DURKHEIM Emile : MONTESQUIEU ET ROUSSEAU, PRECURSEURS DES SCIENCES SOCIALES - 1892 - Librairie RIVIERE - 1953

 MONTESQUIEU ET ROUSSEAU, PRECURSEURS DES SCIENCES SOCIALES -

DURKHEIM Emile

1892 - Librairie RIVIERE - 1953

I) LA CONTRIBUTION DE MONTESQUIEU A LA SCIENCE SOCIALE.

 

Chapitre I : conditions nécessaires à la constitution de la science sociale.

+ Les méthodes d'analyse, selon Durkheim, ne pourront être élaborées qu'une fois l'analyse de la société constituée comme science. C'est, d'après lui, l'apport fondamental de Montesquieu.

+ Pour qu'une discipline soit science, elle doit répondre à trois conditions :

            - Elle doit avoir un objet déterminé à analyser. La recherche doit donc permettre de dire ce qui est (et non ce qui doit être) et être indépendante de toute idée d'utilité, ce qui distingue la science sociale des réflexions philosophiques antérieures.

            - La science doit permettre de décrire cet objet. Il faut donc pouvoir établir des types ou espèces de société rassemblant ces sociétés selon des traits communs.

            - Elle doit autoriser une interprétation mais cela suppose l'existence d'un ordre et de lois indépendantes des volontés humaines qui rend la science sociale semblable aux autres sciences.

Chapitre II : En quelle mesure Montesquieu a-t-il assigné à la science sociale un objet propre.

 Montesquieu innove sur les points suivants :

            -Il ne traite pas de l'homme individuel mais de la nature des "choses sociales".

            -Il ne cherche pas à établir un nouvel ordre politique mais recherche les formes politiques "normales" de chaque société et leur légitimité.

            - Il distingue des "lois psychologiques" d'ordre individuel qui n'ont pas de répercussions sur les formes sociales(droit de se nourrir, de vivre en paix,...) des lois de la société qui ne se déduisent pas de la nature de l'homme mais de celle de la société.

Cependant il reste prisonnier des modes anciens de pensée; il existe des lois qu'on retrouve dans toutes les sociétés, elles ne peuvent pour Montesquieu qu'être fondées sur la Raison humaine. Il innove donc par rapport aux philosophes antériéurs pour qui le droit et les moeurs résultaient d'un principe unique en montrant la dualité entre droit et morale mais il ne passe pas le pas qui consisterait à montrer que toutes les règles, même les plus individuelles, résultent de la vie sociale.

Chapitre III : Comment Montesquieu classe les sociétés par type et par espèce.

En apparence, Montesquieu classe les sociétés en fonction de la manière dont elles sont gouvernées (de manière assez classique) et distingue trois catégories - République, Monarchie, Despotisme. Mais il le fait en se basant sur des observations et non sur des principes à-priori et cette classification est en réalité une classification des sociétés car chaque catégorie diffère des autres par de nombreux traits sociaux : taille et cohésion de la population, tendance à lé hiérarchié ou à l'égalité entre les membres, état de la division du travail, valeurs dominantes (vertu dans la République, honneur dans la monarchie), moeurs,...

Chapitre IV : En quelle mesure Montesquieu a-t-il pensé qu'il existe des lois déterminées des choses sociales.

Il fait un pas important vers la science sociale en soutenant qu'il existe un ordre déterminé et des lois sociales susceptibles d'analyse rationnelle; les "lois sont les rapportts nécessaires entre les choses". Ces lois dérivent de la nature de la société et dépendent de deux conditions -la pression démographique (qui explique qu'on passe de la République à la Monarchie et au Despotime), la nature du sol et le climat. Cependant il reste encore prisonnier des habitudes anciennes en surévaluant le rôle du législateur dans la constitution des lois et donc en surestimant le principe de finalité au détriment du principe de causalité. Il en tire donc que les lois ne suivent pas le nature de la société et sont soumises à la contingence. La reconnaissance de cette contingence ou "déviance" risque de nuire à la science sociale tant qu'on ne voit pas, comme Durkheim, que l'erreur et la contingence (ou la "maladie sociale") font partie de la nature des sociétés. Montesquieu a donc dégagé l'idée de loi sociale mais en reste à une conception où les lois expriment ce qui devrait être et non ce qui est.

Chapitre V : De la méthode suivie par Montesquieu.

