LE MONDE DES DOUBLES – « LA MAGIE CHEZ LES ANCIENS SCANDINAVES »

LE MONDE DES DOUBLES – « LA MAGIE CHEZ LES ANCIENS SCANDINAVES » -

Régis BOYER  - L’Île verte - Berg International - 1986

INTRODUCTION

Régis Boyer remet en cause l’idée selon laquelle les scandinaves seraient un peuple de guerriers et de sauvages. La mythologie scandinave, ainsi que la Religion,  n’est pas spécialement guerrière mais elle est imprégnée de magie. Les distinctions « sacré-profane », « laïque-religion » n’ont pas de sens. Boyer va s’appuyer sur les écrits antérieurs à 1400 qui ne sont pas encore tournés vers la production littéraire occidentale. La magie précède la religion mais est distincte de l’art et de la science ; en réalité Art et Science viennent de la magie.

CHAPITRE I : LE MONDE DU DOUBLE

La magie est d’abord fondée sur l’existence d’un autre monde. L’idée que le monde est double est attestée chez les anciens scandinaves et même dans les sagas des contemporains. Cet autre monde peut être celui des morts mais aussi celui des êtres célestes (Ases, Vanes, elfes, nains, géants, fulgja ou fylgur,...) et interfère fréquemment avec notre monde L’âme est essentielle chez le scandinaves. Elle peut correspondre à trois réalités :

+ Hugr : cela correspond au mana des polynésiens ou au manitou des indiens. Il s’agit d’un principe actif universel et d’une force impersonnelle. Il est souvent associé au cheval.

+ Hamr : c’est la membrane placentaire. Le principe spirituel qui épouse notre personne physique. Il peut s’échapper de notre corps et s’incarner dans des animaux (souvent l’ours ou le loup).

+ Fylgja (correspondant à « follow » : suivre). C’est le placenta et l’esprit qui suit l’individu (correspondant un peu à notre ange-gardien). Tout homme a sa Fylgja animale. La « fylgjukma » et une « femme fylgja » bénéfique. La « dettarfylgja » s’attache à toute une famille.

 Mannhelgi est une notion qui postule l’existence du double et le mannheil désigne le don, la chance de fréquenter autrui...L’homme peut donc être visité (hugr), habité (hamr) ou accompagné (fylgja) et le propre de la magie est d’établir un contact entre l’homme et son double.

CHAPITRE II : LE DIFFICILE PROBLEME DES ORIGINES – LES SAMES – LES CHAMANES.

Les indo-européens ont investi la Scandinavie en deux vagues : vers 3000/2500 avant JC et vers 2000/1500 avant JC mais on ne sait pas bien ce qu’il y avait avant Toutefois on peut supposer qu’une strate ancienne s’est maintenu car la structure trifonctionnelle de Dumézil s’applique assez mal à la mythologie scandinave. Boyer en déduit l’hypothèse qu’il y a une influence sous jacentes qui serait celle des Sames (les lapons) notamment à cause de l’importance du chamanisme (les interactions entre sames et scandinaves ont été nombreuses). Il le déduit à partir du constat que les Sames sont des magiciens qui se métamorphosent en animaux et peuvent utiliser des « esprits serviteurs ». Chez les Sames, le chamane a des dispositions innées et il y a une hiérarchie entre eux (le noai’de volant est au dessus du noai’de savant ou voyant. L’instrument privilégié des chamanes sames est le tambourin de bois connu également des scandinaves. Boyer fait également référence au « stallo » qui est une notion confuse correspondant à l’ennemi des noai’de. Il daterait du 8ème siècle et  révèlerait l’avancée des scandinaves (qui inventent le stallo) face aux sames (qui ont créé le noai’de). Boyer insiste sur le fait qu’il y a de fortes similitudes entre les chamanes sames et la magie des sames.

CHAPITRE III : FONCTIONS DE LA MAGIE – LE RÔLE DU DOUBLE.

Boyer distingue trois formes de magie

1)      La magie offensive. Le « mauvais œil » (qui vient surtout des sames), la « mauvaise langue » destinée à salir la réputation d’un individu dans une société où celle-ci est essentielle. La « mauvaise main » ou le « mauvais pied » (qi sont plus rares) ; enfin , la « magie amoureuse » pratiquée par un homme pour attirer une femme ou par une femme pour conserver un homme.

