions à comprendre ce qui se passait, ils avaient déjà tout raflé. C'est comme cela que vous êtes. C'est dans vos gènes. Vous vous débrouillez bien avec l'argent."
C'est dans les gènes?
C'est la deuxième fois qu'elle parlait de "gènes", lui fis-je remarquer.
"Pourquoi pas?" Elle me fixait de ses yeux bleus innocents, mais le combat avait commencé. "N'est-il pas vrai par exemple que vous êtes très proches de vos familles?"
Oui, je suppose.
"Vous voyez?", exulta-t-elle. "Alors, s'il est acceptable de dire que sur ce point, vous êtes différents, pourquoi est-il inacceptable de dire que vous êtes construits différemment d'autres manières?"
"Quelles manières?" demandai-je avec soupçon.
"Moralement", dit Elena. "Vous voyez le monde différemment."
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Yair_Lapid.051206.htm
Il y aurait un bouquin entier à faire sur ce dialogue où on a la plupart des assimilations à la base des discriminations antisémites : le « nous » qui recouvre à la fois la famille et la communauté supposée, la plus grande intelligence supposée (rappelons que l’antisémitisme doit être une des seules discriminations où l’on suppose que l’autre est supérieur), le rapport au pouvoir, à la classe (l’oligarchie) et à l’argent.
SEPTIEME CATEGORIE : QUAND LE GENE EXPLIQUE TOUT ET SON CONTRAIRE.
EXTRAIT "Ouh Chimène est merveilleuse ! La voilà la diférence entre les p'tits gars et les p'tites filles... c est dans les gènes le ménage .... Quand je pense que j adorais repasser les mouchoirs et les torchons pour ma mère .. toute fière ... Et que maintenant je déteste ça, voire meme je sous-traite le repassage ...à destination des mamans de garçon = N oubliez pas de leur apprendre à repasser une chemise , ça peut servir
Mon mari en est bien incapable ou alors c est le carnage complet ! Alors que les fistons, ils se débrouillent pas mal" http://vanb.typepad.com/maviesansmoi/2007/10/les-gestes-que-.html
Le ménage est dans les gènes et pourtant elle déteste çà, son mari est nul mais ses enfants savent le faire. Où on voit que le gène ne signifie vraiment plus rien.
CONCLUSION
Parti de l’analyse d’une expression, « c’est dans les gènes », on aboutit à un « objet social total ». Le « gène » est à la fois un objet scientifique (mais à ce titre il n’a pas qu’un seul sens, le gène des biologistes moléculaires n’est pas celui des sociobiologistes) et un objet de « sens commun ». Dans ce dernier cas, on aboutit à l’idée un peu frustrante qu’il permet d’expliquer tout et son contraire mais surtout d’expliquer ce qu’on ne sait pas expliquer ; à ce titre, il s’agit d’une « hypothèse héroïque » comme Dieu, l’action des fées ou (mon préféré) des lutins de la forêt.
On pourrait délaisser le problème en se disant que « puisque c’est faux, pourquoi s’en préoccuper ? » alors que c’est bien pour cela qu’il faut s’en préoccuper. On ne saurait mieux dire que Boris Cyrulnik : « Quand un mot est technique, il se contente de ronronner dans son milieu de spécialistes, mais dès qu’il est accueilli par la culture, il enfle et se boursoufle et se charge d’une signification qui n’est plus celle de son origine. Alors les opposants, irrités par le gonflement de cette baudruche sémantique, tentent de la percer parce qu’elle prend trop d’espace, sans même se préoccuper de ce qui a justifié son fondement.(…) Cette pensée paresseuse structure les idéologies, mais n’a plus rien à voir avec le concept original.(…)
Le choix du mot est déjà une interprétation du monde »
Le gène peut alors être effrayant puisqu’il est parfois le support des discriminations individuelles et / ou collectives mais, et c’est en cela qu’il est un « objet social total », il peut faire rêver en permettant de renforcer une généalogie mise à mal par les temps modernes. Qui a dit que la science « désenchantait le monde » ?
(Boris Cyrulnik - Médecin, directeur d’enseignement à l’université de Toulon-Var http://croire.blog.lemonde.fr/2007/07/17/la-resilience-et-les-perroquets-de-panurge/)
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