D. GUILLO : SCIENCES SOCIALES ET SCIENCES DE LA VIE - P.U.F.-2000
SCIENCES SOCIALES ET SCIENCES DE LA VIE
Dominique GUILLO
P.U.F.-2000
Article consultable :Sciences sociales et sciences de la vie version definitive (62 Ko)
L’auteur étudie les liens assez proches qu’entretiennent les sciences sociales, et notamment la sociologie, et les sciences de la vie, notamment la biologie, depuis plus d’un siècle. Il y a eu en effet de constants échanges entre les deux familles de disciplines
INTRODUCTION
Dominique Guillo va s’intéresser particulièrement aux formes de « naturalisme » des sciences sociales c’est à dire à leur tendance à s’appuyer sur les sciences de la nature. Il distingue cependant deux formes de naturalisme très différentes. La première est le naturalisme analogique (ou méthodologique) qui prend les sciences de la nature comme un modèle, une analogie ou une référence théorique. C’est le cas par exemple, de l’organicisme où on fait une analogie entre la société et un organisme vivant. Tout autre est le naturalisme réductionniste ou causal où on pense que les règles du vivant s’appliquent à l’ordre du social. Les exemples typiques sont le darwinisme social ou la sociobiologie. Il distingue deux grandes périodes de « retour au naturalisme » des sciences sociales : Le premier retour au naturalisme se produisit au 19ème siècle quand la sociologie et l’anthropologie se constituèrent en tant que science et empruntèrent aux sciences de la nature un principe, l’organisation, et deux axes de réflexion, la classification et l’évolution. Le deuxième retour est plus récent et débute dans les années 1970 avec la sociobiologie qui s’appuie sur un darwinisme rénové par la génétique moléculaire, la génétique des populations, l’éthologie, la théorie des jeux et s’appuie sur le concept de « réplicateur ».
PARTIE I : SCIENCES SOCIALES ET SCIENCES DE LA VIE AU XIXème SIÈCLE : UN RAPPORT CENTRÉ SUR LA NOTION D’ORGANISATION
INTRODUCTION
La sociologie et l’anthropologie se sont développées au 18è et 19è siècles dans le cadre de la biologie et de l’embryologie mais les échanges entre sociologie et biologie ont été réciproques.
HISTOIRE NATURELLE ET EMBRYOLOGIE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE
Avant l’avènement de l’évolutionnisme darwinien l’histoire naturelle va développer un certain nombre de concepts centraux que sont les notions « d’organisation », de « série » et de « système ». Jussieu et Cuvier mettront en place une hiérarchie fonctionnelle des êtres vivants ce qui aboutira à l’idée que toutes les combinaisons ne sont pas possibles. On commencera alors à penser les êtres en termes d’organisation. Lamarck les classera en série par complexité croissante, ce qui l’obligera parfois à utiliser des explications « ad-hoc » sur l’environnement (« hérédité des caractères acquis »). Geoffroy Saint-Hilaire émettra l’idée que les différentes formes existantes correspondent à des étapes de l’évolution aboutissant à l’homme mais c’est avec Cuvier que l’image d’une ligne ascendante laissera la place de l’image d’un arbre. L’idée de développement est donc en germe. C’est en embryologie, et notamment avec Karl Von Bayer, qu’elle va vraiment faire jour ; jusqu’alors deux hypothèses s’affrontaient, celle de la préformation (l’embryon est déjà un être formé en petit) et celle de l’épigenèse. C’est la deuxième approche qui s’imposera et aboutira aux idées de développement de Darwin, Wallace et Spencer ; alors que Von Bayer appliquait l’idée d’évolution aux individus, c’est Spencer et Darwin qui, indépendamment l’un de l’autre, l’appliqueront aux espèces pour l’un et aux sociétés pour l’autre.
L’ANTHROPOLOGIE COMME « HISTOIRE NATURELLE DE L’HOMME »
I) Une double origine : histoire naturelle et médecine
Le terme « Anthropologie» donne lieu au 18ème siècle à une lutte d’appropriation ; sa signification se fixe à partir de 1780 et c’est à partie de 1850 que les travaux des naturalistes et ceux des médecins vont converger vers une « anthropologie ». Buffon pense qu’on peut étudier l’homme comme les autres êtres vivants. Très vite l’idée de race va apparaître comme une évidence reposant sur des modèles d’organisation différents d’une race à l’autre Au 19ème siècle, l’étude du cerveau occupe une place centrale : F.J. Gall créé le phrénologie et pense trouver les qualités psychologiques es individus à partie des bosses du crâne. Broca fera des recherches similaires sur les propriétés métriques des corps humains.