2)      La magie protectrice. Elle est destinée à prouver l’innocence d’un accusé. On peut porter le fer, retirer un objet de l’eau bouillante, plonger l’accusé attaché dans l’eau froide,...

3)      La magie divinatoire ou sacrificielle. Elle correspond le mieux à la mentalité scandinave en étant attachée au Destin. C’est une algie exercée dans le rêve ou dans l’extase. (le rêve n’est jamais gratuit).

D’une manière générale, la magie est tenue pour une œuvre infamante, inexpiable, une « nidhingverk » au même titre que le fratricide, le meurtre de son épouse, la rupture d’un accord,...

CHAPITRE IV : LE MAGICIEN.

Il y a un certain flou dans le concept de magicien qui recouvre à la fois les idées de devin, sorcier, devin, prophète,... L’arsenal du magicien recouvre quatre rubriques :

a)      Les amulettes magiques,

l’ail, l’oignon, la cigüe, les fragments de placenta et surtout la croix chrétienne qui est souvent en lien avec le marteau de Thor et sert à conjurer les elfes.

b)      Les signes.

Le cœur de Hrungnir (trois triangles entrelacés) ou les urnes (selon la tradition, elles osnt inventées par les dieux).

c)       Les animaux et les plantes

Le cheval, le chat (associé à Freyja), le chardon, le gui,...

d)      Le bâton

Boyer ajoute les moyens intellectuels comme la magie numérique ou les formules secrètes. C’est donc la magie qui fait la prééminence des dieux et Odin est le Dieu Magicien par excellence : il a  une lance magique, est le seigneur des trépassés et est nécromancien. Odin est dieu du savoir et de la science (infuse) sous les formes de savoir magique et de savoir poétique (il est le créateur de la poésie). Il est en relation avec les Valkyries qui sont les esprits des morts. Pour Boyer, Odin est un dieu chamane.

CHAPITRE V : LES RITES MAGIQUES – ETUDE TYPOLOGIQUE ;

Boyer distingue plusieurs types de rites.

1)      Les rites de transmission

Ils se divisent en rites de contagion et rites imitatifs
+ Les rites de contagion reposent sur l’idée selon laquelle la partie implique le tout (utilisation des cheveux, ongles,pour agir sur un individu). Boyer prend l’exemple du rite de la fraternité jurée dans laquelle il y a échange de sang.
+ Les rites imitatifs ou homéopathiques. Ils reposent sur l’idée selon laquelle le semblable implique le semblable
Parmi eux on distingue les « rites de transfert » (la force magique passe par un objet signifiant) et les rites homéopathiques (s’il y a transmutation directe de la force magique à l’exemple des rites phalliques)

2)      Les rites de génération.

Nécromancie, interprétation des rêves et présages.
Boyer met l’accent sur trois d’entre eux
+ Le nidh : offense et remise en cause à caractère sexuel qui atteint la réputation d’u individu, réputation essentielle dans de petites communautés. Parmi eux, le nagr désigne la situation d’homosexuel passif qui sera vite associé à « couard ». Ce qui est mis en cause, ce n’est pas l’aspect féminin mais le caractère passif de l’homme
+ Le « bloth » : sacrifice avec conservation du sang puis consultation des augures. Il ajoute les libations de bière ou d’hydromel
+ Le Sedhr : il viendrait des Vanes. Il s’agit d’une magie de type extatique. Contact avec les esprits sous l’effet du chant.
Alors que la mythologie scandinave se prête mal à la tripartiton dumézilienne, on la retrouve dans la magie. Ainsi, le Sedhr correspond à la première fonction (science et droit, esprit,...), la deuxième fonction (la force) revient au Blot et la troisième (production, fertilité) revient au nidh.

 

CONCLUSION

La magie imprègne la religion des nordiques ce qui ne correspond pas à l’image guerrière qu’on leur a collée. Cette magie ne passe pas par la prière mais par l’extase et le cri. Au dessus il y a un ordre immanent, la paix, et un dieu suprême, le Destin.

 

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