LA PLACE DU MARCHE

QUAND IL N’Y A PAS ASSEZ DE MARCHE

Il n’y a jamais de solution simple en économie, notamment en ce qui concerne la place des mécanismes de marché. Leur accorder trop d’importance peut amener à de grands dérèglements, mais les ignorer aussi. Quelques exemples historiques nous permettent de le voir.

Premier exemple : on ne parle plus guère, de nos jours, de « planification centralisée », dans la mesure où il n’existe pratiquement plus de pays qui la pratiquent. Pourtant, il est nécessaire de rappeler ce que c’est et à quelles erreurs cela a amené.

De 1917 à 1991 en URSS et de la fin de la seconde guerre mondiale à la fin des années 80 pour les pays d’Europe de l’Est, le système économique est « centralement planifié ». Cela veut dire que ce qui est produit n’est pas déterminé par la demande des consommateurs mais par un organisme d’Etat. Il y a, au départ, une bonne intention : en effet, on peut souvent être choqué par le fait que dans un système de marché on produise d’abord ce qui génère du profit et pas forcément ce qui correspond à des besoins indispensables ; ainsi, on peut avoir une production importante de produits considérés comme peu nécessaires alors que dans le même temps des familles ne trouvent pas à se loger. Dans le cas d’une planification centralisée, on considérera qu’il faut d’abord produire les biens nécessaires, avant des biens moins utiles. Mais cette démarche, plein de bonnes intentions, peut amener à des résultats désastreux.

Ainsi, l’organisme central, le Gosplan, pouvait décider qu’on devait produire une quantité donnée d’automobiles dans l’année (ce sont les objectifs de la planification) ; il transmettait les directives aux entreprises d’automobile mais celles ci avaient besoin de consommation intermédiaire, d’équipements et de main d’œuvre pour atteindre les objectifs du plan. Elles retransmettaient donc leurs besoins au Gosplan qui informait les entreprises de fabrication de pneus, de tôles ou autres, des besoins nécessaires ; ces mêmes entreprises voyaient leurs objectifs augmenter et avaient donc des besoins nouveaux qu’elles transmettaient au Gosplan, et ainsi de suite. De fait, et comme on peut s’en douter, les objectifs devenaient très difficiles à atteindre : les entreprises d’automobile, par exemple, n’arrivaient pas à obtenir les pneus ou la tôle nécessaire pour fabriquer leurs voitures ; elles n’arrivaient donc pas à produire dans l’année ce qui était demandé. La manière la plus simple, pour chaque entreprise, de régler le problème fut alors de tricher : il y avait plusieurs manières de le faire :

  • D’abord on pouvait surestimer ses besoins en tôles, main d’œuvre, pneus…de façon à être sûr d’obtenir ce qu’on veut et d’atteindre plus facilement les objectifs du plan. Mais, du coup, d’autres entreprises produisaient des consommations intermédiaires qui n’étaient pas nécessaires. Il y avait donc, au niveau macroéconomique, un grand gaspillage.
  • La deuxième technique consistait à ce que l’entreprise automobile produise elle-même les consommations intermédiaires de façon à être sûre de les avoir  ? Mais pour cela, il fallait utiliser des ouvriers à autre chose qu’à fabriquer des voitures.
  • Enfin, on pouvait produire des biens faciles à obtenir même s’ils n’étaient pas de bonne qualité. Comme les directives du Plan étaient souvent transmises de manière quantitative – par exemple, il faut produire X automobiles- peu importe que les automobiles satisfassent les consommateurs, du moment qu’elles étaient produites. On a ainsi de nombreux exemples surprenants : une entreprise produisant des pièces en acier inutilisables mais permettant d’atteindre le plan qui avaient été fixé en tonnes ; une autre qui, pour répondre à une directive en mètres de tissu (et non mètres carrés), s’est mise à produire des rubans.

On se retrouve dans la situation absurde suivante : des entreprises produisent des consommations intermédiaires pour d’autres entreprises qui ne les utiliseront pas puisqu’elles les ont déjà produites. Ces mêmes entreprises produisent des biens qui ne correspondent pas aux attentes des consommateurs mais qui permettent d’atteindre les objectifs du Plan. Enfin, ; les consommateurs ne trouvent pas les biens dont ils ont besoin et il y a des situations de pénurie (pénurie veut dire ici qu’il y avait de nombreuses files d’attente devant les magasins ou bien que les produits étaient vendus sur le « marché noir »). Du coup, le temps passé dans les files d’attente devenant excessivement long, les individus avaient tendance à s’absenter de leur entreprise pour pouvoir « faire la queue » ; bien évidemment, la production en souffrait, ce qui renforçait la pénurie.