II) La seconde moitié du 19ème siècle : une période d’essor et de succès
Deux grandes tendances vont se dessiner au cœur de l’anthropologie : une tendance à la recherche fondamentale faite dans un souci positiviste et qui amènera à l’anthropologie physique et biologique du 20ème siècle. L’autre tendance est une tendance « technique » qui cherche à répondre à des problèmes sociaux : au 19ème siècle la figure la plus connue de cette tendance est celle de Cesare Lombroso, auteur de l’hypothèse du « criminel né ».
III) Un champ conceptuel emprunte à l’Histoire naturelle
Cette anthropologie empruntera ses concepts essentiels (taxinomie et organisation) à l’histoire naturelle et elle en déduira que l’organisation corporelle a « à voir » avec les capacités et les performances. Mais au sein de cette anthropologie, il y a des nuances, certains mettent l’accent sur les causes innées (Lombroso), d’autre sur l’environnement (Manouvrier). Guillo, propose d’analyser l’émergence de cette anthropologie comme une réponse aux troubles de la détermination de l’identité au 19ème siècle puisqu’il devient plus difficile d’identifier autrui après 1789.
LA SOCIOLOGIE COMME SCIENCE DE L’ORGANISATION SOCIALE
Il serait erroné de penser que les échanges ne sont allés que dans le sens d’une exportation des concepts de sciences de la vie vers les sciences sociales car les emprunts entre sciences sociales et sciences de la vie seront réciproques ; Ainsi Claude Bernard écrira que « Il y a là (dans le corps organisé) une solidarité organique ou sociale » et Milnes Edwards explique la diversité du vivant en s’inspirant de la division du travail. De même, Darwin compare l’évolution des espèces au processus de différenciation en œuvre dans le langage. La pensée sociologique va se construire sur le modèle de l’organisation qui vient de la biologie et constitue une rupture avec le romantisme allemand. On va assigner deux missions à la sociologie qui trouvent leur équivalent dans la biologie. Elle doit d’abord déterminer la structure d’une société, ce qui correspond à l’anatomie dans les sciences de la vie et déterminer les fonctions accomplies ce qui correspond à la physiologie. Dans ce courant organiciste, la sociologie est le terme ultime d’un principe d’organisation qui débute avec les sciences de la vie. Cependant, la notion d’organisation (ou de division du travail) qui se développe au 19ème siècle n’appartient pas en propre à une discipline mais constitue un cadre d’analyse général. Ce concept favorisera les échanges entre biologie et sociologie. Ainsi Milne Edwards empruntera le concept de division du travail pour l’appliquer à la biologie et Spencer l’empruntera à la biologie pour l’appliquer à la Société et Durkheim en fera un principe général touchant tous les domaines de la réalité.
TROIS SOCIOLOGUES CLASSIQUES
Parmi les sociologues classiques, trois auteurs majeurs empruntent à, ou ont un air de famille avec, la biologie. Auguste Comte s’appuyant sur les travaux du biologiste De Bainville va développer trois concepts issus des sciences de la vie : la notion de développement, la distinction « statique/dynamique » enfin la distribution en série. Pour Herbert Spencer, l’organisme sociale st analogue à l’organisme vivant. S’appuyant sur les notions d’organisation et e classification il va élaborer une évolution « en arbre » (différente de l’évolution linéaire et ascendante de Comte) et accorde un rôle essentiel à l’environnement. Pour Spencer, l’évolution va vers une complexité croissante et elle se fait par adaptation au milieu (il retient l’idée d’hérédité des caractères acquis). Cependant, sa sociologie est ambiguë car son évolutionnisme est tiraillé entre une conception téléologique et une évolution dépendant de l’action du milieu. De plus, il utilise quatre types d’approche qui sont parfois en contradiction ; approche en séries, généalogique, fonctionnalistes, rationalistes.