I) Quand la science sociale n'était pas encore une véritable science on privilégiait la déduction. Pour qu'une discipline soit scientifique il faut qu'elle soit expérimentale; comme ce n'est pas possible dans le cas des sciences sociales il faut privilégier la comparaison, prélude à l'induction. En ce domaine, Montesquieu a innové en développant le premier le "droit comparé". Cependant il reste encore prisonnier des habitudes anciennes : il privilégie encore la déduction et l'induction est au second rang; ces comparaisons servent plus à illustrer les résultats de ses déductions qu'à avancer vers l'induction, et la déduction est encore au premier rang au lieu d'être utilisé en dernier pour interpréter ce qui a été constaté.

II) Cependant il convient de conserver l'idée de Montesquieu selon laquelle les diffgérents phénomènes (Droit, famille,...) sont liés entre eux et ne peuvent être compris séparément.

III) Cependant Montresquieu a ignoré la notion, fondamentale selon Durkheim, de "Progrès" (évolutionnisme). La forme des sociétés dépend de deux éléments - les facteurs contextuels (climat, population,...) et leur passé- Montesquieu a privilégié le premier élément et délaissé le second.

CONCLUSION :

Chez Montesquieu se trouvent pour la première fois les principes fondamentaux de la science sociale -les choses sociales sont objet de science et il convient pour les étudier de développer les notions de "type" et de "lois". Cependant il commet deux erreurs :

            -Il suppose que les formes sociales dépendent des types de Gouvernement et en déduit l'anormalité du Despotisme.

            - Sa notion de Loi reste confuse : il ne voit pas que les formes sociales sont les causes efficientes des lois. il suppose qu'elles ne sont que des causes conditionnelles, il surestime donc l'action du Législateur et reste donc prisonnier des habitudes anciennes d'analyse.

II ) LE "CONTRAT SOCIAL" DE ROUSSEAU.

Le problème essentiel de Rousseau est de découvrir une forme d'association ("L'Etat Civil") dont les lois se superposent, sans les violer, aux lois de l'Etat de Nature.

A) L'Etat de Nature.

L'Etat de Nature n'est pas une réalité ou une espérance, c'est un procédé de méthode. Il représente l'homme, abstraction faite de ce qu'il doit à la vie sociale. C'est donc la constitution psychologique de l'individu; il se résume en un équilibre entre les ressources et les besoins de l'homme, lequel n'a que des désirs très limités et est incapable de penser à l'avenir. Dans ces conditions l'Etat de Nature n'est ni "l'Etat de guerre" (cf Hobbes) ni un état de sociabilmité. L'homme est a-social et a-moral, il n'est qu'instinct. Rousseau,écarte donc l'Histoire de sa démarche, elle est purement déductive. Comme pour Rousseau la société n'est que la mise en oeuvre des propriétés de la nature individuelle, il est indispensable de connaitre l'état de nature pour comprendre "l'Etat Civil".

B) L'origine des sociétés.

La Société ne peut naitre que si l'homme sort de l'Etat de Nature. Cela se fera à cause des différents obstacles de l'environnement physique (climat,...). Avec ces regroupements naissent les premiers penchants sociaux et se développent les activités. Avec l'agriculture apparait la propriété et les premières règles de justice, mais aussi la concurrence et les inégalités. L'Etat Civil entraine donc un état de guerre et pour s'en protéger les individus se réunissent; de là naissent les lois et les gouvernements. Cependant cela ne suffit pas pour faire une société, il faut aussi une communauté intellectuelle car une Société est un être moral qui a des propriétés distinctes de celles des individus. Cependant si Rousseau constate que la société de son temps est dégénérée il n'en conclut pas que ce doit être le cas de tout Etat Civil. Il y a chez Rousseau une conception contradictoire de la Société puisqu'elle est à la fois un être de Raison, produit des hommes, et un organisme.

C) Le Contrat Social.

La Société constituée devient le seul lieu où l'homme peut vivre une fois l'Etat de Nature abandonné mais il faut pour celà que l'homme change en conservant la même situation que dans l'Etat de Nature, c'est à dire qu'il entretienne à l'égard de la société le même rapport qu'à l'égard de l'environnement physique dans l'Etat de Nature. Il doit donc exister une force nouvelle qui n'émane d'aucune volonté particulière et qui soit au-dessus des hommes. Cette force doit être justifiée devant la Raison. Le problème de cette force c'est qu'elle ne peut pas émaner du plus fort et qu'il doit exister un "peuple" au préalable; le problème est celui de la constitution de ce peuple. Pour Rousseau il émanera d'un Pacte établi entre les individus où chacun s'aliène lui même à la Communauté. Par suite de ce Contrat toutes les volontés individuelles s'aliènent dans une Volonté Générale. Ce Pacte garantit la liberté de chacun (car se soumettre à la collectivité n'est pas se soumettre à une volonté particulière), l'égalité devant la Volonté Générale et la paix.

D) Du Souverain en général.