Cette situation s’explique essentiellement par le fait qu’on a délaissé les bases des mécanismes de marché : les entreprises n’avaient pas la possibilité de choisir leur fournisseur afin d’être livrées en temps et en heure ; la quasi absence de possibilités de faire du profit (malgré quelques tentatives) n’incitait pas les entreprises à produire des biens susceptibles de plaire aux consommateurs. Enfin, la décision de produire tel ou tel bien relevait du Gosplan mais ne correspondait pas forcément aux désirs de la population. Dans ce cas, on a vu que les mécanismes de marché (offre et demande) peuvent constituer une bonne manière de répondre aux besoins des consommateurs : quand un bien et fortement désiré, sa demande augmente, donc son prix en fait autant et les entreprises sont incitées à produire un bien qui peut rapporter beaucoup, ce qui permet de répondre à la demande.

 

PEUT IL Y AVOIR TROP DE MARCHE ?

Toutefois, cela ne signifie pas que laisser fonctionner les mécanismes de marché permet de résoudre tous les problèmes ; parfois cela peut même les aggraver. D’autres exemples permettent de le montrer.

  • L’exemple classique est celui de la crise de 1929. Dans une situation de surproduction, les entreprises, pour pouvoir écouler leur production face à la concurrence, essaient de vendre leurs produits moins chers ; pour ce la elles baissent les salaires de leurs employés. Mais si toutes font cela, les salariés n’ont plus la possibilité de consommer et la surproduction s’accroît. Il s’agit ici d’un exemple typique de ce qu’on appelle un « effet pervers ».
  • Dans d’autres cas, la concurrence a pu amener les entreprises à réduire les coûts liés à la sécurité (cas du transport aérien ou des chemins de fer britanniques)
  • Enfin, quand un bien n’est pas stockable une augmentation de la demande peut ne pas se résorber par les mécanismes de marché : c’est le cas de l’électricité qui doit être produite au moment où elle est utilisée. Dans ce cas, une forte hausse de la demande doit entraîner immédiatement une augmentation équivalente de la production mais si celle ci ne le peut pas, il y aura seulement une hausse des prix qui, bien souvent, entraînera des phénomènes de spéculation.
  • La faillite d’Enron nous donne un exemple caricatural de ce que peut produire le marché puisqu’ici on a à la fois les problèmes de stockage, de spéculation et des malversations. En Californie, la distribution de l’électricité a été « libéralisée » ; toutefois, l’Etat californien imposait un prix de vente aux consommateurs (il ne s’agit donc pas d’une libéralisation totale). Les entreprises devaient donc trouver de l’électricité au prix le plus bas dans n’importe quel Etat des Etats-Unis. Le travail de l’entreprise Enron était un travail de « courtier », c’est à dire qu’elle se chargeait de trouver le producteur le moins cher sur le territoire des Etats Unis afin de fournir de l’électricité aux entreprises de distribution californienne ; il s’agit donc d’un travail d’intermédiaire. Jusqu’ici, il n’y a rien que de normal, mais pour doper ses comptes, et donc son cours de bourse, Enron avait l’habitude de « jouer » sur les ventes à terme ; une vente à terme consiste à signer un contrat aujourd’hui pour une vente qui sera faite ultérieurement : ainsi, je peux signer un contrat le 15 septembre 2004 fixant le montant et le prix d’une vente qui ne sera faite que le 15 décembre 2004. C’est une pratique fréquente, mais ce qui n’est pas fréquent c’est qu’Enron inscrivait le résultat de cette vente non faite dans ses recettes mais n’inscrivait pas les coûts relatifs à cette opération : cela faisait évidemment gonfler les bénéfices apparents (les coûts devraient être inscrits le 15 décembre 2004 mais à ce moment d’autres opérations à terme auraient à nouveau gonflé les profits). Il en résulte une augmentation de la demande d’actions d’Enron dont le cours augmente. Ajoutons à cela qu’Enron a créé une entreprise « fantôme » chargée d’acheter de l’énergie à Enron afin de stimuler les ventes. Enfin, soudainement, de nombreuses centrales électriques ont été arrêtées pour réparation, ce qui a fait monter le cours de l’électricité. On se rend alors compte qu’on est loin du fonctionnement clair et honnête du marché. (pour plus de détails, tout ceci est raconté dans le livre de Stiglitz « quand le capitalisme perd la tête »).

Tout ceci explique d’ailleurs que la Californie, septième puissance économique mondiale par son PIB, a pu connaître de nombreuses pénuries et coupures d’électricité.

QUESTIONS :

  • Quel est l’enseignement principal de ce texte ?
  • Pourquoi l’absence de marché donne-t-elle des résultats négatifs ?
  • Pourquoi l’omniprésence du marché donne-t-elle des résultats négatifs ?
  • Montrez que ces divers effets pervers sont liés au problème de la transmission de l’information.
  • Montrez que ces divers effets pervers sont liés au problème du pouvoir.

 

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