LA SOCIETE DES SUPER-HEROS

LA SOCIETE DES SUPER-HEROS

 Economie, Sociologie, Politique

Jean-Philippe Zanco

Ellipses - 2012

Note de lecture sur "la société des super-héros" de Jean-Philippe Zanco. Une utilisation des super-héros pour expliquer des concepts fondamentaux en Sciences économiques et sociales

Ces derniers mois, on assiste à un foisonnement de livres consacrés au thème des super-héros : ouvrages de spécialistes de son histoire ou relectures au prisme de la philosophie ou de la sociologie. Jean-Philippe Zanco, professeur de sciences économiques et sociales, choisit un angle un peu différent : certes, comme dans les ouvrages précédemment parus, il se demande dans quelle mesure ces récits permettent de comprendre la société dans laquelle ils s’insèrent ; c’est l’objet de l’introduction et de la conclusion de son livre. Mais dans le développement, il choisit une autre approche qui est de montrer que l’exemple des super-héros permet aisément de présenter et faire comprendre les grands concepts utilisés en Sciences Economiques et Sociales (S.E.S.), la discipline qu’il enseigne. Dans l’introduction, il reprend l’énigme que tout adulte amateur ou ancien amateur a pu se poser, à savoir « qu’est ce qui a pu se passer entre l’enfant qu’il a été et ces personnages en collants ? ». Personnages fascinants pour les enfants de l’époque mais dont les parents se méfiaient parfois comme des représentants d’une « sous-culture  aux valeurs perverties». Pourtant, malgré ces handicaps de départ, le succès de ces personnages ne s’est pas démenti et ils sont sortis des cases des comics pour assurer leur célébrité dans les dessins animés, les jeux vidéos, les divers produits dérivés et, surtout, le cinéma. Dans la conclusion, l’auteur aborde la question de la popularité des super-héros. Les super héros dont les histoires sont structurées comme les grands récits mythiques auraient-ils pour fonction de réenchanter un monde soumis à une rationalisation croissante ? C’est peut-être ainsi qu’on peut expliquer l’apparition de Superman à la fin des années 1930. Le super-héros ne serait alors rien d’autre « qu’une forme syncrétique du héros mythologique, du saint, du prophète, revêtu de couleurs chamarrées. Un mythe moderne  la fois populaire et désacralisé » (p.175). Mais, pour la période récente, Jean Philippe Zanco préfère retenir l’idée que le mythe (et les récits issus des comic books) est un porteur de croyances et est donc créateur de solidarité.C’est cette même fonction qu’on retrouve aujourd’hui chez les « real life super-héroes », ces quidams qui revêtent des costumes de super-héros pour accomplir des actions caritatives et des gestes citoyens ; image étonnante du personnage de fiction qui accède à une existence réelle et sur laquelle se clôt le livre de Jean-Philippe Zanco. Mais dans la majeure partie de l’ouvrage, l’auteur poursuit un autre objectif. Sans jamais oublier que ces récits peuvent constituer des reflets de la société qui les a générés, il s’attache essentiellement à utiliser les Super-Héros pour faire découvrir des concepts essentiels utilisés en Sciences Economiques et Sociales. En onze chapitres et en suivant une partition traditionnelle « Sociologie/Economie/Science Politique », il rattache chaque concept à un personnage ou un groupe de personnages super-héroïques. Ainsi, la saga des X-Men permet-elle d’aborder les questions de la norme et de la stigmatisation en les rattachant aux noms de Merton, Goffman, Becker ou Durkheim. La présentation des Fantastic Four (« Quatre Fantastiques ») permet d’analyser les transformations de la structure familiale et de présenter les travaux de Durkheim sur ce thème. La question de l’inné et de l’acquis est vue à travers Hellboy, celle de la ville grâce à la présentation de Gotham-City et de Metropolis et les liens entre Green Hornet et Kado permettent d’aborder la question des classes sociales vues par Marx, Tocqueville ou Max Weber. Autant le lien entre sociologie et récits de super-héros semble évident, autant la présentation de concepts économiques est plus délicate à entreprendre : il faut reconnaitre que le pari de Jean Philippe Zanco est réussi. Pourquoi Batman laisse-t-il à son majordome Jarvis le soin de repasser ses chemises alors que ses capacités de super-héros lui permettraient de le faire plus efficacement ? Belle occasion de présenter la théorie des avantages relatifs de Ricardo et de traiter un chapitre du cours de première E.S. (« Première Economique et Sociale ») : « Pourquoi faire soi même  ce qu’on pourrait échanger avec d’autres? ». Mais, on le sait, les échanges et la coopération ne relèvent pas tous de la seule rationalité économique : fort heureusement, Jean-Philippe Zanco transgresse quelque peu les frontières établies entre disciplines pour rappeler que Superman, être omnipotent, ne gagnerait rien à s’associer avec Batman ; leur alliance ne s’explique que par une communauté de valeurs. Batman, décidément pédagogiquement très utile, sera à nouveau utilisé pour expliquer les différences entre production et productivité, la loi des rendements décroissants et la notion de « fonction de production » (il m’avait échappé que pour assommer ses adversaires, ce qui correspond à sa production, Batman usait d’un facteur travail, ses poings et ses muscles, et d’un facteur capital, ses gadgets). Iron-Man, héros développé par Marvel, a en commun avec Batman d’être le riche héritier d’un empire industriel. En effet, Tony Stark, alter ego d’Iron-Man, est en charge de la direction d’une entreprise de production d’armes et c’est grâce à ses connaissances techniques  qu’il inventa l’armure d’Iron-Man, une enveloppe métallique bourrée d’armes et de gadgets, plaçant ce super-héros entre le chevalier médiéval et James Bond. Mais il  devra régulièrement améliorer cette armure afin d’affronter des ennemis toujours plus puissants et efficaces. Pour Jean-Philippe Zanco, Iron Man est donc une image emblématique de l’entrepreneur schumpetérien au cœur de la « destruction-créatrice », soumis à une concurrence constante et devant faire face à son propre déclin. Au passage, il montre aussi comment les avantages de l’armure d’Iron-Man pour faire face à ses ennemis relèvent d’avantages « construits » et en profite pour présenter les travaux de Paul Krugman relatifs au commerce international. La troisième partie de l’ouvrage est consacrée aux questions de sciences politiques. Jean-Philippe Zanco aborde les notions de justice et d’équité à travers l’image de Captain America et les écrits de Rawls et Hayek. La question du pouvoir est abordée avec le personnage de Spiderman. Enfin, le chapitre 11 présente Superman comme le « Super-Héros total » et reprend la question qui parcourt toute l’histoire des Super-Héros depuis 1938 : « Quelle sorte d’homme doit-on être pour disposer de superpouvoirs sans en abuser ? » A l’aide d’un récit précis, Superman : son of red paru en 2003, Jean Philippe Zanco analyse la question de l’abus de pouvoir et du totalitarisme en utilisant des extraits de textes de Platon, Alexis de Tocqueville, Raymond Aron et Hanna Arendt. Ce livre court plusieurs lièvres à la fois et ne s’y perd pas. Il permet de montrer aux sociologues que le thème des super-héros est digne d’intérêt, et apporte aux amateurs de comics quelques éléments de sociologie. Mais l’essentiel de l’intérêt de ce livre totalement réussi tient d’abord dans son apport pédagogique et sera utile pour les enseignants.

Consultable ici :

http://lectures.revues.org/10040

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