R. BOYER - LES SAGAS ISLANDAISES - PAYOT - 1979
LES SAGAS ISLANDAISES
Régis BOYER – PAYOT – 1979
Etymologie.
Le terme « Saga », dérivé du verbe « segja » (raconter), est aujourd’hui galvaudé en français et a pris un sens très général en islandais moderne puisqu’il désigne aussi bien le conte que la fable, le récit ou l’histoire au sens scientifique. Cependant, dès le 13ème siècle il désigne un genre littérature précis en tant que récit en prose plus ou moins historique et écrit dans un style caractéristique, genre qui se développera entre les 12ème et le 15ème siècle.
L’auteur commence par une présentation de l’histoire islandaise dont la connaissance est nécessaire si on veut comprendre les sagas. D’après lui, on peut distinguer quatre périodes essentielles :
+ En 870, un norvégien (Arnarson) découvre l’Islande et ouvre l’âge de la colonisation marquée par une immigration de scandinaves et de celtes (notamment des esclaves). Durant cette période, la structure sociale de base est composée du Boendr (pluriel : Bondi), c’est à dire de paysans propriétaires, et de journaliers et ouvriers. Cependant cette stratification sociale pèse moins dans la société que la famille qui constitue l’institution de base.
+ Vers 930, l’immigration cesse et débute l’âge des Sagas (930-1000). La structure politique est fondée sur le « Godord » qui associe librement un godar (chef de grande famille) et son « client » le « Pingmen ». Les décisions importantes sont assurées par le Ping, assemblée qui se réunit deux fois par an et, au-dessus d’elle, par l’«Alping » (créé en 930), assemblée législative et judiciaire qui surplombe les ping locaux et se réunit à la mi-juin.
+ Entre 999 et 1150, c’est l’âge de la Paix. L’Islande devient catholique en 999 mais on peut continuer les rituels païens en cachette. Les monastères jouent un rôle primordial en étant au cours de « l’âge de l’écriture » à partir de 1100 et en propageant la culture occidentale.
+ Enfin, la dernière période correspond à l’âge des Sturlungar de 1150 au 14ème siècle qui marque le début de la séparation « spirituel/temporel ».
Le problème de l’origine des sagas est l’objet de différentes thèses :
- Sont-elles sont d’origine germanique ou chrétienne ?
- Viennent-elles de la « littérature orale » (théorie de la Freiprosa) ou sont elles des oeuvres de fiction (théorie de la Buchprosa) ?
- Pour Boyer les sagas viennent de la conjonction des traditions nordiques et du travail de l’Eglise. La saga serait une mise en forme d’une tradition (orale ou écrite) où les sources écrites l’emportent sur les sources orales.
Comment cette conjonction entre traditions nordiques et Eglise s’est-elle faite ?
Il faut d’abord retenir que les sagas datent de 1230 et ne reprennent donc les religions païennes que de manière indirecte et par le biais des réactions de l’Eglise catholique. L’Eglise a réagi au paganisme de quatre façons :
+ Elle en accepte certains aspects ; les rites sont conservés (Jol devient Noël, le solstice d’été devient la saint jean,…) ; d’autres aspects sont acceptés parceque compatibles avec le christianisme (comme le poids de la famille, l’existence d’un, monde des morts, de revenants,…)
+ L’Eglise accepte d’autres éléments en les transformant : par exemple, le Ping honore Jésus et non plus les Ases.
+ Elle dévalue les éléments incompatibles avec son message (par exemple, les dieux nordiques sont assimilés à des démons).
+ Enfin, elle s’attaque de front à ce qui ne peut être accepté (les sacrifices humains, par exemple).
Qu’en est-il de notre connaissance des Mythes Nordiques ?
La connaissance des mythes repose sur le Codex Regius de l’Edda Poétique qui est la recopie un manuscrit de 1210-1240 et sur l’Edda de Snorri (1230) qui est une mise en forme de ces connaissances. La religion nordique intègre beaucoup d’éléments fantastiques et notamment beaucoup de magie (par exemple, l’existence de « double animaux »).
