KARL MARX N’A PAS ÉTÉ NOTRE PROF MAIS AGHION ASPIRE Á DEVENIR CALIFE ! RÉPONSE Á L’ARTICLE DE SOPHIE ROQUELLE

Et de trois ! Après l’article de Pierre Bentata « Au lycée, les cours d’économie ne forment pas des entrepreneurs mais des électeurs passifs » paru dans l’Express  le 8 Septembre 2025 (https://www.lexpress.fr/economie/politique-economique/au-lycee-les-cours-deconomie-ne-forment-pas-des-entrepreneurs-mais-des-electeurs-passifs-par-pierre-RQCZP5XTQVG2PC2UQ2M4QMF6XE/ ) et « La France, ce pays de non-économistes » par Jean Peyrelevade dans « Les Echos » du 17 Septembre 2025 (https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/la-france-ce-pays-de-non-economistes-2186637) voici un troisième article dénigrant les SES en moins de deux mois. Aussi mal informé que les autres ! Peut être même un peu plus ! Sophie Roquelle va de toute évidence se tailler une place de choix dans le Panthéon des drôles d’articles bêtes et méchants avec « Un prof nommé Karl Marx ? » paru dans la revue « L’Opinion » du 4 Novembre 2025 (https://www.lopinion.fr/house-of-kids/un-prof-nomme-karl-marx). Un article court : 4600 signes seulement (blancs compris) contre 6400 pour celui de Peyrelevade (qui, certes ne parlait pas que des SES) et 7800 pour celui Bentata, ce qui suggère une concentration admirable d’erreurs sur un si petit espace.

Première erreur ! Penser que l’enseignement des SES seraient responsables de la nullité des français (et notamment des députés de gauche) depuis trente ans (« Et si la nullité des Français en économie venait de l’école ? », « Or ce sont ces enseignements qui ont formé des générations de Français depuis 30 ans », « l’impossibilité des Français à comprendre des notions économiques et financières de base vient d’abord et avant tout de l’école, et plus particulièrement des cours d’économie qui leur sont délivrés au lycée. »). Rappelons d’abord que les SES existent depuis 1967, cela fait 58 ans en 2025 et non trente ans ! Merci de nous rajeunir, c’est toujours flatteur ! Mais l’auteure de l’article aurait quand même pu faire un minimum de recherche en allant sur la page wikipedia par exemple, qui indique même 1966, la date de parution du premier programme. Certes Wiki n’est peut être pas digne d’une journaliste mais enfin… ça aurait évité de dire des bêtises.

Rappelons ensuite que les SES n’ont jamais touché que les élèves de filière générale qui ont suivi la filière B puis ES (et aujourd’hui la spécialité) et ceux qui ont pu suivre le cours de seconde obligatoire à raison d’1h30 à 3h selon les périodes (et encore, quand la discipline n’a pas été optionnelle ou à choisir avec les PFEG). Je ne vais  pas refaire de fastidieux calculs mais malgré le succès grandissant de la discipline au cours des années, les SES n’ont touché qu’une minorité de nos concitoyens.

Passons à la critique faite des contenus : « (…) la croissance n’était étudiée qu’à l’aune des inégalités sociales et des dégâts environnementaux qu’elle génère, le mieux étant évidemment la croissance zéro. La vie des entreprises, les finances publiques et la finance tout court ne sont pas abordés. » Un simple coup d’œil sur l’ensemble des programmes passés permet de voir que dès ses origines (en 1967), la croissance, les finances publiques, la finance ainsi que les aspects positifs de la croissance étaient enseignés. Et est-il répréhensible de parler des inégalités sociales et des problèmes environnementaux ? Mais il y a un point sur lequel je rejoins madame Roquelle c’est l’impossibilité de présenter les finances publiques car la portion laissée à l’analyse de l’Etat est tellement rétrécie qu’il est impossible de le faire. Mais cela seulement depuis 2019 et le programme concocté par Philippe Aghion ! C’est ironique non ? Avant 2019 je pouvais passer quelques  heures à présenter le détail des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques.

