MÉTAMORPHOSES DE LA PARENTE
Maurice GODELIER – Essais Flammarion – 2010
Quelques notes sur le livre (écrites en 2013)
« Métamorphoses de la parenté » est un énorme pavé de 734 pages auxquels il faut ajouter plus de 200 pages d’annexes (notes, index, glossaire, cartes, etc…) au style fluide ce qui permet heureusement de lire ce livre assez aisément car la masse d’informations et la densité du propos fait qu’on est obligé de s’arrêter régulièrement tant on arrive à être « rassasié ». 734 pages, ça veut dire près d’une quarantaine d’heures de lecture, c’est dire que, même si on est passionné, il est difficile de trouver le temps de s’y consacrer pleinement.
En l’occurrence je ne vais pas faire une synthèse du livre mais plutôt picorer ici et là ce qui me semble intéressant pour des professeurs de SES et, éventuellement, quelques exemples qu’on aurait pu utiliser en cours quand la famille était encore au programme.
L’exemple des Baruya chez lesquels il a vécu plusieurs années va constituer son point de départ (chapitre I). Il va ensuite présenter les composantes élémentaires de la parenté : les modes de descendance (filiation), les modes d’alliance (union, mariage) et les représentations que chaque société se fait de la conception de l’enfant (chapitres 2, 3,47 et 8). Le chapitre 5 est consacré aux terminologies de la parenté, les chapitres 10 et 11 sont consacrés à l’inceste et à sa prohibition. Enfin dans les derniers chapitres et la conclusion, il développera plus précisément ses propres théories sur l’inceste sur l’évolution des formes familiales et consacrera la conclusion à quelques réflexions sur les solutions actuelles.
En développant son analyse de la parenté Maurice Godelier cherche à préciser et à dépasser le travail de Claude Lévi-Strauss qui reste la référence centrale dans ces domaines.
S’il reconnait à Lévi-Strauss le mérite d’avoir mis en avant (même s’il n’est pas le premier) le lien entre prohibition de l’inceste et obligation d’exogamie et d’avoir montré que la question n’est pas tant d’interdire certains conjoints que d’obliger à aller chercher à l’extérieur et d’avoir donc montré l’importance de l’échange dans la constitution de la parenté. Cependant, il le critique sur un certain nombre de points :
- La question de l’échange est essentielle. Lévi-Strauss avait mis l’accent sur l’échange non conflictuel dans le cadre du Don-Conte don (ce qui le différencie quelque peu de Mauss qui s’intéressait surtout à l’échange agonistique). On sait également qu’au-delà du Don-Contre-don existent des échanges marchands. Nous ne nous attarderons pas sur les remarques bien connues que le fait que le don contre don engage la personne et créé une dette inextinguible alors que l’échange marchand libère l’individu. M. Godelier insiste surtout sur le fait que l’on oublie en général (et Lévi-Strauss notamment) qu’il existe aussi des variétés de biens qui ne doivent pas être échangés mais doivent être conservés (notamment en vue d’être transmis à la descendance), des biens qui acquièrent généralement un caractère sacré (la terre, le corps, etc…).
- Reprenant cette question dans le cadre de la parenté, Godelier reprend la thèse de Lévi-Strauss selon laquelle la constitution de la parenté suppose un échange entre groupes (exogamie) et distingue trois formes de structures familiales : les systèmes simples, les systèmes semi complexes et les systèmes complexes.
Lévi-Strauss stipule également que cet échange est avant tout un échange de femmes entre les hommes et est un échange universel. Godelier va contester ces deux données. Premièrement si l’échange de femmes est majoritairement adopté, il n’est pas universel et il présente des cas d’échanges d’hommes qui se font entre femmes. Deuxièmement, il conteste que l’obligation d’exogamie soit la seule pratique possible.
Enfin, il reproche à Lévi-Strauss d’avoir délaissé la question de la filiation et de la descendance au profit de la question de l’alliance
- Pour Godelier il existe plusieurs grandes modalités possibles : se marier au plus proche, se marier au plus loin, se marier entre soi, donc se marier avec échange ou sans échange.