Il va élaborer deux types de classifications parfois en contradiction : La première classification se fait selon le degré de complexité de la société (donc selon l’état de la division du travail) La deuxième classification est élaborée en fonction des besoins assumés par la société : fonction de régulation, de production, de distribution, ce qui lui permet de distinguer les sociétés militaires et les sociétés industrielle mais les deux classifications peuvent s’entrecroiser puisqu’il existe des sociétés complexes et militaires (Allemagne bismarckienne) et des sociétés simples et « industrielles ». Durkheim va s’inspirer de l’évolutionnisme de Comte, de Claude Bernard et de Darwin. Ses vues inspirées par la biologie portent sur trois points : la classification des sociétés, les modalités de raisonnement, les notions de cause et de fonction. Ainsi, les premiers écrits de Durkheim sont organicistes mais il s’agit d’un naturalisme analogique pour montrer la spécificité de la sociologie vis à vis de la psychologie et de la biologie. Par ailleurs, ses idées sur l’individuation sont inspirées des travaux du naturaliste E.Perrier et des travaux d’Espinasse sur les « sociétés animales ». Enfin, Le raisonnement expérimental que prône Durkheim et directement tiré de celui e Claude Bernard, notamment la différence entre cause et fonction.
LE COURANT ORGANICISTE ET LE DARWINISME SOCIAL
On peut, au 19ème siècle, distinguer trois familles de courants directement inspirés de la biologie.
L’Organicisme
La comparaison organiciste est vieille comme le monde mais l’originalité du 19ème siècle est qu’elle rejoint une analogie de la société avec les espèces biologiques. Au 19è siècle, on peut distinguer deux formes d’organicisme : l’organicisme naturalisme de René Worms et l’organicisme analogique de Comte, Durkheim et Spencer.
Le darwinisme social
C’est un courant qui n’a pas de véritable unité et recouvre de multiples thèses parfois contradictoires avec un unique point commun qui est l’idée de « survie des plus aptes ». Le Darwinisme social se réfère à Darwin et Spencer bien que ni l’un ni l’autre ne soient véritablement des « darwinistes sociaux ».
+ Un premier darwinisme social repose sur l ‘idée de concurrence entre les individus.
+ Un deuxième darwinisme social apparaît vers 1890 : il repose sur la lutte entre les races et entre les groupes (Nowicow). Ces thèses peuvent être de droite (Chamberlin) ou de gauche (Pearson, Kropotkine).
L’Eugénisme
Il apparaît à la fin du 19ème siècle avec Galton, le cousin de Darwin. L’eugénisme, contrairement au darwinisme social, suppose que la sélection naturelle ne fonctionne plus dans les sociétés humaines.
DU DEBUT DU XXème SIECLE A L’AVENEMENT DU NATURALISME CONTEMPORAIN : TROIS EMPRUNTS PRINCIPAUX
Au cours du XXème siècle, les sciences sociales prennent leur distance à l’égard de la biologie, notamment en sociologie avec les travaux de Tarde et de Weber, en ethnologie avec l’abandon de l’évolutionnisme et l’anthropologie physique (issue de la médecine et de l’histoire naturelle) renonce à traiter les problèmes sociaux. Il faudra attendre le milieu des années 70 et l’apparition de la sociobiologie pour trouver à nouveau des connections fortes entre sciences sociales et sciences de la vie. Le lien entre biologie et sciences sociales subsiste toutefois durant cette période mais de manière plus ténue qu’auparavant, d’une part avec le maintien du débat entre « nature » et « culture », d’autre part de manière indirecte à travers trois courants d’analyse le fonctionnalisme, l’École de Chicago et l’interactionnisme. Le fonctionnalisme, notamment ceux de Radcliffe-Brown et de Malinowski, retrouve, avec la fonction, la tradition de l’organicisme du XIXème siècle. L’école de Chicago, et notamment les travaux de Parks, utilise de manière directe l’idée de concurrence territoriale entre les groupes directement inspirée de la concurrence entre espèces. Le lien avec l’interactionnisme n’est pas évident : pour Dominique Guillo , il est indirect et passe d’une part par la référence au behaviorisme qu’on retrouve chez G.H. Mead et, d’autre part, par le fait que des auteurs comme Goffman utilisent des concepts, comme le rituel, qui sont utilisés par les éthologues.
