Cinéma : les super-héros rapportent gros
Cinéma : le super-héros rapportent gros - paru dans Alternatives Economiques n°318 - Novembre 2012
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Cinéma : les superhéros rapportent gros
Le 01 Novembre 2012
Trois ans après avoir mis la main sur le catalogue Marvel et ses 5 000 personnages, Disney mise sur les superhéros tirés des comics pour élargir son marché.
Par Thierry Rogel
En juin dernier, le film The Avengers est devenu le troisième plus grand succès de l’histoire du cinéma, avec 1,5 milliard de dollars de recettes. Créés il y a un demi-siècle, les superhéros Marvel ont désormais envahi nos écrans et colonisé l’imaginaire des adolescents. Retour sur une aventure entrepreneuriale très particulière.
L’histoire des superhéros commence en 1938 avec Superman. L’homme d’acier connaît un succès quasi immédiat puisque le journal dans lequel il paraît, Action Comics, va vendre jusqu’à un million et demi d’exemplaires par numéro et faire la fortune de DC (Detective Comics), l’éditeur qui publie également Batman, Aquaman, Flash, etc. Mais cette mode s’essouffle au début des années 1950. Elle reprend cependant quelques années plus tard sous l’aiguillon d’un outsider de la BD, Marvel, un éditeur qui avait créé Captain America en 1940. En 1961 en effet, Stan Lee, rédacteur en chef de la maison d’édition Timely Comics (futur Marvel), décide de créer toute une batterie de nouveaux superhéros : les Quatre Fantastiques, Hulk, Thor, Iron Man, Spider-Man, Daredevil, les Vengeurs (Avengers)... En moins de trois ans, pratiquement tous les personnages Marvel connus aujourd’hui ont pris vie. Ils rencontrent un succès immédiat aux Etats-Unis (et une dizaine d’années plus tard en France), même si à l’époque Marvel reste encore loin derrière DC.
Des hauts et des bas
Le succès de ces superhéros et sa longévité tiennent probablement au fait qu’ils sont dotés de personnalités fragiles et qu’ils doutent d’eux-mêmes, à l’image de Peter Parker (alias Spider-Man), adolescent et orphelin, élevé par sa vieille tante May et qui peine à se faire accepter par ses camarades de classe. Contrastant avec les héros parfaits et invincibles des années 1940, représentants d’une Amérique triomphante, dominant le monde après la crise de 1929, ceux des années 1960 correspondent mieux au malaise des baby-boomers et aux contestations naissantes de la guerre du Vietnam et de la société de consommation.
Cumul des recettes mondiales au 15 octobre 2012, en millions de dollars
L’histoire de Marvel ne va pas pour autant être une marche ininterrompue vers le succès. A partir des années 1980, la BD pour adolescents connaît partout de sérieuses difficultés sous la pression croissante de la télévision. En 1993, Marvel, mal en point, est rachetée par le milliardaire Ronald O. Perelman, qui s’intéresse surtout aux figurines, aux jeux vidéo et autres produits dérivés : il veut faire de Marvel un sous-ensemble de son groupe de jouets Toy Biz avec lequel Marvel fusionne en 1998. C’est dans ce contexte que le cinéma devient progressivement le coeur de l’activité, tirant tout le reste. Comme cela avait été le cas historiquement dès le départ chez Disney, son grand concurrent.
De la bulle au grand écran
Les superhéros ont très tôt investi le cinéma : Superman a fait l’objet d’adaptations en dessins animés dès 1941 et de films dès 1948. Detective Comics, le rival de Marvel, sera à l’origine du renouveau des films de superhéros à partir des années 1970 avec un Superman réalisé par Richard Donner en 1978 et deux Batman par Tim Burton en 1989 et 1992. Les personnages de Marvel font eux aussi leur entrée (avec des adaptations peu convaincante) sur le petit écran dès les années 1960 avec The Amazing Spider-Man, puis dans les années 1970 avec la série télévisée Hulk. Les premières tentatives de long-métrage datent du milieu des années 1980 avec le mythique et, paraît-il, désastreux Howard the Duck. Mais ce n’est qu’à la fin des années 1990 que Marvel perce sur les écrans (et sort de ses difficultés financières récurrentes) avec Blade en 1998 et X-Men en 2000. Blade constitue un cas intéressant, car le film affiche des scores plus qu’honorables alors que le personnage n’est pas le plus populaire des superhéros Marvel. Preuve qu’il n’y a pas de lien automatique entre succès des comics et succès cinématographique. Marvel se contente alors de coproductions et multiplie les distributeurs : les X-Men et les Quatre Fantastiques avec la 20th Century Fox, tandis que les Spider-Man sont produits avec la Columbia Pictures (Sony). Mais le succès croissant des superhéros sur grand écran incite Marvel à reprendre la production en main : Iron Man 1 sera en 2008 le premier film entièrement Marvel, suivi d’Iron Man 2, de Thor et de Captain America.