Méconnaissance également de ce que sont les SES (« (…) le programme de SES (…) est un fourre-tout où jusqu’à une date récente, la sociologie tenait davantage de place que l’économie »). Premièrement la sociologie n’a jamais tenu davantage de place que l’économie, bien loin de là, quel que soit le programme envisagé, de 1967 à nos jours. Il faut également noter le mépris  de madame («  un fourre-tout ») qui témoigne juste de son ignorance en la matière. L’objectif du premier programme de 1967 était clair : « L'originalité de cet enseignement est sans doute de conduire à la connaissance de nos sociétés actuelles et de leurs mécanismes, d'établir une relation jusque-là incertaine entre culture et réalités économiques et sociales » (Extrait du préambule de Juillet 1966) On remarquera que c’est également l’objectif de ce qu’on appelle aujourd’hui l’EMC qu’à ma connaissance on n’a jamais qualifié de « fourre-tout ». C’est d’autant moins un « fourre-tout » que ce premier programme de SES et ses objectifs, ont été élaborés par un groupe d’économistes, sociologues et historiens sous la direction de Marcel Roncayolo et Guy Palmade dans une optique d’Economie Institutionnaliste (institutionnaliste autant que Mainstream). Madame Roquelle peut ne pas aimer l’Economie Institutionnaliste mais celle-ci existe et n’est pas un fourre tout.

Ignorance de l’impact véritable des SES. Déformation du contenu des programmes. Madame Roquelle s’attaque ensuite aux enseignants, et de la manière la plus médiocre, possible : « Comme vos jeunes collègues qui arrivent à la machine à café avec Alternatives économiques sous le bras, tout le monde n’a qu’une idée en tête, « faire payer les riches », et une obsession, Bernard Arnaud. » (avec au passage une faute d’orthographe sur le nom Arnault et non Arnaud. Ça peut arriver à tout le monde mais c’est ballault, pardon ballot !). On en arrive à la caricature, dans le mauvais sens du terme : le prof de SES ne serait qu’une sorte de pantin animé d’une haine anti-riche et manipulé par Alternatives Economiques, un être malheureux, probablement incapable d’une pensée autonome. On pourrait jouer à construire une caricature opposée de la journaliste « économiste » aux ordres de son patron mais on ne va pas s’abaisser à ça.

Mais le clou du spectacle n’est pas là. Le clou c’est quand Madame Roquelle termine son article en clamant : « l’un de mes rêves secrets les plus chers serait d’assister à un cours de Nathalie Artaud, la chef de file de Lutte ouvrière et professeure d’économie dans un lycée d’Aubervilliers ». Elle croit donner le coup d’épée final sans réaliser à quel point elle dévoile toute la teneur réelle de son travail.

Premièrement, elle se plante magistralement en faisant de Nathalie Arthaud une prof de SES alors qu’elle est enseignante en Économie-Gestion. L’erreur avait déjà été faite il y a une quinzaine d’années par un  éditorialiste qui, en plus, prônait la qualité de l’Economie-Gestion face à la médiocrité des SES. Là encore il suffisait de consulter sa fiche Wikipédia ! (un petit effort madame Roquelle !). Mais ce n’est qu’une erreur bénigne à côté de ce qui suit.

Le plus grave c’est que par cette phrase Madame Roquelle montre qu’elle est incapable d’imaginer qu’un enseignant puisse faire le distinguo entre ses opinions et engagements politiques et ses cours. Il va falloir lui expliquer qu’un  enseignant aux opinions marxistes est capable d’expliquer honnêtement les points positifs et négatifs du libéralisme économique et qu’un enseignant encarté à droite est capable de parler honnêtement de Marx en montrant les aspects positifs et négatifs de ses analyses (mais je suppose que pour madame Roquelle il n’ya que du négatif). En creux, madame Roquelle montre qu’elle pense qu’un cours d’économie est un lieu de propagande et doit l’être ! Cela était déjà apparu chez certains de nos détracteurs et cela l’a été on ne peut plus clairement avec les propos imprudents de M Pebereau au cours d’une allocution : « il serait peut-être bon d’effectuer un travail pédagogique de fond sur nos lycéens, (…) afin de les sensibiliser aux contraintes du libéralisme et à améliorer leur compétitivité, en adhérant au projet de leur entreprise. ». (23 février 2006 à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris». Une citation qui montre que pour ces détracteurs, « pédagogique » se confond avec « au service de… » (peu importe au service de qui ou de quoi… l’enseignement n’est pas au service de…).

