L'ART DE DONNER

L’ART DE DONNER.

(Niveau première).

 

On peut utiliser ce texte soit dans le cadre de l’échange soit dans le chapitre consacré à la culture.

 

 

            Offrir un cadeau est des gestes les plus habituels qui soient ; pourtant, il implique de très nombreuses règles fort contraignantes que nous avons fortement intériorisées. Mais il suffit que le cadeau se fasse dans des circonstances particulières pour que nous nous rendions compte des difficultés qu’il  y a à respecter toutes ces règles.

 

Règle n° 1 :

            On ne peut pas faire un cadeau n’importe quand. En général on le donne au cours d’occasions bien précises. Faire un cadeau sans raisons risque d’entraîner le soupçon que vous avez quelque chose à obtenir en échange ou que vous cherchiez à vous faire pardonner quelque chose.  Pour que cette règle puisse ne pas être respectée, il faut qu’il existe une relation particulièrement forte entre deux personnes (il s’agit de son ou sa fiancée, d’un de ses parents, de son enfant, de son meilleur ami,…) ou qu’on cherche par là à montrer que l’on cherche à établir une relation exclusive (montrer ses sentiments amoureux ou montrer qu’on cherche à établir une amitié particulièrement forte).

            Le choix du moment du cadeau est donc crucial ; il est facilité par l’existence d’évènements reconnus : Noël, anniversaire, réussite à un examen,…donnant lieu à l’établissement du rite du don.

 

Règle n° 2 :

            On n’offre pas un cadeau à n’importe qui. Offrir un cadeau à quelqu’un qu’on connaît peu ou avec qui on a des liens assez distants ferait naître un soupçon ou un malaise (le film « Harry, un ami qui vous veut du bien » repose sur cette idée).

 

Règle n° 3 :

            Le cadeau doit être adapté au statut du récipiendaire. Il différera suivant qu’il s’agit d’un garçon ou d’une fille, d’un adulte ou d’un enfant,… Il sera également adapté à la   relation qu’on entretient avec le récipiendaire. Bien sûr, le donateur devra cerner correctement les goûts du récipiendaire afin d’offrir quelque chose qui plaira. Se tromper dans le cadeau, c’est alors révéler qu’on ne connaît pas très bien la personnalité du récipiendaire, ce qui pourra être très mal ressenti si les deux personnes sont proches.

 

Règle n° 4 :

            La valeur du cadeau entre en compte mais cette règle est pleine d’ambiguïté. Le cas le plus difficile à régler est celui de cadeaux entre personnes en situation égalitaire (deux amis, par exemple). Le cadeau ne doit pas être ostensiblement trop coûteux car le récipiendaire se sentirait alors redevable à l’égard du donateur (puisque d’une manière ou d’une autre, on doit compenser un cadeau par un autre cadeau), mais il ne doit pas non plus paraître trop peu coûteux puisque le cadeau témoigne de l’importance qu’on accorde au récipiendaire ou, plutôt, de la relation établie entre le donateur et le récipiendaire (offre-t-on à sa femme ou son mari, à un ami, à un collègue, à une relation de travail,… ?). Mais tout cela doit se faire sans que le prix réel de vente du cadeau soit connu (les chèques cadeau constituent cependant une entorse récente à cette règle).

            Les cadeaux ne sont pas toujours achetés dans le commerce. Dans certains cas, on peut offrir des produits de son jardin ou quelque chose que l’on aura fait soi même mais cela suppose qu’il y a un certain sacrifice ou un certain effort fait par le donateur. Le cadeau fait par soi même sera, sauf exceptions, le fait d’enfants donateurs ; offrir un objet que l’on a fait soi même suppose soit une compétence particulière du donateur soit une relation particulière entre donateur et récipiendaire.

Règle n° 5 :

            La règle la plus évidente et la plus impérative est, bien sûr, qu’il faut donner. En dehors de circonstances exceptionnelles (excès de travail ou de préoccupations autres, absence d’argent,…) ne pas donner apparaîtrait comme une rupture de la relation.

 

            Derrière toutes ces règles, il y a trois obligations qu’on retrouve dans la majorité des sociétés : obligation de donner dans certaines circonstances rituelles. Obligation d’accepter le cadeau offert en montrant le plaisir qu’on devrait ressentir. Enfin, il y aura obligation de rendre ce cadeau mais cela devra se faire de manière indirecte : soit par un autre cadeau au même moment (échange de cadeaux à Noël), soit par un cadeau à une autre occasion (anniversaire du donateur), soit de manière diffuse (l’amour que les enfants porteront à leurs parents,…). Ce contre don est obligatoire mais il ne doit pas apparaître comme tel : apparaître comme une compensation exacte du premier cadeau ou comme une obligation détruirait sa fonction.

            La cadeau à plusieurs fonctions ; d’une part il témoigne de la relation établie entre donateur et récipiendaire ; d’autre part, il confère un certain prestige au donateur, prestige lié à la valeur du cadeau. Il donne également une certaine puissance puisque le récipiendaire sera plus ou moins l’obligé du donateur. Faire à nouveau un cadeau est une manière de se libérer de cette obligation. Simmel indique d’ailleurs toute le force du cadeau apparemment totalement désintéressé, celui qui est fait sans raison. Nous avons vu que ce cadeau est très difficile à faire mais si c’est le cas, le récipiendaire aura beau faire lui-même des cadeaux lui-même, il ne pourra jamais compenser le fait que le premier cadeau a été fait de manière spontanée, sans raison apparente (trouver une raison, réelle ou imaginaire à cette spontanéité permettrait alors de se délivrer de l’obligation).

 

Cependant, à l’heure actuelle, les entraves à ces règles se multiplient : les cadeaux aux enfants sont plus fréquents, les chèques cadeaux se multiplient,…

            Par ailleurs, les formes commerciales de cadeaux se développent : cadeaux d’entreprises, cadeaux en cas d’abonnement à un journal, cadeaux Bonux,…

 

            On voit donc que le cadeau n’est pas entièrement libre, spontané et gratuit mais il perdrait toute sa valeur si on se rendait compte de cela. L’illusion est donc essentielle pour le bon fonctionnement des relations sociales ; certes, nous sommes parfaitement capables de comprendre par nous-mêmes ce qui se passe de manière théorique mais la pratique sociale implique que nous croyions à l’image traditionnelle du cadeau.

 

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