REFLEXIVITE - PREDICTIONS CREATRICES, PREDICTIONS DESTRUCTRICES
Les sciences sociales dans la logique du tapis vert.
COMMENTAIRE :
Il me semble de moins en moins possible d’aborder les sciences sociales sans faire référence au problème de la réflexivité, celle-ci devenant centrale dans le cadre des phénomènes spéculatifs et dans une société « d’information ». (On pourra se référer à « La crise du capitalisme mondial » de Georges Soros qui la met au centre de son analyse). Le texte ci-dessus me semble suffisamment simple et parlant pour que les élèves prennent conscience de l’importance du phénomène (N.B. : on peut également se référer à mon petit livre « Introduction impertinente à la sociologie » où je consacre plusieurs pages et exemples à ce phénomène).
On se méprend souvent sur la nature des phénomènes économiques et cela vient en partie du fait que nous retenons communément quelques présupposés discutables sur ce que devrait être "la" science : on pense notamment qu'un phénomène explicable scientifiquement permet de faire des prévisions justes (ce qui, même dans le cadre des sciences expérimentales, doit être nuancé), d'où la conclusion fréquente que puisqu'on a le plus grand mal à prévoir en économie c'est qu'il ne s'agit pas d'une discipline qui relève des sciences. Ce type de conclusion repose essentiellement sur la méconnaissance d'une particularité des sciences sociales en général, et de l'économie en particulier.
Chacun connaît le "tapis vert", ce jeu de la "française des jeux" où l'on doit parier sur la sortie d'une combinaison de quatre cartes de chaque couleur. Or, il y a quelques années s'est produit un non-évènement remarquable, à savoir le tirage des quatre as. Il s’agit d’un non-évènement parceque la probabilité de sortie des quatre as est la même que celle de n'importe quelle autre combinaison, mais remarquable parceque cette combinaison ne peut que frapper l'imagination, à tel point que certains journaux télévisés ont fait un reportage sur ce résultat afin d'expliquer qu'il n'avait rien de remarquable.
Nous voyons que nous avons trois comportements stratégiques également rationnels suivant le type de comportement que l'on prête aux autres joueurs. Si on suppose que les autres joueurs sont parfaitement au fait des probabilités mathématiques (donc rationnels au sens courant du terme), alors aucune stratégie particulière n'est nécessaire. Si, à l'inverse, on pense que les autres joueurs sont plus animés d'une "pensée magique" que "scientifique" ("les quatre as ne peuvent pas sortir") alors il est rationnel de faire un choix apparemment irrationnel. Si on pense que les autres joueurs sont aussi capables que nous d'avoir un comportement stratégique et d'anticiper sur les choix des autres joueurs, alors il est rationnel d'avoir un autre comportement non rationnel : on évitera les quatre as, ce qui relèvera apparemment de la pensée magique mais sera le résultat d'un comportement rationnel. On voit que ce jeu de miroir peut durer sans fin.
Quel rapport tout cela a-t-il avec les phénomènes économiques? La relation avec les phénomènes spéculatifs est évidente : les choix d'achat ou de vente de titres dépendront non seulement des résultats objectifs des entreprises mais également des stratégies supposées des autres spéculateurs, ces dernières prenant nettement le pas sur les données objectives en cas "de bulle spéculative" ou d'éclatement de celle ci. En revanche, si on s'en tient aux seules probabilités et à une rationalité des individus ne reposant que sur ces probabilités, on conclura à l'impossibilité de bulles spéculatives. Les approches littéraires, quant à elles, ont souvent privilégié une vision purement subjective et irrationnelle du comportement spéculatif (" Lorsque les titres étaient tombés à quinze francs et qu'on prenait tout acheteur pour un fou, il avait mis dans l'affaire sa fortune, deux cent mille francs, sans hasard ni flair, avec un entêtement de brute chanceuse. Aujourd'hui (...) il gagnait une quinzaine de millions; et son opération imbécile qui aurait dû le faire enfermer autrefois, le haussait maintenant au niveau des vastes cerveaux financiers" - E. Zola - L'argent - Le livre de poche p. 8).
Cela fait la spécificité même des sciences sociales (économie et sociologie, notamment) et les distingue à la fois des sciences et de la littérature.
[1] A.M. de
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