L’argent expliqué à ma mère… et à son banquier

(Jezabel Couppey-Soubeyran - Seuil – 2025)

En 2024 Jezabel Couppy-Soubeyran avait publié « Le pouvoir de la monnaie  (avec Pierre Delandre et  Augustin Sersiron). Dans cet ouvrage elle montrait que la monnaie change au cours de l’Histoire et qu’un nouveau changement est aujourd’hui nécessaire pour faire face à la « transition écologique ». Il apparaissait donc comme indispensable d’apporter au grand public les savoirs de base concernant la monnaie. Mais cet ouvrage, qu’elle voulait d’abord de petite taille et simple, est devenu un ouvrage dense, complexe et peu accessible au grand public. Elle a donc décidé d’écrire un ouvrage accessible que pourrait lire sa mère (cf page 190 de cet ouvrage) dans lequel elle présente non seulement les connaissances à avoir concernant la monnaie mais aussi ses propositions pour sortir de l’impasse écologique dans laquelle nous sommes.

Le livre étant destiné à un « grand public » il est écrit de manière simple à partir de dialogues avec sa mère et n’est pas aussi approfondi qu’un ouvrage universitaire (il y a notamment peu de références historiques qui constituent une part non négligeable de son ouvrage précédent). J’en ferai donc une présentation succincte.

Première remarque : le titre ! Enfin, une économiste ose prononcer le mot tabou, « l’argent ». On le sait, les économistes détestent parler d’argent et ne connaissent que la monnaie (ce qui, depuis longtemps, me semble être un simple tabou au mieux pittoresque, au pire dangereux ; en effet, refuser de parler d’argent c’est trop souvent refuser de prendre en compte ses dimensions sociales et politiques et s’en tenir à un instrument économique permettant la seule transaction). Est-ce pour cette raison que le terme « argent » est en couverture ou, plus prosaïquement, parce que le mot parle plus aux lecteurs que le terme « monnaie » (et l’autrice voulant d’abord toucher un public large, on comprend son intention) ?

Deuxième remarque : elle veut expliquer l’argent à sa mère mais aussi à son banquier qu’on pourrait imaginer être au fait de la question. En fait, bien souvent les conseillers de clientèle dans les banques (et beaucoup de banquiers) ignorent tout de la création monétaire « ex-nihilo » et pensent qu’ils prêtent les dépôts de leurs clients, propos que j’ai retrouvé sur les sites internet de grandes banques commerciales. Autre propos possible : « c’est la Banque Centrale qui envoie l’argent et les banques le redistribuent ». Parole tenue par une conseillère en communication de grandes banques qui, contestant auprès de sa fille l’idée de création monétaire ex-nihilo et  les cours de son prof de SES, ajoutait  « que son professeur n’a certainement jamais vu un bilan bancaire ». Ces propos rejoignent exactement le contenu du livre où l’autrice déplore le fait que la présentation des bilans bancaires pousse à assimiler les banques à des entreprises qui transformeraient des consommations intermédiaires et masque leur rôle essentiel de création monétaire.

J. Couppey-Soubeyrat en profite également pour démolir la « fable du troc » (réfutation qui semble maintenant être bien connue de beaucoup, notamment des profs de SES, mais pas de leur inspection qui la relate dans les fiches « Eduscol »). Elle explique également les liens entre monnaie et dette et consacre plusieurs chapitres à l’explication de notions qui nos sont bien connues comme l’inflation, la finance, etc…

Un chapitre est consacré à la place des femmes dans la finance (« La finance, chasse gardée des hommes ». J’en profite pour signaler que, sauf erreur de ma part, la première femme à avoir pu entrer dans l’enceinte de la bourse de Paris fut la chanteuse Sheila en Octobre 1967. « La cloche a sonné ! La bourse est finie ». Clin d’œil aux plus anciens d’entre nous). Deux chapitres sont ensuite consacrés à la présentation du bitcoin et autres cryptos ainsi qu’aux monnaies locales (avec l’exemple du « Rollon » de Caen).

Enfin, elle développe ses propres thèses dans les derniers chapitres du livre. Elle rappelle d’abord les dangers de la création monétaire par les banques commerciales qui ne peut que nourrir les désirs de croissance économique (incompatibles avec la nécessité d’une transition écologique). Elle présente ensuite l’idée de « monnaie hélicoptère » et surtout sa proposition de « monnaie volontaire », proposition iconoclaste destinée à financer la transition écologique (et qui m’a parfois fait penser à certains propos de Stéphanie Kelton, tenante de la « théorie monétaire moderne »).

Le résumé est fait à grands traits, la lecture de l’ouvrage ne posant pas de problème à un lecteur déjà averti (professeur de SES, de STG, etc…). Je mettrais toutefois un bémol. Malgré le choix de dialogues (où la mère parle peu et la fille beaucoup mais c’est elle la spécialiste), les explications de l’autrice sont parfois assez denses pour un lecteur non averti (mais comment faire pour aérer des explications complexes ?). Donc ce ne sera pas toujours facile pour un élève (sauf s’il est très intéressé). En revanche, c’est parfait pour le professeur de SES (le livre se lit rapidement) qui pourra transmettre les idées de monnaie volontaire à ses élèves.

(Th Rogel – Mise en ligne le 05 Octobre 205)

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