R.K. MERTON : ELEMENTS DE THEORIE ET DE METHODE SOCIOLOGIQUE -A. COLIN -1997

ELEMENTS DE THEORIE

ET DE METHODE SOCIOLOGIQUE

R.K. MERTON

A. COLIN -1997

            La réédition d'un tel classique se savoure. Il servira aux professeurs du secondaire de manière plus ou moins directe pour leurs cours. L'ouvrage est en fait le regroupement d'articles indépendants ( écrits entre 1936 et 1950) et peuvent être consultés séparément.

Certains chapitres ne sont pas d'une utilité directe pour le cours mais permettront aux enseignants d'affermir leur savoir notamment dans les domaines épistémologiques et méthodologiques. C' est le cas des deux premiers chapitres consacrés aux apports mutuels et féconds de la théorie et de la recherche empirique, du chapitre 3 présentant l'analyse fonctionnelle ainsi que du chapitre 10 (plus difficile d'accès) consacré à la théorie de la connaissance. Les liens entre science et société sont analysés dans les chapitres 11 ("l'intellectuel et la bureaucratie") et 13 ("science et économie au 17ème siècle).

            Pour Merton la sociologie doit être cumulative, c'est à dire doit progresser comme les "sciences dures". Pour cela, il faut constamment "naviguer" entre les schémas théoriques et les recherches plus particulières. Il faut également lier la théorie et la recherche, les deux se fécondant mutuellement : les élaborations théoriques donnent des directions de recherche et, à l'inverse, les recherches permettent de donner un nouvel élan à la théorie en mettant en avant des observations auparavant inconnues ou délaissées, en accumulant des données statistiques dans un domaine - ce qui le rend propice à de nouvelles théorisations - et, enfin, en clarifiant les concepts qui ne pourront plus être utilisés de manière floue dans l'élaboration de théories.

Merton se montre également favorable à des paradigmes formels qui ont le mérite d'expliciter les hypothèses utilisées et surtout de fournir une base à une codification ultérieure. Cela permettra au sociologue de standardiser ses méthodes et autorisera une reprise et vérification par d'autres.

Il en donne un bon exemple dans le chapitre 3 consacré à l'analyse fonctionnelle (le fonctionnalisme relatif souvent opposé au fonctionnalisme absolu de Malinowski). Après avoir clairement expliqué ce qu'il appelle fonction et "équivalent fonctionnel", il propose un "programme" d'analyse où on doit d'abord dégager la fonction des motivations individuelles, distinguer les fonctions manifestes des fonctions latentes, enfin chercher à mettre en lumière les éléments dysfonctionnels qui sont souvent des facteurs de changement du système (il s'appuiera notamment sur une description de la machine politique américaine).

Cependant la standardisation et la "bureaucratisation" du travail du sociologue n'est pas sans danger et son chapitre 11, consacré à "l'intellectuel dans la bureaucratie" semble parfois entrer en résonnance avec l'ouvrage de Mills ("l'imagination sociologique") : le sociologue perd de sa liberté face aux demandes des entreprises, administrations ou hommes politiques, perte doublée d'un conflit face à un demandeur qui pose souvent des questions auxquelles la science ne peut pas apporter de réponse et d'un sentiment de frustration face à la situation qui lui est faite. Il ne faut toutefois pas se faire une idée idyllique de la science passée et Merton montre dans le chapitre 17 que la science du 17ème siècle a progressé selon trois lignes dynamiques : la logique de la découverte propre à la science, la réponse à des besoins économiques et sociaux, et l'intérêt particulier du scientifique.

 

            D'autres chapitres sont directement liés au programme du lycée.

C'est le cas du chapitre 5 consacré à la déviance et à l'anomie où l'analyse de Merton est plus complète et plus fine que la présentation qu'on en trouve dans la plupart des ouvrages d'initiation. Il présente la société américaine comme particulièrement anomique car elle condamne le manque d'ambition (qui en est la valeur centrale) et que la réussite financière qui la caractérise ne connait pas de fins. A partir de cela il construit une typologie reposant sur l' acceptation ou non des buts et moyens légitimes fournis à l'individu par la société. Il en dégage un comportement attendu (le conformisme) quatre formes possibles de déviances : l'innovation, le ritualisme (qui est une réponse à l'anxiété), l'évasion, la rebellion (où les fins comme les moyens légitimes  sont rejetés).

Le chapitre 6 insiste sur le fait que la bureaucratie tend à développer un type de personnalité tatillon, peu propice au changement et développant un "esprit de corps". Ces traits, dont l'excès est dangereux, apparaissent toutefois comme "fonctionnels".

