François DE SINGLY - LES UNS ET LES AUTRES - ARMAND COLIN - 2003

LES UNS ET LES AUTRES

François DE SINGLY

ARMAND COLIN - 2003 

 

François De Singly aborde une des problématiques les plus anciennes de la sociologie : comment concilier l’existence d’individus libres et d’une société cohésive ; problématique prenant des allures nouvelles ces dernières années (Touraine : « Comment pourrons nous vivre ensemble ? », Dubet : « Le déclin de l’Institution », Kaufmann : « Ego »). L’auteur  nous rappelle d’abord que le mouvement d’individualisation s’est fait en deux temps correspondant aux deux mouvements de modernisation de la Société (ou « deux modernités »).  Au 19ème siècle (mais déjà dès le 18ème siècle) apparait l’individu abstrait, c’est l’individu considéré comme entité autonome qui n’a ni attache ni groupe d’appartenance (image toujours centrale aujourd’hui). Au cours de la seconde modernisation, à partir des années 1960, apparait un mouvement d’individualisation « plus personnalisé ». Cependant, l’individu peut se concevoir aujourd’hui sous quatre figures – abordés dans chacun des quatre premiers chapitres du livre – quatre figures distinguant l’individu moderne du membre de la communauté et quatre figures amenant un défi particulier par rapport au lien  social :

+  L’individu moderne est d’abord un individu émancipé par rapport au passé et à l’héritage de l’Histoire (chapitre I : « La crise de la transformation »)

+ C’est ensuite un individu qui a une multitude de groupes d’appartenances et dont l’identité apparait comme fluide et instable (chapitre II : «  Comment assurer la stabilité ? »).

+ C’est également un individu « peu obéissant » (chapitre III : « La crise des normes »).

+  C’est enfin un être qui n’est pas seulement un être de raison mais aussi un être qui a des intérêts et des affects (chapitre IV : « Les problèmes de la Raison »)

               

Il n’y a donc pas lieu de parler de « crise du lien social » mais de transformation de ce lien où, avec la multiplication des groupes d’appartenance de chacun on voit un lien fort (de type communautaire) remplacé par une multitude de « liens faibles ». Les problèmes qui se posent à nos contemporains reposent donc , non sur une absence de liens,  mais sur leur multiplication et le problème de leur cohérence (même si  De Singly ne fait pas référence à cet auteur on ne peut s’empêcher de penser à la transformation de l’analyse de l’anomie de Durkheim à Parsons).

Dans le premier chapitre, De Singly conteste les thèses opposant l’héritage de l’Histoire à l’éphémère ; l’individu actuel n’est pas un individu sans héritage mais de plus en plus, il exerce un « droit d’inventaire » sur ce que lui lèguent les générations passées. Allant plus loin, on peut dire que la recherche de ses origines  et sa prise en compte totale ou partielle est bien souvent un outil d’individuation. Par ailleurs, l’individu n’est pas sans appartenance de groupe mais connait au contraire une « multi appartenance ». Le groupe et l’Histoire sont donc bien là mais ce qui nous différencie des périodes antérieures est qu’iles reposent sur un libre choix et un consentement éclairé de l’individu (l’exception à la règle concernant l’enfant auquel on ne reconnait pas une capacité à avoir un consentement éclairé). Ce qui fonde la modernité n’est donc pas l’absence d’appartenance à un groupe mais la capacité de choix et de mise à distance à l’égard de tel ou tel groupe. Cette multiplicité de groupes d’appartenance entraine une multiplicité de statuts et de rôles ; le statut à mettre en avant (professionnel, sexuel,… allant éventuellement jusqu’aux revendications communautaristes) devient alors un objet de lutte. Dans cette « lutte », d’autres chercheront à mettre en avant un statut de second plan à des fins de stigmatisation. La modernité est donc marquée par la multiplicité des rôles et des statuts, la « fluidité » identitaire et la prééminence du contrat (et des Institutions qui, même si elles perdent de leur poids, restent essentielles comme instances de légitimation des contrats).

Dans le chapitre III, De Singly s’attaque à la thèse de « l’absence de repères ». Pour lui, les problèmes se situent à deux niveaux :

-          D’abord, il n’y a pas absence de normes mais multiplication de normes et multiplication des possibilités de contradictions entre normes.

-         Deux types de normativité, notamment, vont entrer en contradiction, ceux ci provenant des deux périodes de modernité. Durant la première modernité avec l’émergence  d’un « individualisme abstrait » on considère que tous doivent être traités selon les mêmes normes et les mêmes règles, indépendamment des particularités de chacun.  La règle impersonnelle doit donc s’imposer à tous et elle est soutenue par la « norme de commandement ».  Au cours de la seconde modernité, le traitement de chacun devra être personnalisé et donnera lieu à négociation, ce que François De Singly nomme la « normativité psychologique »; Le problème est alors de savoir à quelles conditions et dans quelques types de relations on doit appliquer la « norme de commandement » et la « norme psychologique » (ou pour parler plus simplement l’ordre et la négociation) ; le problème essentiel à l’heure actuelle étant qu’on cherche à tout négocier. Par ailleurs, l’analyse classique privilégie la Raison et la sphère publique, dévalorisant par là même l’émotion, l’intime et le proche. Pour De Singly, un véritable lien  social doit pouvoir prendre en compte ces dimensions autrefois méprisées. Pour cela il propose de développer des pratiques de « démocratie participative » dont l’objectif n’est pas de dégager une hypothétique « volonté générale » mais d’instituer un cadre commun de débat. L’auteur va s4attacher particulièrement à cette revalorisation des liens affectifs. Selon lui, on a commis une erreur en assimilant la Communauté à l’affectif et la Société à la Raison alors que ce qui caractérise la société, c’est avant tout le libre choix éclairé, y compris dans les domaines éminemment affectifs que sont l’amitié et l’amour.

La société repose donc sur au moins trois supports, le marché, le politique et l’affectif, engendrant chacun un « fil » du lien social. Aucun de ces liens ne suffisant à lui seul à assurer une cohésion sociale.

 

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