Gaëlle CLAVANDIER-SOCIOLOGIE DE LA MORT - Vivre et mourir dans la société contemporaine – Armand Colin – 20009 (Note de lecture par Th Rogel)

SOCIOLOGIE DE LA MORT

- Vivre et mourir dans la société contemporaine – 

Gaëlle CLAVANDIER

Armand Colin – 20009 

(Note de lecture par Th Rogel) 

 

Le vieillissement de la population : une transformation à venir

Les années à venir vont connaitre un bouleversement anthropologique majeur : avec le vieillissement de la population, les cas massifs de décès vont s’accroitre et, selon les calculs de l’auteur, chacun de nous sera confronté plus souvent à l’épreuve que constitue le décès d’un proche. Les générations nées après 1950 ont pu connaitre leurs grands-parents voire leurs arrière grands-parents et on peut estimer que nous aurons chacun à connaitre environ huit à treize décès par ascendance directe (beaucoup plus que pour les générations antérieures), sans compter les décès de frères et sœurs et les décès liées au familles recomposées. Une analyse sociologique de la mort, discipline récente, est donc appelée à prendre une grande importance mais celle-ci ne se limite pas à une analyse des rituels ; il faut aussi prendre en compte la constitution d’un « champ » des activités sociales liées à la mort et s’intéresser aux situations de deuil et inscrire la question de la mort et sa sociologie dans un cadre de redéfinition plus général qui recouvre l’euthanasie active et le statut de l’embryon,…

La définition de la mort dans nos sociétés et dans les autres.

Qu’est ce que la mort ? La définir ne va pas de soi. Dans notre société, trois types de définitions se côtoient : une définition biologique qui envisage la mort comme un processus ; une définition juridique pour laquelle la mort est perçue de manière plus statique et définie par la délivrance d’un certificat de décès. Enfin, socialement, la mort est perçue à travers l’ensemble des rituels qui lui sont associée. Et il y a une « négociation » constante entre ces trois pôles de définition de la mort (on retrouve notamment ce problème dans le cas du don d’organes). Ces hésitations sur la définition de la mort se retrouvent dans d’autres sociétés : chez les Dayaks de Bornéo, par exemple, il y a « double funérailles » ; les secondes funérailles, qui ont lieu deux ans après les premières, correspondent à la fin de la putréfaction du corps, étape nécessaire pour que l’âme puisse se libérer. De même, l’idée de « mort naturelle » n’est pas la même suivant les sociétés ; dans la mesure où elle désigne « la mort qui va de soi », une « mort naturelle » chez les aborigènes (de l’époque de Marcel Mauss) serait considérée comme « mort violente » chez nous.

 

Mettre le mort à part : les funérailles comme rite.

Les funérailles sont l’aspect institutionnel qui a été repéré le plus tôt par les sociologues. On considère en général que les funérailles définissent le début du statut d’êtres humains ; cependant, la diversité des funérailles est assez forte à travers le monde : dans certaines sociétés, on laisse le cadavre se putréfier alors que dans d’autres, on le livre aux charognards, on l’incinère, l’ingère, l’ébouillante, voire le digère. Mais dans toutes les sociétés la mort est perçue comme dangereuse pour l’équilibre de la communauté. Aussi une « mise à distance » voire une séparation entre le mort et le monde des vivants apparait comme nécessaire, cette séparation pouvant être « conservatrice » (on conserve le corps, par la momification par exemple) ou « destructrice » (gérer la disparition du corps, les techniques les plus fréquentes étant l’inhumation et la crémation) ; l’inhumation peut elle-même être faite en pleine terre ou dans un réceptacle (tronc d’arbre, cercueil,…). L’embellissement du corps, en le présentant de manière « idéalisée » est aussi une manière d’assurer cette séparation. On peut également considérer que c’est là la fonction des linceuls, cercueils, tombes et murs des cimetières. Mais l’établissement d’une frontière a finalement pour but d’assurer un lien entre les vivants et le mort. Les funérailles, ne pouvant prendre place qu’au sein de la Culture, sont, à ce titre, essentielles : souvent, dans les sociétés traditionnelles, on considère que des funérailles ratées entrainent un raté de la décomposition et une mauvaise intégration du mort aux ancêtres. Par exemple, chez les Dayaks, dans les cas de mort violente, il peut arriver que les secondes funérailles ne puissent être menées à bien et que la phase de latence ne se termine jamais ; ces morts n’ont alors pas de fin.

En France, les normes des funérailles ont subi certaines évolutions au cours de l’histoire. Le modèle chrétien et son caractère cérémoniel s’est longtemps imposé mais depuis 1790, en France, il y a une césure avec le clergé et en 1881 et 1884, deux lois établissent la neutralité des cimetières. Finalement, la finalité des rites est de sécuriser ceux qui restent car le mort est assigné à un statut et à un territoire. Mais il faut pour cela que le corps soit présent et c’est, dans les sociétés traditionnelles, à la communauté de dire au mort de partir.

 

De la « bonne mort » au « bien mourir »

Les normes du décès, aussi troublant que soit ce terme, vont aussi changer : pendant des siècles on en a appelé à la « belle mort », il fallait mourir en bon chrétien au moyen-âge. Durant la période romantique, on valorisait la « mort exaltée ». Au XXème siècle, elle est supplantée par la « bonne mort » où l’idéal est de mourir à un grand âge, paisiblement et sans souffrance. Aujourd’hui, l’idéalisation porte sur le « bien mourir » c'est-à-dire « mourir dans la dignité ». Cependant, cette dernière situation suppose une « recherche d’authenticité » une injonction « d’être soi même » face à la mort, tâche déjà angoissante pour les vivants (cf travaux d’Erhenberg) qui atteste l’échec du travail de symbolisation qui revient à la société et laisse le mort face à lui-même.