PARTIE II : L’ANTHROPOLOGIE ET LA SOCIOLOGIE NEO-DARWINIENNES CONTEMPORAINES
INTRODUCTION
A partir des années 60, on va observer un timide retour du néo darwinisme sous trois formes :
+ La sociobiologie où le comportement humain est sous le contrôle des gènes
+ Des thèses où l’évolution culturelle est analysée par analogie avec l’évolution des espèces.
+ Des thèses qui intègrent les deux premières approches mais mettent l’accent sur la psychologie cognitive.
I) LA BIOLOGIE NEODARWINIENNE DU COMPORTEMENT SOCIAL DES ANIMAUX
La sociobiologie naît en1975 avec l’ouvrage d’E.O. Wilson « Sociobiologie, la nouvelle synthèse » et est à la conjonction de trois disciplines : l’éthologie qui s’oppose au behaviorisme car elle estime que les comportements animaux sont innés et triés par la sélection naturelle. La théorie synthétique de l’évolution (ou néodarwinisme) : elle se développe dans les années 50 et fait la synthèse de a biologie moléculaire, de la génétique des populations, de la zoologie, de la botanique et de la paléontologie. L’objet de la sélection est le gène et la sexualité est une stratégie pour maintenir la diversité génétique. Dans cette optique, la sélection se fait sur les mieux adaptés qui ont un pouvoir reproductif plus grand (la sélection se fait plus sur le maintien des plus forts que sur l’élimination des moins forts). Le succès reproductif va donc dépendre de deux variables, le nombre de descendants et la capacité des descendants à survivre : il peut alors être efficace d’avoir des descendants dont on s’occupe longtemps. La troisième discipline de référence est l’écologie et la dynamique des populations qui s’intéresse à l’expansion des espèces sur un territoire donné qui sera limité et on boit se développer une concurrent entre espèces ou entre groupes d’une même espèce. Mais on peut, ajouter qu’il s’agit aussi d’une application de la théorie néo-classique aux sciences du vivant où le gène replace le profit et l’utilité. La sociobiologie visera à expliquer de manière originale un certain nombre de comportements sociaux.
L’altruisme
Au début des années 60, Wynne- Edwards va expliquer certains comportements altruistes au sein d’une espèce (alors que çà limite la descendance individuelle) par le fait que l’objet de la sélection est le groupe (il y aurait alors un « gène de l’altruisme ») et Maynard-Smith et Hamilton vont développer l’hypothèse du « gène de l’altruisme » et de la « sélection de la parentèle ». Pour Hamilton, l’important est la propagation des gènes ce qui est possible soit par la reproduction directe soit en favorisant l’expansion des gènes apparentés. Ainsi, un comportement altruiste sera bénéfique si son coût (s’abstenir d’avoir une descendance) est inférieur à son bénéfice (propager ses gènes) et cela sera d’autant plus bénéfique que l’altruisme s’applique à un apparenté qui partage un grand nombre de gènes avec l’individu en question. Hamilton voit une confirmation de sa thèse dans le comportement altruiste des hyménoptères (insectes sociaux). En effet, chez ceux ci, les femelles sont diploïdes (elles ont une paire de chaque chromosome) alors que les mâles sont haploïdes (ils n’ont qu’un seul chromosome de chaque paire). Dans ces conditions, deux sœurs auront le même stock génétique venant du père et partageront 50% de ce qui vient de la mère, ce qui fait qu’elles ont 75% (50% + 25%) de gènes en commun alors que la reproduction sexuée habituelle ne donne que 50%.
Le choix du conjoint
Pour les sociobiologistes, l’union sexuelle est prise entre deux écueils :
+ Il faut s’unir au plus près pour diffuser au maximum ses gènes
+ Il faut éviter les risques de consanguinité.
La reconnaissance des apparentés
Le problème de cette thèse est de comprendre comment on reconnaît ceux qui sont porteurs des mêmes gènes que soi. L’idée est qu’il y a une reconnaissance par la familiarité (le fait d’avoir été élevé avec) or les familiers ont une plus forte probabilité d’avoir des gènes en commun que les noms familiers.