Le chapitre 12 constitue une tentative de prolongement des travaux de Weber sur les liens entre puritanisme et science. Dans une première partie, il montre que la science et le puritanisme ont constitué des domaines séparés mais "homologues", développant notamment l'empirisme et la rationalisme dans le but d'améliorer le sort du plus grand nombre; la jonction entre science et religion a donc pu se faire, ce qui a permis, par la suite, une autonomie de la science. Dans une deuxième partie il tente une vérification empirique de cette théorie, notamment en comparant les programmes des académies protestantes et des universités catholiques.

            Enfin sans être liés directement à une partie des programmes il semble judicieux d 'étudier les chapitres 4, 7, 8 et 9.

Les chapitres 7 ("contribution à la théorie du groupe de référence") et 8 ("groupe de référence et structure sociale") permettent de faire le lien entre les dimensions sociologiques et psychologiques de la recherche; Merton s'appuiera pour l'essentiel sur une exploitation des résultats de "American soldier" de Stouffer.

Il y a trois façons de déterminer un groupe d'appartenance : ce peut être un groupe avec lequel on est en interaction, un groupe auquel on déclare appartenir, un groupe qualifié par autrui comme étant votre groupe d'appartenance. Il faut alors voir que l'appartenance à un groupe a un caractère dynamique.

Le groupe de référence, qui peut être aussi bien un groupe qu'un individu, peut également prendre trois caractères : il peut être normatif (on assimile ses valeurs), comparatif (on se compare à lui en cherchant à l' imiter ou, au contraire, en le rejetant) ou "d'interaction" (il fait partie de l'environnement de l'individu et ses membres peuvent lui fournir les conditions de son action).

Les groupes d'appartenance et de référence peuvent être différents mais il est également possible que le groupe de référence soit le groupe d'appartenance.

L'analyse du groupe pourrait bien sûr être approfondie et Merton propose une liste "non exhaustive" de 23 caractéristiques du groupe, pouvant servir de base de travail.

D'un point de vue dynamique il faut constater que les sociétés à forte mobilité sont caractérisées par une multiplication des groupes de référence qui sont généralement des groupes de "non appartenance". Dans ce cas, la "socialisation anticipatrice" (on adopte les valeurs du groupe qu'on espère intégrer un jour) est fonctionnelle pour l'ensemble (alors qu'elle serait dysfonctionnelle dans une société à faible mobilité).

On peut également étudier les actions individuelles dans leurs relations avec ces divers groupes : c'est ainsi que Merton fait apparaitre que la "frustration relative" des soldats américains est liée au groupe de référence choisi. De même cela permet d'étudier l'autorité comme un produit de la structure du groupe, de mettre en évidence les systèmes de rôles et de statuts ainsi que les situations de conflits de rôles. De fait la déviance et l'anti-conformisme pourront être analysés comme étant en relation avec les groupes de référence en question.

 

Le chapitre 9 est consacré aux types d'influence (influence locale et influence cosmopolite) et peut servir aux chapitres de première consacrés au pouvoir ou aux mass-media.

A partir d'une enquête tirée de 86 entretiens dans la commune de Rovère (11 000 habitants), entretiens aux cours desquels les enquêtés citent les noms des gens auprès desquels ils s'informent, Merton dégage deux grands types de leaders (les personnes citées plus de quatre fois au cours des entretiens; sur 379 personnes citées seules 57 le sont plus de quatre fois). Les leaders "locaux" entretiennent des relations nombreuses au sein de la localité, participent aux réseaux informels mais peu aux associations, sont consultés sur plusieurs domaines (leaders "polymorphes") et souvent non pas parcequ'ils "savent" mais à cause de l'écoute qu'ils savent apporter. A l'inverse le leader cosmopolite, souvent né ailleurs, a un intérêt plus centré sur le monde que sur la localité, entretient peu de relations sociales mais participe beaucoup aux associations, est consulté sur peu de domaines mais est considéré comme un expert dans ce ou ces domaine.

Merton dégage également les voies que prend l'influence dans la société : l'influence apparait d'abord comme "diluée" (il y a peu de grands influents et beaucoup de "petits" influençant quelques personnes), se diffusant principalement horizontalement (au sein d'une même strate sociale) et descendant la hiérarchie sociale.

 

Enfin le chapitre 4 consacré à la "prédiction créatrice" (paradoxe ou théorème de Thomas) nous présente un outil utilisable aussi bien en sociologie qu'en économie (notamment dans le cadre des fameuses "bulles financières"). Le "théorème de Thomas" prend la forme suivante : "Quand les hommes considèrent certaines situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences".

Appliqué au cas des relations entre groupes ce théorème nous donne une bonne explication de la persistence des préjugés - racistes et antisémites - à travers la construction d'une "définition de la situation". Briser la prédiction créatrice suppose alors un changement institutionnel car, d'après Merton, le développement de celle ci ne se fait qu'en cas de contrôle institutionnel insuffisant.

 

 

 

 

 

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