D. NELKIN et S. LINDEE : LA MYSTIQUE DE L'ADN - BELIN - 1998
AVANT – PROPOS
Les deux auteures partent de l’idée que les connaissance communes sur le gène viennent de la culture de masse plus que de sources scientifiques. Elles essaient donc de dégager ces sources de la culture commune. En cela, elles ne se situent pas exactement dans une perspective sociologique mais plutôt dans la tradition du « folklore ». Elles cherchent donc à accumuler les exemples significatifs.
CHAPITRE I : LES FACULTÉS DES GÈNES .
D’un point de vue scientifique, le gène a pris des sens différents au cours de l’histoire. Au début du 20èùme siècle , il était assimilé au, trait physique particulier (un phénotype). Après 1945, il est assimilé à l’ADN mais peu à peu on ne considère plus qu’il détermine les phénotypes de manière linéaire mais qu’il interagit de manière complexe avec le milieu cellulaire et tissulaire. La relation entre gène et phénotype apparaît aujourd’hui, comme très complexe. Mais cette complexité du discours scientifique disparaît dans le discours médiatique qui en reste à une relation linéaire et simple entre gène et phénotype. Le gène prend alors la forme d’un objet symbolique qui, d’après les auteurs, prend pratiquement la place de l’âme dans la Bible. On voit également apparaître un « essentialisme génétique » selon lequel nous ne serions que le produit de nos gènes. Ainsi, l’intérêt pour le gène va se développer dans les années 90 pour deux raisons :
- D’une part à cause des grandes avancées scientifiques qui ont lieu à cette époque.
- Avancées relayées par les programmes d’étude du génome humain qui passionnent le public.
- D’autre part, parce que le gène semble apporter des réponses à des questionnements actuels liés aux menaces qui pèsent sur l’identité individuelle, les relations familiales ou la cohésion sociale.
Le gène devient donc un objet culturel qui, dans l’imaginaire populaire, permet de définir l’identité individuelle, les rapports interpersonnels et l’ordre de la nature. Par ailleurs, pour vulgariser leurs découvertes, les scientifiques utilisent un langage métaphorique qui peut prêter à confusion et qui tourne autour de trois idées qui sont que le gène est à l((‘origine de notre nature, que la recherche permettra de prédire certains traits comportement et, enfin, que le génome permet de définir l’ordre naturel.
L’Eugénisme, dominant entre 1900 et 1935, n’était pas une doctrine unique mais était formé de milliers d’idées et des perspectives s’appuyant toutes sur l’idée de « plasma germinal » qui, comme le gène, était censé refléter des constantes sur la personne , l’ordre social les caractéristiques physiques et les relations familiales. Les eugénistes avaient un certain nombre de domaines de prédilection : le criminel né, l’existence de « familles anormales » qu’on devait stériliser voire supprimer et c’est sous cette égide qu’on instaure les concours du « plus beau bébé » ou des « meilleures familles ». L’Eugénisme apparait alors comme une « é »religion civique » qui apporte une réponse au problème des « coûts publics » (ou des coûts occasionnés par la présence de certains problème sociaux). L’Eugénisme, et de manière plus générale, les explications en termes génétiques prirent fin après la seconde guerre mondiale mais ce n’est pas du à des avancées particulières dans le domaine scientifique mais simplement au discrédit que le Nazisme a pu occasionner à ce type d’explications. En fait, d’après les auteures, l’explication génétique n’a pas cessé d’accaparer l’imaginaire américain depuis le début du XXème siècle ; la période 1945-1970 ne constituant qu’une parenthèse, et il est à nouveau en vogue depuis le début des années 90.
Les auteurs s’attaquent ici à la représentation culturelle de l’ADN. Elles remarquent qu’actuellement les critères de spécificité de l’être humain sont quelque peu remis en cause. D’un côté, l’humain est d’abord un être qui pense mais ce monopole n’est il pas remise en question par les ordinateurs ? D’autre part, la frontière entre l’humanité et l’animalité est moins claire qu’autrefois. Enfin, il y a de plus en plus d’ambigüités sur les traces, classes et genres. L’essentialisme génétique donne des réponses à toutes ces incertitudes dans la mesure où on considère que l’ADN est devenu le marqueur de l’identité individuelle à travers les « empreintes génétiques » et que l’étude des migrations ainsi que le programme de cartographie du génome humain sont deux façons de présenter l’ADN comme un texte immortel assimilable à la Bible. Tout cela fait que l’ADN prend dans la culture occidentale un caractère « sacré » et possède les mêmes fonctions que « l’âme » dans la religion.