II) Les apports de la théorie des jeux
Maynard-Smith et Price vont, en 1973, élaborer le modèle du « faucon et de la colombe » montrant que plusieurs comportements peuvent coexister dans la population et, qu’à long terme, ils se stabilisent autour de valeurs d’équilibre. Le faucon engage toujours le combat, quel que soit l’adversaire. La colombe recule toujours devant le faucon mais une fois sur deux seulement devant une autre colombe. On inscrit V pour victoire et D pour défaite et 0 pour la fuite. Les deux stratégies vont coexister. Ainsi, dans une population faite entièrement de colombes, un faucon seul aurait évidemment un avantage certain. Dans une population composée entièrement de faucons, une colombe seule aurait aussi un avantage car elle fuirait toujours (son gain moyen serait de 0) alors que les faucons fuiraient une fois sur deux (leur gain moyen serait de (V – D)/2. On irait vers une valeur d’équilibre égale à V/D, résultat qu’on peut interpréter de la manière suivante : soit on se retrouve avec un pourcentage donné de faucons et de colombes, soit chacun adopte un comportement de faucon ou de colombe selon les cas. Maynard-Smith en tire l’idée de « Stratégie évolutionnairement stable » (ESS) ; « C’est une stratégie du « Donnant-Donnant » (« Tit for Tat ») qui consiste à être bienveillant la première fois qu’on rencontre un individu et à avoir ensuite, à son égard, la même attitude que celui ci a eu à la rencontre précédente. Cette stratégie aboutirait à une bienveillance mutuelle. La vie sociale serait alors une conséquence nécessaire de l’évolution es comportements ». Cependant, cette thèse n’est confirmée que par deux exemples, l’homme et l’hirondelle des arbres. L’essentiel de l’argumentation de la théorie des jeux consiste à montrer que les comportements à l’égard d’autrui correspondent à une logique d’optimisation des gènes (mais la validité du modèle repose plus sur l’adéquation à des résultats que sur la qualité des hypothèses).
La manipulation parentale
C’est une autre explication évolutionniste de la vie sociale. Les relations entre parents et enfants peuvent donner lieu à deux types de stratégie. Selon une stratégie conflictuelle, les parents ont intérêt à chasser leurs enfants le plus tôt possible (sevrage) pour en faire d’autres. Selon une seconde stratégie, les parents ont intérêt à garder leurs enfants le plus longtemps possibles afin que ceux ci les protègent çà leur tour.
CONCLUSION :
Ces thèses ne relèvent pas toutes de la sociobiologie mais de la « biologie de l’évolution », de la « biologie des populations », « écologie »,… Cependant, toutes ont en commun de s’appuyer sur l’hypothèse de maximisation de l’intérêt reproductif. Toutes ces théories expliquent les comportements animaux à partir de leurs effets en termes de gènes propagés.
III) LA SOCIOBIOLOGIE HUMAINE
Le premier retour d’un naturalisme causal depuis le 19ème siècle aura lieu avec l’éthologie humaine dans les années 60, discipline qui insiste sur la comparaison des comportements humains et animaux. L’éthologie tend alors à évacuer le behaviorisme et, parallèlement, le poids de l’inné celui de l’environnement La sociobiologie viendra en partie de ce premier courant. Pour les sociobiologistes, les comportements humains ne sont que des artefacts génétiquement déterminés. On peut retenir deux versions de ce scénario. Dans une première version, le comportement est sous le contrôle direct du gène mais comme on ne peut pas découvrir le gène en cause, on se fie aux avantages biologiques supposés de telle ou telle stratégie de comportement. Une deuxième version, retenue par E. O. Wilson, il n’y a pas de déterminisme rigide mais une simple probabilité, le gène se contente de fixer des bornes au comportement humain. La présence de comportements humains spécifiques s’explique également par la sélection darwinienne ; les comportements actuels ont subsisté parce qu’ils apportaient un avantage sélectif dans un environnement donné. Les invariants sur les comportements élémentaires seront vus comme l’expression de dispositions biologiques sélectionnées au cours de l’évolution et les différences entre cultures seraient dues à d’éventuelles différences génétiques. On peut, à titre d’exemples, retenir des explications données par les sociobiologistes de la sexualité, de l’altruisme, de la parenté
La reproduction, les rôles sexuels et la famille
La reproduction ne coûte rien aux mâles mais neuf mois d’indisposition aux femelles. Les mâles ont donc intérêt à répandre leurs gènes et à avoir un maximum de partenaires alors que les femelles ont intérêt à s’occuper le plus longtemps possible de leur progéniture. Les sentiments masculins « (agressivité,…) et féminins (tendresse, sensibilité,…) seraient donc le produit de ces stratégies.