Snorri Sturluson
Snorri Sturluson (1178/79 - 1241) est l’auteur des sagas les plus connues. Parmi ses écrits, il faut retenir l’ « Edda en prose » qui offre un tableau de la mythologie nordique et les sagas historiques (Heimskingla) qui racontent l’histoire des rois de Norvège. Ses sources provenaient de textes latins, de poèmes scaldes et de récits oraux du peuple. Pour Snorri, seuls comptent les actes et l’Histoire est le fait d’individus et non du hasard.
Les Sagas : typologie.
Il faut distinguer les Sagas des Eddas et de la poésie scaldique. Les sagas datent de deux siècles avant la fin de l’âge Viking (1250 pour la saga la plus ancienne).
Boyer distingue quatre catégories de sagas :
+ Les « sagas royales » qui traitent des aventures d’un Jarl ou d’un roi ( Knungasögur)
+ Les « sagas des contemporains » (Samtidarsögur et Islendisasögur) : saga des évêques et sagas des familles. .
+ Les « Sagas des temps antiques » (Fornaldasögur) plus surnaturelles que les autres (poèmes héroïques nordiques, sagas des vikings)
+ Les « sagas des chevaliers » (riddarasögur) qui ne se passent pas dans les pays nordiques.
L’homme, comme les Dieux, doit connaitre son destin et tout son honneur consistera à l’assumer. Il n’existe donc ni fatalisme, ni rébellion romantique. Connaitre son Destin peut être fait de trois manières : par les rêves, par les prédictions, et par l’opinion d’autrui. L’opinion est donc essentielle et explique la recherche de l’éloge et le rejet de la moquerie (qui a pu être punie en tant que crime). L’accomplissement du Destin interdit de transiger et le Pardon impose la Vengeance. Il y a, dans les sagas, un individualisme farouche et une relation personnelle avec les Dieux.
« La langue des sagas disposait à cet égard de toute une série de caractérisations qu’il ne faudrait pas tenir pour péjoratives : dire d’un homme qu’il était « injuste, querelleur et tyrannique » c’est noter qu’il a de la trempe, purement et simplement. L’accuser d’ofsi (arrogance excessive) est à peine désapprobateur ; le dire otillatssamr (qui ne cède pas) est plutôt flatteur. Le comble de l’éloge est de le dire mikilmenni ou stormenni, homme de grande importance, et voilà pourquoi les descriptions complaisantes, le goût du faste, de la grandeur ostentatoire, le respect quasi-maniaque des préséances comptent au nombre des attributs obligés du grand homme.
On peut raisonner à l’inverse. Ce que le héros redoute le plus, c’est la contradiction, la peur d’être abaissé (minnkadr). Quat à la critique et, pis encore, la moquerie ou la satire, il ne les supporte simplement pas. C’est au point que la loi condamnait tout genre de raillerie et que certains types de poème infamants (nid) étaient tout bonnement rangés au nombre des crimes inexplicables, la pire injure consistant à laisser entendre d’un homme qu’il pleure ou qu’il a pleuré. Comme le diT le Havamal :
« Il n’est pire peine pour l’homme intelligent
Que de n’être pas content de soi »
Cela peut prendre des dimensions presque comiques. Il existait dans cette société un jeu, le mannjafnadr. Deux ou plusieurs personnes se choisissaient chacune un grand homme, un champion dont elles célébraient à l’envi les hauts faits, chacune renchérissant sur l’autre. A l’ordinaire, ce jeu dégénérait en rixe sanglante, tant il était impossible à un homme d’admettre qu’il n’eût pas raison, que son parti ne fut pas le meilleur ! On ne s’étonnera donc pas de l’intolérance généralisée qui règne dans ce milieu et dont les chefs, notamment, se font une spécialité. »
(Régis Boyer : « Les sagas islandaises » - Payot – 1979 - p.175-176)
Ajouter un commentaire