Les chapitres qu’il consacre à « l’inceste » et notamment au cas des mariages entre frères et sœurs est absolument passionnant. Personnellement, bien que sachant que l’inceste, s’il est en lui-même universel, est relatif à chaque société dans le choix des conjoints prescrits, je pensais que l’union père-fils, mère-fille, frère – sœur n’était acceptée que minoritairement dans les dynasties pharaoniques et les familles royales hawaïennes (exemples qu’on peut trouver notamment dans « structures et fonctions dans la société primitive » de Radcliffe-Brown consultable sur le site des classiques des sciences sociales : http://classiques.uqac.ca/classiques/radcliffe_brown/radcliffe_brown.html). Godelier montre que l’union frère-sœur était pratiquée chez les égyptiens et chez les mazdéens de manière assez fréquente et pas seulement dans les familles nobles et quelle était considérée comme « l’union idéale » parce que reproduisant (chez les égyptiens) l’union première d’Isis et d’Osiris.
Je risque un aparté personnel : j’ai été surpris de constater que le cas de l’union frère-sœur qui aurait été impossible à mentionner dans les années 1960 trouve aujourd’hui sa place dans la culture populaire. On en trouve une suggestion dans le film « Blanche Neige et le chasseur » (mais suggestion timide qui échappera aux spectateurs les plus jeunes) ; mais on en trouve surtout une utilisation dans « game of thrones » (avec des scènes d’amour entre frère et sœur), la série qui est aujourd’hui la plus regardée au monde.
Godelier écorne donc bien sérieusement la thèse du tabou universel de l’inceste (et il démolit la thèse de l’inceste du deuxième type de Françoise Héritier ; PS : je suis bien entendu incapable de porter un avis sur la valeur de cette critique ; et il démolit également les thèses de Freud). Pour autant, il ne détruit pas la thèse de l’universalité des interdits au mariage et indique bien qu’aucune société humaine ne peut laisser une totale liberté des relations sexuelles et doit promulguer des interdits.
Passionnants sont aussi les chapitres consacrés à la manière dont chaque société « conçoit la conception de l’enfant. Allant bien au-delà de la distinction des sociétés qui donne un rôle actif au sperme de l’homme (« la femme est un vase ») et celles donnant la primauté à la femme (« l’homme n’est qu’un arroseur ») il en donne de multiples déclinaisons et rappelle qu’il y a une constante qui est que ni le géniteur ni la génitrice ne suffisent et qu’il faut toujours un troisième terme pour donner vie à l’enfant (un souffle divin », le soleil, etc…) ce qui lui permet au passage d’intégrer la religion chrétienne dans l’analyse ethnologique.
Il aborde la question des appellations de parenté (qui appelle-t-on frère, cousin, etc… ?) et présente les différents systèmes qu’on peut tirer de ces appellations : dravidiens, omaha-crow, iroquois, soudanais, hawaïen, eskimo. Dans le chapitre 13, il montre comment les systèmes d’appellation ont pu se transformer au cours de l’histoire. Par exemple, le système latin distinguait les oncles et tantes selon qu’ils son du côté du père ou de la mère. Du côté de la mère (« mater) on avait la « matertera » (« sœur de la mère ») et l’avunculus (frère de la mère, dont on connait l’importance en ethnologie ainsi que dans la littérature médiévale) ; du coté du père on avait le « patruus (« frère du père ») et « amita » (sœur du père). Evidemment leurs enfants (les « cousins ») avaient des appellations différentes selon leur place par rapport à ego. Ainsi les « cousins parallèles patrilatéraux » étaient les « fratres patrueles », les enfants de la tante paternelle étaient les amitini. Ceux de la sœur de la mère et du frère du père étaient appelés « consobrini » (dont es tir le terme « cousin »). Les appellations de patruus et matertera ont fini par disparaitre et ont laissé la place à avunculus et amita et consobrini a fini par désigner toutes les sortes de cousins germains. Godelier fait l’hypothèse que les appellations si elles changent lentement le font de manière irréversible et il pense que la plupart ont dérivé du système dravidien, proposant une forme « d’évolutionnisme multilatéral ». Mais l’origine de ces évolutions est à rechercher en dehors de la parenté elle-même, sans qu’il soit possible de faire un lien automatique entre tel régime économique et telle forme familiale par exemple. En revanche il faut retenir l’importance des déterminations symboliques, politico-religieuses.
En cela, il affirme sa thèse principale qui est que nulle part la famille et la parenté n’ont été le fondement de la société. Ce fondement est d’abord à rechercher dans la sphère politicio- religieuse.
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