Coopération, échanges, don et entraide : l’altruisme et l’égoïsme dans les sociétés humaines
Pour les sociobiologistes la vie sociale commencerait ave l’altruisme. L’altruisme familial s’explique par la sélection de parenté ; l’altruisme au-delà s’expliquerait par l’altruisme réciproque. La vie sociale s’expliquerait par un dosage entre altruisme et égoïsme mais du point de vue du gène, il y a toujours égoïsme.
Règles de parenté, du mariage, évitement de l’inceste
Les règles de parenté, même si elles sont différentes d’une société à l’autre peuvent s’expliquer par des nécessités d’optimisation génétique. Cela permettrait même d’expliquer les différences entre les mariages avec les cousins croisés et les cousins parallèles. Le refus du mariage avec les cousins parallèles matrilatéraux s’expliquerait par les risques de consanguinité et le refus de mariage avec les cousins parallèles patrilatéraux s’expliquerait par le fait qu’il n’y a des doutes sur la parenté génétique (c’est le fils du frère du père) donc qu’il y un risque de ne pas transmettre ses propres gènes. Donc on préfèrerait les mariages avec les cousins croisés.
IV) SCIENCES SOCIALES ET BIOLOGIE : BILAN D’UNE POLÉMIQUE
A) BILAN DE LA SOCIOBIOLOGIE
Le débat sur la sociobiologie est retombé dans le années 80. Celle ci est toujours présente mais occupe une position périphérique dans les sciences sociales. Il y a plusieurs raisons à son rejet :
+ D’abord, elle n’est justifiée que par peu de données empiriques.
+ Ensuite, elle n’apporte pas grand chose de plus, en termes d’explications, que les autres sciences sociales, si ce n’est au prix d’une hypothèse non vérifiable de maximisation génétique et une conception très sommaire de ce que sont les normes sociales.
+ Elle apparaît donc pour l’essentiel comme une « théorie infalsifiable ».
+ Elle est le dernier avatar d’un échange continuel entre les sciences de la vie et les sciences sociales (Smith è Darwin ècapitalisme libéral è sociobiologie) et apparaît comme un décalque de l’économie capitaliste avec le gène dans le rôle du profit et la sélection dans le rôle de la concurrence.
Cependant, ce rejet global de la sociobiologie a fait qu’on n’a pas s reconnu l’apport de certains travaux (Hamilton, Maynard-Smith,…)
B) LE NOUVEL EVOLUTIONNISME SOCIAL ET CULTUREL
C’est un courant de recherches qui s’appuie sur la « psychologie évolutionniste» et les « sciences cognitives » et se distingue de la sociobiologie dans la mesure où on n’y reconnaît pas de déterminisme génétique. L’objet central de ces analyses est l’existence de « réplicateurs » qui favorisent la transmission différentielle (ou « descendance ave c modifications »). Il y a des réplicateurs culturels et des réplicateurs génétiques. L’idée centrale est donc que la culture se transmet selon les mêmes modalités que les gènes.
Dominique Guillo distingue plusieurs variantes de ce courant de recherches :
1) La théorie des « mèmes » de Richard Dawkins
Pour Dawkins, l’évolution culturelle est indépendante des gènes mais suit des mécanismes de transmission analogues. Cette transmission se fera par imitation via un « réplicateur culturel » (un « mème ») qui doit avoir les trois qualités que sont sa longévité, sa fécondité, sa fidélité dans la copie.