La thèse du déni de la mort et la création de nouveau rituels

Depuis Ariès s’est imposée la thèse du « déni de la mort » (reprise et affinée par L.V. Thomas ou N. Elias, par exemple) selon laquelle dans notre société, on ne supporterait plus l’image de la mort, et on reléguerait celle-ci aux marges. L’auteur s’oppose à cette thèse et dégage trois tendances d’analyse ces dernières années :

+ Certains affinent la thèse du déni de la mort en constatant une disparition ou une « miniaturisation » des rituels.

+ D’autres pensent qu’après une période de « jachère », on assiste çà un renouveau des rites funéraires.

+ Pour d’autres, enfin, il y a une intimisation de la mort qui s’inscrit dans une redéfinition des relations ente individu et société.

L’auteur met d’abord le doigt sur les évolutions notables de ces dernières années : le recours plus fréquent aux soins palliatifs, à la thanatopraxie, et à la crémation (qui est, pour l’auteur, un « marqueur » essentiel des évolutions actuelles) montre que qu’il y a une technicisation et une professionnalisation de la mort. Par ailleurs, il apparait un véritable « marché » de la mort dont les contrats de « prévoyance funéraire » ne sont pas le moindre indice. Pour Clavandier, le modèle anglo-saxon vient concurrencer les modèles antérieurs, religieux et républicain. Pour l’auteur, on ne peut pas parler de « déritualisation » alors qu’on constate l’apparition de nouveaux rites et de « micro-rites ». On peut notamment signaler le fait que l’augmentation des décès liés au sida a provoqué le développement de nouveaux rituels alliant le deuil, la mémoire et la reconnaissance sociale. La mort devient alors une « affaire privée », privée mais avec un encadrement légal qui se renforce, et la prise en charge du rituel, qui était auparavant le fait de la communauté, se recentre sur la famille et sur l’hôpital. Il ya donc une individualisation des choix de rituels (et des funérailles) mais celle-ci n’empêche pas une tendance à l’uniformisation Cette situation a diverses conséquences dont le fait que les micro rituels, qui favorisent le détachement de chacun avec le défunt et non un détachement collectif, font que les rituels collectifs sont remplacés par une forme d’intersubjectivité. Par ailleurs, ce déclin des rituels collectifs fait que ce sont les « professionnels de la mort » qui sont en charge de la reprise du symbolique et du sacré, ce qui n’est pas sans poser problèmes. Enfin, l’intersubjectivité fait que, plus subtilement, auparavant c’était la société qui contraignait le mort à partir, aujourd’hui c’est le mort qui s’absente, induisant en cela des difficultés dans la prise en charge de la séparation.

 

La place de l’endeuillé.

Il découle de ces évolutions de profondes transformations sur la pratique du deuil. Le deuil concerne d’abord la relation entre l’individu et la communauté : de même que la mort apparait comme socialement dangereuse et déstabilisatrice pour le collectif, l’endeuillé représente une « menace potentielle » pour cet équilibre. Le deuil apparait donc comme une « étape liminale » (au sens des rites de passage d’Arnold Van Gennep) qui permet le passage d’un statut à un autre. Comme pour les autres éléments liés à la mort, le deuil se désinstitutionnalise, notamment avec l’effacement des préceptes religieux, chacun devant le « gérer » au mieux. Mais se centrer sur son deuil apparait alors comme « morbide » et un deuil qui ne se termine pas apparait comme « pathologique ». L’intersubjectivité et les difficultés qui lui sont liées sont à nouveau présentes.

 

Commentaires sur l’ouvrage.

Il est fascinant de voir combien les évolutions liées à la mort renvoient au évolutions plus générales de la société : désinstitutionnalisation, marchandisation, rationalisation et technicisation, « individualisation » et montée de l’inter-subjectivité, injonction faite à l’individu (le mourant ou l’endeuillé) de prendre en charge une partie du « travail » qui revenait à la communauté,… et le fait que l’interaction existe toujours , y compris avec les proches disparus (je ne parle pas , évidemment, de pratiques ésotériques) comme nous l’avions vu avec les revenants (Ch Pons : « Le spectre et le voyant ») ou avec les objets inanimés (J. Langumier : « Survivre à l’inondation »)

Commentaires

  • lachevre paule
    • 1. lachevre paule Le 30/03/2020
    Bonsoir Madame Clavandier,
    Votre contact m'a été donné par Catherine Bodet qui prépare les "Dialogues en Humanité" au Parc de la Tête d'Or le 1er week end de Juillet 2020. Avec Julie Sartorius je fais partie de l'association "Humusation" et nous aimerions présenter l'humusation pendant cet évènement, par des discussions, petits films, "cafés mortels".
    Seriez-vous intéressée de nous aider et de participer ?!
    Nous ne savons pas encore exactement comment cela va se dérouler ... nous y travaillons !
    A bientôt de vous lire !
    Paule Lachèvre
    • thierry rogel
      • thierry rogelLe 30/03/2020
      Bonjour Madame, Je suis désolé mais ce site n'appartient pas à Mme Clavandier. Je me suis contenté de faire une note de lecture de son livre. Je pense que vous devriez trouver facilement l'adresse mail de Mme Clavandier
  • clochard
    • 2. clochard Le 13/02/2015
    pas mal
  • Nanou
    • 3. Nanou Le 06/03/2012
    Merci pour cette fiche conscit et si complète !!!
  • Kandix
    • 4. Kandix Le 03/10/2011
    Excellente fiche ! Merci pour cette lecture enrichissante.

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