Mais madame Roquelle s’enfonce encore plus en mobilisant Aghion et cela permet de montrer les dimensions idéologiques des actuels programmes de SES : « M. Aghion s’est même ouvertement targué d’avoir conçu un programme « pour lutter contre le penser-faux de M. Mélenchon ». Je rajouterai qu’au début de son article ; monsieur Aghion écrit : « Tous les jeunes Français devraient apprendre l'économie dans le secondaire, (…) Afin que chacun puisse comprendre que certaines idées ne peuvent fonctionner. Ainsi, le programme de Jean-Luc Mélenchon, s'il était appliqué, mènerait au désastre. »  et conclut par : « Monsieur Mélenchon, les classes d'économie vous sont ouvertes ». Nul doute qu’il fasse mention des cours de SES dont il a conçu le nouveau programme.

Et dans cet article il assène un ensemble de « vérités économiques » qu’il enfile au son de l’évidence incontestable.

On peut résumer ses propos par les trois affirmations suivantes :

+ L’Économie est composée d’un ensemble de vérités incontestables.

+ Mélenchon et ses députés sont des ignorants qui n’y connaissent rien !

+ Mélenchon apprendra ces vérités dans les cours d’économie au lycée grâce au programme conçu par un groupe dont j’étais le président.

(Un préalable pour éviter tout quiproquo : je déteste Mélenchon et je l’ai toujours détesté mais c’est une autre histoire).

Reprenons ces idées une à une :

 L’économie est composée d’un ensemble de vérités incontestables. 

En tant qu’enseignant au lycée je n’ai pas la légitimité pour contredire un prix Nobel mais je peux signaler que les économistes ne sont pas tous d’accord avec cela. Daniel Cohen par exemple : « Ma conviction personnelle est que, lorsque de grandes oppositions surgissent au sein de la société civile à propos de mesures de politique économique, c’est forcément du fait que les mesures considérées sont ambivalentes et qu’il existe rarement en ces domaines un point de vue «scientifiquement pur» qui surplombe les oppositions. Je pense que le rôle des économistes dans la cité doit être de rendre visibles ces débats, cette ambivalence, pour avertir des avantages et des inconvénients, pour rendre le débat public le plus éclairé possible, plutôt que de faire croire qu’il existerait une science en surplomb qui puisse trancher la question. » (« La science économique en renouvellement » - Entretien avec Daniel Cohen - Le Débat 2018/2 n° 199, pages

Ou bien Jean-Paul Fitoussi qui présentait l’Economie comme « une science de débat » (« C’est une science de débat où chaque question peut avoir deux réponses »).

On est à l’opposé strict de Philippe Aghion.

Mélenchon et ses députés sont des ignorants qui n’y connaissent rien ! 

Rappelons que Mélenchon a, ou a eu, des conseillers (tout comme Aghion a fait partie des conseillers de Macron) avec Généreux ou Liêm Hoang-Ngoc et que cet article a été remis en cause par plusieurs dizaines d’économistes comme Bruno Amable, Éric Berr Jean-Marie Harribey, Dominique Plihon, … qui sont à l’évidence des économistes respectables. Signalons également que le programme de la Nupes avait reçu le soutien de centaines d’économistes français. Mais apparemment, il va falloir qu’en tant que prof de SES, j’aille leur donner des cours ! Lol ! Comme on dit aujourd’hui !

Mélenchon apprendra ces vérités dans les cours d’économie au lycée grâce au programme conçu par un groupe dont j’étais le président. (« Monsieur Mélenchon, les classes d'économie vous sont ouvertes. »). Et c’est là le plus grave. Monsieur Aghion croit avoir fait des cours de SES le réceptacle de « ses » vérités économiques ! Il vient de privatiser, au sens premier du terme, le programme de SES et en a fait sa chose au service de ses idées ! Et, pour lui, le programme de SES a ouvertement pour fonction de contrer le programme économique d’un adversaire (en l’occurrence de Mélenchon mais le scandale serait le même pour tout autre programme). Aghion est en train d’achever un travail de longue date d’emprise idéologique sur l’enseignement de l’économie et Sophie Roquelle est son tout tout tout petit héraut.

En tout cas, il y a lieu de s’interroger de cette recrudescence soudaine d’articles hostiles aux SES après quelques années d’accalmie. Coïncidence… ou bien… ??

 

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