2) Le nouvel évolutionnisme culturel en anthropologie
Les phénomènes humains seraient à la croisée de deux évolutions indépendantes, une évolution génétique et une évolution culturelle. La culture n’est alors ni le produit des gènes ni le produit des contraintes de l’environnement mais une évolution autonome.
a) Le modèle de Cavalli- Sforza et de Feldman
Pour eux, la culture est indépendante des gènes mais peut se transformer selon cinq mécanismes que sont la mutation (innovation), la transmission, la dérive culturelle, la sélection culturelle et la sélection naturelle.
b) Le modèle de Boyd et Richerson
La culture est vue ici comme un ensemble d’informations et elle soumise à trois forces évolutives : la transmission des résultats de l’apprentissage, les résultats aléatoires et les mutations, la sélection naturelle de variations culturelles.
3) Théories de la coévolution « gènes /culture »
a) théorie de la coévolution avec prééminence génétique
Pour Lumsden et Wilson, l’essentiel de l’évolution provient d’une interaction entre gènes et culture mais en pratique ils accordent une prédominance aux gènes et à l’inné.
b) Coévolution : le modèle de W.H. Durham
Il bâtit un modèle de coévolution « gènes/culture » dans lequel il distingue cinq modes de relations entre génétique et culture. Il reteint deux modes interactif (médiation génétique, médiation culturelle) et trois modes « comparatifs » : ce peut être le renforcement (ainsi, le tabou de l’inceste, d’origine culturelle, peut être renforcé par la génétique ; la neutralité des gènes par rapport à la culture ou bien l’opposition entre les deux.
c) Le modèle à trois niveaux de sélection de W.G. Runciman
Runciman considère que le processus sélectif peut s’effectuer aux trois niveaux des gènes, des « mèmes » et des « actions réciproques ». Il distingue trois processus de déclenchement des comportements : « comportement déclenché » (passionnel), « comportement acquis » (socialisation), « comportement imposé » (contrôle social).
4) L’épidémiologie des représentations (Dan Sperber)
Dan Sperber s’intéresse à la diffusion des représentations (« représentations mentales » et « représentations publiques »), diffusion qui se fait selon un « paradigme épidémiologique » mais avec des déformations de la représentation à chaque étape de transmission. Toutefois, il remarque que certaines représentations se transforment peu ; c’est le fait de ce qu’il appelle des « attracteurs », c’est à dire l’existence d’un scénario qui apparaît plus fréquemment que les autres. L’existence de ces attracteurs serait du soit à des raisons environnementales soit à des facteurs psychologiques tels que les voient les sciences cognitives et la psychologie évolutionniste. Pour Sperber, le rôle du cerveau est essentiel dans ces transmissions, son évolution étant due à des possibilités génétiques qui ont été sélectionnées au cours de l’évolution. Pour lui, les processus cognitifs maximisent le rapport « effet/effort » dans le traitement de l’information. Les « attracteurs » sont alors les scénarios qui maximisent ce rapport. Pour Sperber, l’épidémiologie des représentations suit alors une logique darwinienne (le naturalisme est ici analogique).
LES LIMITES DU NOUVEL EVOLUTIONNISME SOCIAL ET CULTUREL
Les critiques que l’on peut faire de ces approches sont à peu près les mêmes que celles que l’on a faites à la sociobiologie : une définition et une conception floues de la culture, une analogie avec l’évolution génétique parfois approximative,… En fait, l’emprunt de termes issus des sciences de la vie constitue souvent un nouvel habillage des modèles sociologiques classiques de diffusion par imitation ou des modèles utilitaristes.
CONCLUSION :
Il y a donc eu deux périodes de retour du naturalisme (naturalisme analogique et naturalisme causal) : au 19ème siècle avec l’essor des concepts d’organisation et de classification. Depuis les années 70, autour des notions de gène, réplicateur, sélection (mais cette deuxième expansion est beaucoup moins forte que celle du 19ème siècle). Dominique Guillo termine son ouvrage en se demandant pourquoi les sciences de la vie ont elles pu exercer une telle fascination sur la sociologie. Il avance trois explications possibles : la première est que les sciences de la vie ont produit des « noyaux cognitifs » suffisamment solides pour s’exporter dans les sciences sociales. Cela rejoint une fascination pour les « sciences dures » ; enfin, on utilise régulièrement les sciences de la vie pour justifier l’ordre social dominant (mais en réalité celles ci sont suffisamment malléables pour pouvoir justifier toutes sortes d’idéologies).
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