Deux versions de Blanche-Neige

Deux nouvelles versions de Blanche-Neige, parues à un mois d’intervalle, permettent d’aborder la question de la “littérature orale”, c’est-à-dire l’analyse des contes et de leur diffusion, et de présenter le “Folklore” qui est avant tout une science datant du 18e siècle (folk-lore signifiant  “connaissance du peuple”)  :

BLANCHE-NEIGE de Arsem Singh – 2012

Rappelez-vous du Blanche-Neige de votre enfance (celui de Disney) : le prologue s’ouvrait sur un livre installant l’histoire et expliquant que la reine est jalouse de la beauté de Blanche-Neige. Ici, le livre est remplacé par un joli travail d’animation de marionnettes et très vite on se rend compte que l’histoire nous est contée par la méchante reine elle-même : la volonté de décalage est clairement installée. Les raisons de la haine la reine sont aussi plus prosaïques et compréhensible dans ce film : la reine a réussi à se faire épouser par le père de Blanche-Neige afin de régner sur son royaume et son peuple ; peuple qu’elle affame pour financer ses fêtes et son besoin de luxe et, pour assurer sa domination, elle enferme Blanche-Neige dans le château et lui interdit d’en sortir. Mais Blanche-Neige finit par apprendre le sort de son peuple et menace la reine de la destituer ; la volonté de la reine de supprimer Blanche-Neige a alors plus à voir avec une volonté de pouvoir qu’avec une pure rivalité féminine. Comme dans le conte de Grimm et l’adaptation de Disney, un chasseur sera chargé de l’emmener dans les bois et de la tuer mais, ému, ne le pourra pas ; comme dans les versions antérieures, Blanche-Neige rencontrera les nains mais ceux-ci ne sont pas des travailleurs de la mine mais des brigands de grand chemin qui n’hésitent pas à dépouiller les « grands » qui les ont chassés du village. A partir de là, le film ne doit plus grand-chose à la version Disney : Blanche-neige, jouée par Lilly Collins (la fille de Phil Collins) est, avec ses faux airs d’Audrey Hepburn, une battante douée pour le maniement des armes, bien loin de l’héroïne un peu bêtasse qui parle aux animaux chez Disney. Le prince est un benêt sympathique, objet de la rivalité de Blanche-Neige et de sa belle-mère. Ajoutez à ça des décors kitsch à souhait, de bons effets spéciaux (notamment de très beaux guerriers en bois), de belles inventions comme des échasses hydrauliques et vous obtenez un film kitsch, sans réelle prétention, mais bien agréable à suivre.

 

Blanche-Neige et le chasseurde Rupert Sanders

Autant la version de Arsem Singh est ludique et enjouée, autant celle de Rupert Sanders  se veut sombre. La manière dont le film est construit et filmé n’est pas sans rappeler les films de chevaliers des années 1950 (ce qui ne manque pas de charme) et il faut ajouter à cela la splendeur des images et la qualité des effets spéciaux. L’ambiance générale est vraiment noire : la méchante reine (interprétée par Charlize Theron) ne conserve sa beauté qu’en se nourrissant de la vitalité des jeunes gens et jeunes filles de son royaume, laissant la population pauvre et désœuvrée ; la geôle dans laquelle Blanche-Neige est enfermée est sombre et puante et la « sombre forêt » qu’elle doit traverser pleine de vermines. Il y a dans cette version moins d’écarts à l’histoire d’origine des frères Grimm (et à celle de Disney) que dans la version de Singh mais le traitement est volontairement sombre et plus « adulte ». L’auteur ne manque toutefois pas de faire des clins d’œil à Disney (dans sa représentation de la « forêt sombre » et de la reine entourée de corbeaux, semblable à celle de la « belle au bois dormant »), à « Princesse Mononoké de Miyazaki « (le grand cerf et la forêt magique), voire à King-Kong (dans la rencontre entre le monstre de la forêt et Blanche-Neige). On retrouve également certains éléments propres aux mythologies comme la relation incestueuse de la Reine et de son frère (mais seulement suggérée, prix à payer pour atteindre le grand public). On se surprend d’ailleurs à regretter que le réalisateur ne soit pas allé au bout de sa logique et n’ait pas fait de ce film une œuvre qui n’aurait pas été « tout public ».