L’OPA de Disney
2009 marque un tournant majeur : le 31 août, Disney (qui pèse soixante fois plus en termes de chiffre d’affaires) annonce l’acquisition de Marvel à l’issue d’une offre publique d’achat (OPA) de quatre milliards de dollars (2,8 milliards d’euros). Le géant de l’entertainment met ainsi la main sur un catalogue de 5 000 personnages, susceptibles d’alimenter ses films futurs. Et se rapproche d’un public adolescent et masculin peu attiré jusque-là par les productions Disney. Ce rachat relance la rivalité entre Marvel et Detective Comics, désormais propriété de Time Warner. Il incite DC à réorganiser sa propre production de comics pour essayer de rattraper le retard accumulé depuis les années 2000 : en mai dernier, Marvel réalisait 53 % des 100 meilleures ventes de comics, contre 42 % pour DC. Ce qui laisse peu de places pour d’autres sur ce marché : le troisième éditeur, Image Comics, réussit à placer deux titres dans ce Top 100. Les comics ne pèsent toutefois plus que 20 % environ du chiffre d’affaires de Marvel ; le gros des recettes est lié à l’octroi de licences (plus de 40 % de l’ensemble), alors que le cinéma représentait à lui seul près de 40 % des recettes en 2008 (dernière année où les comptes de Marvel ont été publiés indépendamment). Les comics restent néanmoins à la base du business des films dont ils fournissent les héros.
A la conquête de la Chine
The Avengers est la première production dans laquelle Disney s’est pleinement impliquée (le rachat de Marvel n’avait pas remis en cause les accords préexistants avec les majors hollywoodiennes). Six superhéros sont réunis dans ce film, dont quatre ont déjà eu droit aux honneurs du grand écran. Il s’agissait ainsi d’attirer le public en créant un "univers partagé" de superhéros, une stratégie qui avait pleinement réussi pour les comics. Et le succès a en effet été au rendez-vous. Disney veut maintenant pousser plus loin les synergies en intégrant des personnages de The Avengers dans ses parcs d’attraction.,Elle veut aussi imposer les superhéros Marvel dans le monde entier, et notamment sur le marché chinois, où TheAvengers a déjà réalisé 69 millions d’entrées (et 52 millions au Brésil) 1. Iron Man 3 devrait d’ailleurs être tourné dans l’empire du Milieu en coproduction avec le chinois DMG. Cela n’ira cependant pas sans difficultés : le personnage d’Iron Man, avait été créé en 1963 pour combattre les communistes chinois et vietnamiens... Heureusement, dans ce film, le grand ennemi récurrent d’Iron Man sera le Mandarin, un supervilain qui concentre tous les clichés sur la Chine impériale... A suivre.
- 1. Chiffres de mai 2012.
Alternatives Economiques n°318 - 11/2012
Pour en savoir plus
- Sociologie des superhéros, par Thierry Rogel, Hermann, 2012.
"Histoire des Marvel Comics", par Gerard Courtial, disponible sur http://g.courtial.free.fr/marvel1.htm
"Marvel, superhéros de l'entertainment ?", par Kevin Picciau, accessible sur www.inaglobal.fr/edition/article/marvel-super-heros-de-lenter tainment
"La saga Marvel", par Thierry Rogel, 2009. Texte pédagogique disponible sur http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/textes-pedagogiques/entreprises-et-secteurs/la- saga-marvel.html
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