La famille « moléculaire ».
L’ADN occupe une place de plus en plus importante dans la représentation culturelle de la construction familiale. En effet, face à une famille de plus en plus remise en cause par les divorces, le déclin du mariage,…le gène apparait comme un élément stable et rassurant. Premièrement, le désir d’enfant apparait de plus en plus associé au désir de « transmettre son patrimoine génétique » (ce qu’on va retrouver dans les Procréations Médicalement Assistées) ; il est frappant, par exemple, qu’une mère porteuse soit considérée comme un « incubateur neutre » alors que l’n sait qu’il existe une vie intra-utérine. Par ailleurs, les enfants adoptés sont souvent représentés dans la « culture de masse » comme « incomplets car n’ayant pas leur identité génétique. Le lien génétique apparaît alors comme étant susceptible d’être à la source de liens affectifs et cette idée s’insère d’autant plus facilement dans la culture de masse qu’elle ne fait que prendre la place de ce qu’on a appelé les « liens de sang », considérés comme de « varis liens ». Les auteures en déduisent qu’il existe aujourd’hui l’émergence d’une forme particulière de famille qu’elles dénomment « famille moléculaire ».
Les auteures s’intéressent ici à la représentation de la famille dans les feuilletons télévisées américains. Elles remarquent que dans les années 50, on représente en général une famille ouvrière avec plusieurs générations cohabitant sous le même toit. Puis dans les années 60, apparaissent les problèmes liés à l’argent et à la consommation ; la possession de biens représente la base stable de la famille. Dans les années 70, les premiers éléments de crise familiale apparaissent (divorces, conflits de classe ou de races,…). Les années 80 voient la valorisation e la vie privée, l’inquiétude du déclin de l’autorité familiale mais aussi l’apparition de familles « hors-normes »[1]. Et c’est dans ces mêmes années 80 qu’apparaissent les premières explications fondées sur l’analyse de l’ADN notamment pour vérifier l’authenticité » de liens familiaux et résoudre des problèmes d’adoption ou de droit de garde. La « famille moléculaire » prend alors de l’importance face à la « famille nucléaire ».
Il existe de très nombreuses recherches scientifiques qui recherchent, sinon des bases, en tout cas des liens génétiques avec divers comportements humains. Un des chercheurs qui a le plus fait parler de lui est le psychologue Thomas Bouchard dont les études sur des jumeaux monozygotes ont été publiées pour la première fois en Octobre 1990 par la revue « Science » mais ces études, souvent publiées avant vérification par d’autres laboratoires, souffrent de nombreux biais[2].
CHAPITRE VI : DES DIFFÉRENCES NATURELLES.
Le recours aux explications génétiques va aussi permettre d’expliquer et de naturaliser des différences comme les différences sexuelles, raciales ou d’orientation sexuelles. Ainsi, les différences génétiques entre hommes et femmes (voire entre cerveau masculin et féminin) vont retrouver le cours des vieilles thèses du 19ème siècle et le public s’est converti dans les années 9+0 à l’idée que ces différences seraient génétiquement déterminées. Par ailleurs, le psychologue Jensen va relancer la polémique sur les différences raciales dans un article de 1969 et, plus près de nous, Hernstein et Murray vont faire scandale avec leur livre « The Bell curve » qui ente de démontrer l’infériorité génétique des noirs en termes d’intelligence[5].
Les années 90 seront marquées par deux grands types d’explication, l’explication individualiste et l’explication génétique, qui agiront dans le même sens qui est de permettre à la collectivité de se décharger d’éventuelles politiques sociales : en effet, à quoi bon mettre en place, par exemple, un système d’allocations chômage si le chômeur est le seul responsable de son sort ? Mais l’explication génétique va plus loin encore puisqu’en plus elle décharge l’individu de sa propre responsabilité. Et d’après les auteures, cette idée peut s’appliquer dans de nombreux domaines. Par exemple, les livres de conseil aux parents mettaient l’accent, dans les années 50, du rôle de l’environnement et de leur action en tant que parents. Dans les années 80, l’accent est mis sur la détermination génétique : tout ce que peuvent alors faire les parents c’est éviter d’entreprendre des actions qui iraient trop à l’encontre de ce que seraient (génétiquement) leurs enfants. En revanche, il leur incombe une nouvelle responsabilité, celle de transmettre à leurs enfants « les bons gènes » et d’éviter de transmettre les « mauvais gènes ». C’est donc à une exonération de la responsabilité individuelles qu’abouti l’explication génétique et les auteures pensent que cela va à l’encontre de l’idéologie individualiste américaine[6]
CHAPITRE VIII : L’ESSENTIALISME GÉNÉTIQUE MIS EN PRATIQUE.