Ces deux  adaptations du conte des frères Grimm vont dans deux directions différentes. Le film de Singh approfondit la veine « conte pour enfants » développée par Disney tout en le modernisant et en lui faisant quelques infidélités. Le film de Sanders, lui, retrouve la vérité des contes d’origine qui n’étaient certainement pas des « contes pour enfants » mais des récits sombres et cruels que l’on racontait lors des veillées et en cela, il s’éloigne de la « version Disney ». Mais chercher à pointer les fidélités et infidélités à l’égard du conte des frères Grimm, ce serait se tromper sur la réalité des contes. Blanche- Neige, il faut le rappeler, n’est pas une création des frères Grimm. Comme Perrault auparavant, mais à la différence d’Andersen vingt ans plus tard, les frères Grimm n’ont pas écrit de contes. Les frères  Grimm, Jacob (1785-1863) et Wilhelm (1786-1859), ne sont pas des conteurs mais des philologues qui ont fait du conte un véritable objet scientifique en établissant des méthodes d’analyse qui s’imposeront pour les décennies suivantes. Pour cela, ils récolteront, avec l’aide d’une douzaine d’informateurs, les contes tels qu’ils se disaient dans les diverses veillées et en fourniront une version « standard » censée faire la synthèse entre les multiples versions que l’on trouvait alors. D’autres avaient fait ce travail de collecte avant eux dont le plus connu est bien sûr Charles Perrault (1691) mais on peut citer également madame d’Aulnoy (1698) ou mademoiselle Lhéritier (1705). L’objectif était alors de divertir la cour alors que les frères Grimm, considérant que le conte est d’abord une survivance de la poésie épique, veulent retrouver l’esprit, le « génie », du peuple qui les a générés, à savoir une Allemagne qui peine alors à se constituer en nation. L’analyse des contes n’est donc pas un aimable divertissement mais un travail sérieux. On retrouve ces mêmes contes un peu partout dans le monde mais avec des variations et des emprunts mutuels divers. A l’orée du 20ème siècle, deux chercheurs, le finlandais Aarne puis, à sa suite,  l’américain Thompson établirent une classification des contes qui sert encore aujourd’hui aux chercheurs. (on peut retrouver cette classification sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_Aarne-Thompson ). Blanche-Neige correspond dans cette classification au conte-type AT 709 ce qui veut dire qu’il n’y a pas une « véritable histoire de Blanche-Neige » qui serait celle qui nous fut rapportée par les frères Grimm et assez fidèlement adaptée par Walt Disney mais que celle-ci est une version parmi d’autres. Par exemple, les spécialistes français des contes, Paul Delarue et Marie-Louise Teneze présentent dans « Le conte populaire français » une version intitulée « Angiluina », venant de Corse, dans laquelle Angiulina est détestée non par sa belle-mère mais par sa propre mère qui demande à des brigands de l’enlever et de la tuer mais les brigands, émus par sa beauté, décident de la garder chez eux. Une sorcière tentera à trois occasions de tuer Angiulina puis un prince arrivera,... Je ne raconte pas toute l’histoire mais on voit qu’il n’existe pas qu’une unique version d’un conte. Teneze et Delarue font ensuite la liste des variations possibles : par exemple, l’héroïne est jalousée par sa marâtre ou par sa mère, elle arrive dans le château de plusieurs frères ou dans le château de douze voleurs ou dans la chambre de trois dragons,... Les auteurs rappellent par ailleurs que ce conte est connu un peu partout dans le monde (ce qui est le cas de la plupart des contes), de l’Irlande à l’Asie mineure et jusqu’au centre de l’Afrique.

Ces variations sont dues au fait que les contes s’adaptent au milieu dans lesquels ils sont racontés mais aussi parce qu’ils empruntent des éléments à d’autres contes et les conteurs successifs laissent leur « patte personnelle » en ajoutant des éléments nouveaux. On voit donc qu’il n’y a pas une version unique d’un conte et que se plaindre que le Blanche-Neige d’Arsem Singh n’est pas fidèle au Blanche-neige des frères Grimm, ce serait ne pas comprendre ce qu’est vraiment le conte. Ici, Blanche-Neige n’est pas cette jeune fille fragile et sans défense qu’on trouve chez Disney mais une jeune fille que sa belle-mère tente d’étouffer psychologiquement et qui parvient à acquérir des qualités de combattante (ce qui nous rapprocherait de l’image de la femme que l’on se faisait au Moyen Age, si on en croit Régine Pernoud). Il est clair que la Blanche-Neige de Disney est une femme des années 30, ce que n’est plus la Blanche Neige d’Arsem Singh. Disney est un des grands conteurs du 20ème siècle et en imposant sa marque, il a achevé le travail d’uniformisation entamé par les frères Grimm ; à toutes les versions du conte existantes dans le monde (par exemple, il a existé une soixantaine de versions de Cendrillon en Europe), les frères Grimm ont substitué une unique version. A toutes les représentations possibles que l’on a pu tirer du récit des frères Grimm, Disney a imposé une seule image, à tel point que l’on rapporte que les folkloristes se lamentaient de ne plus pouvoir retrouver des versions des contes dites durant les veillées qui ne soient sous l’emprise de l’imaginaire Disney. Le conte appartient au folklore et le folklore n’est pas une survivance, contrairement à ce que pensaient les frères Grimm. Pour Arnold Van Gennep, le folklore est une discipline scientifique qui n’étudie pas seulement les survivances mais aussi les faits naissants. Ces nouvelles versions de Blanche Neige font donc du bien au Conte en ouvrant vers de nouvelles figurations de celui-ci.

BIBLIOGRAPHIE :

- Classification Aarne-Thompson - http://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_Aarne-Thompson

- Nicole Belmont : « Paroles Païennes » -  Imago – 1986 - http://www.editions-imago.fr/listeauteur.php?recordID=19&categorie=Ethnologie,%20traditions%20populaires

Note de lecture : http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/notes-de-lecture/ethnologie-et-folklore/n-belmont-paroles-paiennes-mythes-et-folklore-ed-imago-1986.html-

- Paul Delarue et Marie-Louise Ténèze : « Le conte populaire français – Catalogue raisonné des versions de France » - Maison-Neuve et Larose – http://www.decitre.fr/livres/Le-conte-populaire-francais.aspx/9782706815720

- Disney : « Blanche-Neige » (1937)

- Frères Grimm : « Contes » - http://www.ebooksgratuits.com/pdf/grimm_contes_1.pdf 

- Olivier Piffault (dir.) : « Il était une fois les contes de fées » - Seuil – 2002.

- Paul Sébillot : « Croyances, mythes et légendes de France » - Omnibus- 2002. http://www.omnibus.tm.fr/fiche_livre.php?ean13=9782258059894

- Michèle Simonsen : « Le conte populaire français » - P.U.F. – 1981. 

Note de lecture : http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/notes-de-lecture/ethnologie-et-folklore/le-conte-populaire-francais-m-simonsen-p-u-f-199.html

- Catherine Vellay – Vallantin : « L’histoire des contes » - Fayard – 1992

 

 

 

 

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