NOUVEAU MANUEL DE SCIENCE POLITIQUE

NOUVEAU MANUEL DE SCIENCE POLITIQUE

A Cohen, B. Lacroix, Ph. Riutort (dir.)

La Découverte – Grands repères manuels - 2024

Troisième édition d’un « pavé » à destination des enseignants et des très bons élèves (typiquement ceux qui envisagent de passer les concours aux grandes Écoles). On peut juger de l’ampleur du travail par une présentation « morphologique » de l’objet : 800 pages dont 66 pages de bibliographie (autour de 2500 références bibliographiques), un index des noms cités dans l’ouvrage (aussi bien des auteurs que des acteurs politiques), un index d’une centaine de notions présentes et un lexique (assez court car le choix est de ne répertorier que les notions nécessaires pour la lecture du livre). Les douze chapitres du livre portent chacun sur une question particulière et sont construits pédagogiquement : chacun s’ouvre sur une courte présentation et des propositions bibliographiques (d’un « classique », d’ouvrages fondamentaux et d’ouvrages de synthèse) ; le cœur est constitué de deux ou trois longs textes (de « cours ») écrits par des spécialistes de la question et d’encadrés sur des thèmes particuliers. Le manuel propose donc des éclairages sur une large diversité de questions en mêlant et entrecroisant autant que possible les apports disciplinaires. Si en introduction les auteurs se prêtent au jeu des définitions de ce que qu’on entend par « politique » et « science politique », ils invitent à ne pas trop se polariser sur ces questions, la meilleure manière de cerner ces notions étant de travailler des questions précises : questions autour du pouvoir (et pas seulement du pouvoir politique en son sens restreint mais aussi du pouvoir de l’armée, de la police ou du pouvoir économique), de la domination bureaucratique, des figures de l’État, des dimensions internationales de la question des mobilisations politiques et du rôle du symbolique.

Pour arriver à bout de la rédaction d’un tel ouvrage il a fallu pas moins de 90 contributeurs, essentiellement politistes (Gaxie, Mayer,…), historiens (Boucheron, Charles,…) et sociologues (Sommier, Bonelli,…) mais on y trouve aussi un ou quelques philosophes (Froidevaux-Metterie), ethnologues (Bensa) et socio-économistes (Théret). J’ai du établir cette liste à partir de quelques « coups de sonde » car si les centres de recherche des auteurs sont indiqués je n’ai pas trouvé mention de leur discipline d’origine. Faut-il y voir une volonté et un désir de dépasser les clivages disciplinaires et éviter les risques de concurrence qui pourraient en découler ? Cela s’expliquerait par le fait que la Science Politique est une discipline relativement jeune sur les plans académique et institutionnel (page 21) et que son autonomie se construit sur ses relations avec les autres sciences sociales (« Ce n’est pas tant la longue épopée institutionnelle de la Science Politique qui contribue à la rendre autonome ( …) que la discussion avec les autres sciences sociales » - citation page 24). Cependant cela n’empêche pas que les différentes disciplines peuvent également disposer d’un quasi monopole sur certaines questions.  Cela apparait clairement dans un certain nombre d’encadrés : « Les cités italiennes du Quattrocento », « la frontière picarde », « Le new public management », « l’anthropologie politique », « la démocratie des talk-shows », « Le chômage comme catégorie d’action publique »,…. Chacun pourra donc bénéficier de l’apport des disciplines qu’il ne connait pas ou mal.

            L’Histoire occupe une place essentielle dans ce manuel : par exemple les parties relatives au fascisme, au soviétisme, à la Chine, aux printemps arabes, une bonne partie des chapitres traitant des questions internationales,... et d’une manière générale tous les chapitres relevant de la géopolitique. Cependant, la Sociologie occupe une place non moins importante ; les auteurs parlent d’ailleurs d’une « cannibalisation » de la Science Politique par la sociologie, même si les années 80 connaissent un « retour à l’Histoire »  (page 24). La consultation de l’index des noms semble aller en ce sens (pour peu que ce type de comptage superficiel ait un sens) : les auteurs les plus cités (et de loin) sont Max Weber (37 citations), Norbert Élias(24), Pierre Bourdieu (24), Émile Durkheim (19) et André Siegfried (18). On trouve donc les représentants phares des trois courants sociologiques traditionnellement retenus (sociologie de l’action, sociologie du fait social et Élias pouvant être rapproché de la sociologie interactionniste avec son concept de configuration). Mais il faut voir aussi que Weber et Élias dépassent les clivages disciplinaires : Weber est historien, économiste et sociologue et il y a bien longtemps que les travaux de Norbert Élias ont été intégrés dans le champ des historiens (voir notamment les travaux de Robert Munchembled). Le « nouveau manuel » nous renvoie alors aux difficultés que pose l’introduction de la Science Politique au lycée, dans l’option « Science Politique » de SES (Sciences Economiques et Sociales) entre 1995 et 2019 et en HGGSP (Histoire-Géographie, géopolitique et sciences politiques) depuis 2019. Sa consultation permet non seulement d’approfondir nos connaissances dans les domaines qui relèvent de notre discipline (en l’occurrence les SES) mais également d’aborder les questions familières aux historiens. Les enseignants d’HGGSP pourraient faire de même et mieux saisir les enjeux qui touchent nos deux disciplines, trop souvent mises en concurrence alors que la construction d’une « troisième culture » est devenue un impératif.

On peut toutefois peut-être regretter la faible place accordée à d’autres sciences sociales comme la  psychologie sociale (et collective), certes citée dans les chapitres consacrés aux medias (et, même si leurs travaux sont dépassés, il n’est fait nulle référence à Tarde et à Gustave Le Bon). Regret plus fort encore de voir l’ethnologie (ou l’anthropologie) cantonnée dans un encadré et seulement signalée par quelques références trop peu nombreuses dans le reste du manuel. Mais  ces regrets (qui concernent mes « dadas »)  ne remettent pas en cause l’intérêt et l’importance de ce « Nouveau Manuel ».

(Texte mis en ligne le 17 septembre 2024)

Table des matières simplifiée

(Version complète sur le site de l’éditeur : https://www.editionsladecouverte.fr/nouveau_manuel_de_science_politique-9782707187918)

Avant-propos
Chapitre introductif : L'analyse des phénomènes politiques
Introduction
I / Genèses des groupements politiques
II / Figures historiques de l'État parlementaire
III / Différenciations des formes de pouvoir
IV / Le champ du pouvoir
V. La domination bureaucratique
VI / Le champ politique
VII / Le phénomène électoral
VIII / L'entreprise partisane
IX / Les mobilisations
X / Le travail de mise en forme symbolique de la politique
XI / La construction européenne
XII / Les relations internationales

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