Pour soutenir cette Volonté Générale il faut un "être social" qu'il faut créer.Le Souverain est le "corps politique" qui émane de la Volonté Générale. La Volonté Générale n'est que l'ensemble des volontés particulières et ne peut aller que dans le sens de l'intérêt général, par conséquent il n'y a nul besoin de délibération et Rousseau se prononce en faveur de l'assemblée générale et contre tout groupement intermédiaire. De ce fait, la Souveraineté (c'est à dire l'exercice de la Volonté Générale) est inaliénable, indivisible et sans contrôle.

 E) De la loi en général.

La loi est l'acte par lequel s'exprime la Volonté Générale; elle ne peut donc pas émaner d'une volonté particulière et elle ne peut être injuste. Deux problèmes sont liés à l'établissement de la Loi :

            - Il faut que le peuple soit dans de bonnes conditions (ni trop jeune ou trop vieux, ni trop grand ou trop petit,...).

            - Le législateur doit être un être exceptionnel puisqu'il ne peut substituer sa volonté individuelle à la volonté générale. Historiquement on a réglé le problème grâce à la Religion.

F) Des lois politiques en particulier.

Rousseau distingue quatre types de Lois :

- Les lois politiques : elles formalisent les rapports entre les citoyens-souverains et les citoyens-sujets.

- Lois civiles : elles formalisent les rapports des sujets entre eux.

- Lois pénales.

- Les moeurs et l'opinion.

Le Gouvernement est le médiateur entre la Volonté Souverainee et la masse des sujets. Son rôle est de veiller à l'execution des lois.

Les formes de gouvernement : Rousseau rprend la distinction de Montesquieu entre Démocratie, Aristocratie et Monarchie et cherche les liens qu'elles entretiennent avec l'état social. Il y a un lien étroit de proportionalité entre le souverain, le gouvernement et l'Etat. De plus la faiblles du Gouvernement croit avec l'augmentation du nombre de gouvernants. Rousseau en déduit que, comme le gouvernement doit être d'autant plus fort que la population est grande (pour contrer les volontés individuelles) il en résulte que le nombre de gouvernants doit diminuer avec l'augmentation de la population. Donc la monarchie est nécessaire pour les grands états, la démocratie pour les petits états. Rousseau rejette la monarchie et donne sa préférence à la Démocratie, mais celle ci étant difficilement applicable il accepte l'aristocratie.

G) Rousseau, contrairement à Montesquieu, pensent que les particularismes des intérêts individuels ne permettent pas de faire la cohésion sociale; les individus doivent avoir le minimum de relations entre eux et le maximum avec le corps social. Le gouvernement pose des problèmes dans l'approche de Rousseau : il suppose une volonté particulière en contradiction avec la Volonté Générale. Le seul risque de mort de la société est la trop grande emprise du gouvernement, Rousseau propose donc le plus grand recours aux assemblées du peuple ("démocratie directe"). Mais il faut en plus une unité intellectuelle pour faire la Volonté Générale. Autrefois elle était donnée par la Religion mais avec le Christianisme il y a une rupture entre le temporel et le spirituel. La Religion étant incapable d'assumer ce rôle, l'Etat doit être le garant de quelques principes de base (concernant la morale) donnant des croyances collectives communes.

 

III) CONCLUSION.

Pour Rousseau, Montesquieu et Hobbes la société se surajoute à la Nature mais ils diffèrent sur la manière d'y arriver. Pour Hobbes il s'agit d'un acte volontaire réguliè rement renouvelé; cela autorse l'existence d'un pouvoir sans contrôle (absolutisme). Pour Montesquieu le législateur ne peut pas faire la loi à son gré mais en fonction des conditions de la Société. Rousseau va plus loin puisque la Volonté Générale ne peut être le fait du législateur (y a t il "auto-institution de la Société? ).Cependant chez cet auteur on ne voit pas comment la vie sociale peut émerger et comment elle peut être améliorée. Chez ces trois auteurs on trouve une affirmation de l'hétérogénéité du social et de l'individuel et un effort croissant pour fonder en nature l'être social.

 

 

 

 

Commentaires

  • MASSAMBA GAYE
    Je défend l'idée selon laquelle la conception de ROUSSEAU revêt une importance capitale dans la mesure ou le vivre ensemble doit s'organiser de telle sorte que tous les individus s'y retrouvent.et cette organisation ne pourrait se faire que si les membres de la communauté réunissent leurs volontés individuelles pour en faire une volonté générale.
  • consolat
    • 2. consolat Le 31/01/2012
    je pense que la conception de Rousseau et Montesquieu de la politique se marie car tous deux ont un point culminant assurer le bien être de tous et de la société .

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