L’essentialisme génétique connaît un tel succès pour deux raisons : d’abord parce que la génétique a acquis la réputation de pouvoir faire des « prédictions », d’autre part parce que le recours au gène permet de réduire à un problème simple des problèmes complexes. Ainsi, en matière de justice, la recherche du « père génétique » évite de se poser des questions complexes sur l’apport éducatif, relationnel ou symbolique de tel ou tel parent. Les troubles chez l’enfant n’est plus un problème psychologique ou relationnel mais purement médical. Par ailleurs, la génétique a la réputation de permettre de « prédire » que telle ou telle pathologie se développera. C’est confondre la notion de prédiction avec la notion de « risque statistique ». Cela n’empêche pas des risques des effets pervers cités par les auteures : des compagnies d’assurance refusant d’assurant une personne porteuse d’un « mauvais gène » ou, pire, le auteures signalement le cas d’une compagnie refusant de protéger des enfants « à risque » parce que leur mère avait refusé d’avorter ; enfin, i ; y a des risques de discrimination à l’embauche.
CHAPITRE IX : LA GÉNÉTIQUE DE L’AVENIR.
Les idées sous jacentes à l’Eugénisme sont de quatre types : les pauvres font trop d’enfants par rapport aux riches et sont « génétiquement » moins intelligents ; les personnes porteuses de « mauvais gènes » qui les rendront violentes ou handicapées ont « une vie qui ne vaut pas d’être vécue » ; la reproduction excessive est à la source de toutes les crises ; et enfin, certains groupes en arrivent à la conclusion que ces menaces justifieraient une limitation au droit à la reproduction ». L’Eugénisme « classique » (d’avant-guerre) relevait d’une politique d’Etat mais les auteurs pensent qu’un « eugénisme nouveau » apparaît , lequel serait fondé sur les stratégies des individus et la pression de la société ; Dans ce dernier cas, on attend des individus eux-mêmes qu’ils s’abstiennent de procréer s’ils sont porteurs d’un « mauvais gène » t on reprochera aux parents qui ne le font pas de ne pas se préoccuper des souffrances psychologiques de leur enfant.
Le déterminisme génétique a nettement gagné en audience à partir des années 90. Cela est du au fait qu’on lui a attribué des fonctions vérifiées mais aussi des vertus magiques. Cet attrait est du au fait que , bien souvent, des théories biologiques permettent de justifier un certain ordre social. En ce sens, le gène, par qui le bien ou le mal se trouve situé à l’intérieur même des individus, est en cohérence avec les valeurs américaines, notamment l’individualisme[7]. Mais, en plus, le concept de gène est suffisamment malléable pour pouvoir s’adapter à toutes sortes de discours et donner des réponses simples aux problèmes complexes des relations entre les sexes, e la déviance ou e la criminalité. Le danger est que « l’essentialisme génétique » devienne un discours autonome.
[1] On voit bien ici que les feuilletons retracent les grands mouvements sociétaux que sont la privatisation de la vie sociale (individualisme), la désinstitutionalisation et le « libéralisme des mœurs »
[2] Pour obtenir des précisions voir Th. Rogel : « Une société entière dans ses gènes » - DEES n°122 – Décembre 2000
[3] Pour avoir des informations nuancées sur la génétique de comportement, voir P. Roubertoux « Existe-t-il des gènes de comportement ? »- Fiche de lecture par Th. Rogel sur le site de l’académie d’Orléans-Tours
[4] Rappelons que si, dans certain cas, on peut faire un line statistique entre certaines sections d’ADN et un comportement, ce lien n’a jamais pu être assimilé à une détermination directe et linéaire
[5] pour précisions voir Th. Rogel – op cit ou S.J. Gould : « La mal mesure de l’homme » - O. Jacob - Note de lecture par Th. Rogel sur le site de l’académie d’Orléans-Tours
[6] A ce titre, on peut penser que les auteures se trompent sur ce point car l’idéologie individualiste fondée que l’idée de vocation chez Calvin s’accorde parfaitement avec l’idée de prédestination. Ici, le gène prend la place du « Beruf » (vocation) dans l’éthique protestante.
[7] Et certainement la Religion – cf note 6.
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