Avengers

 AVENGERS

de Joss Whedon, basé sur les personnages créés par Jack Kirby et Stan Lee – 2012

 

Les « Vengeurs » est une équipe de super-héros dont la composition varie régulièrement. Dans ce film sont réunis Thor, Iron-Man, Captain America, Hulk, Veuve Noire et Œil de Faucon sous la conduite du colonel Nick Fury. Cette fois ci ils affrontent Loki, le demi-frère de Thor, qui décide de conquérir la Terre avec l’aide d’extra terrestres ; mais il faut pour cela qu’il puisse ouvrir un « portail » grâce au Tesseract, un cube cosmique qu’il décide donc de dérober. Le film a, semble-t-il, fait un « tabac » à sa sortie en ayant les meilleurs scores d’entrées en France en 2012 pour la première semaine d’exploitation et il battrait des records au box-office mondial. Il se situe donc à l’avant-garde des films de super-héros qui ne cessent de se succéder depuis l’aube des années 2000. Deux questions sont souvent posées par les journalistes : comment expliquer un tel succès ? Ce succès est-il durable ?

Est-il seulement possible d’y répondre ? On peut cependant essayer de fournir quelques clés. Bien sûr, on peut et on doit mettre d’abord en avant la  puissance marketing du  duo  « Disney/Marvel », Disney ayant racheté Marvel en Septembre 2009 au cours d’une OPA (Offre Publique d’Achat) ce qui lui a permis de mettre la main sur un catalogue de 5000 personnages (certains de mes élèves se rappellent peut-être avoir travaillé sur cette question en cours. Pour mémoire, le dossier utilisé à l’époque est là : http://s2.e-monsite.com/2010/01/19/6345821dossier-marvel-seconde-pdf-pdf.pdf). On peut tenir également compte du fait que les progrès de l’informatique permettent de proposer des effets spéciaux qui rendent crédibles les exploits des super-héros, ce qui n’était pas le cas pour les tentatives faites avant les années 1980, comme on peut le voir avec « Superman et les nains de l’enfer » (1951) ou avec les adaptations de Spiderman du milieu des années 1970. Une solution a alors été de jouer sur l’humour et le décalage comme avec les adaptations de Batman des années 1960 qu’on peut toujours regarder avec plaisir.

Mais si on veut comprendre le succès actuel des films de super-héros, il faut remonter aux premières vraies réussites cinématographiques : le Superman de Richard Donner (1978) et surtout les Batman de Tim Burton au tournant des années 1990 (mais faut il attribuer leur succès au personnage du super héros ou au talent de Tim Burton ?). Cependant, le vrai démarrage aura lieu en 2000 avec la première adaptation des X-Men (encore un groupe de super-héros). A partir de là, on aura droit à plusieurs adaptations par an, soit près d’une trentaine de films en tout et près d’une vingtaine à prévoir d‘ici 2015. Encore ne parle-t-on que des adaptations Marvel car l’univers des super-héros est dominé par deux groupes : d’une part, DC (« Detective Comics »), le plus ancien qui est propriétaire de Superman, Batman, Green Lantern, Flash,... d’autre part, Marvel, arrivé plus tard sur le marché mais qui a créé la plupart des Super Héros connus aujourd’hui (Thor, Hulk, Spiderman, quatre fantastiques, X-Men,...).

Cependant ce succès ne s’explique probablement pas seulement par ces données; il est probable qu’il faille en chercher la source dans les bandes dessinées (les « comics ») d’origine. A ce titre, on distingue deux « âges » essentiels des comics de super-héros. Le premier âge, qui va de 1938 à 1945-50, est dominé par les super-héros DC (Superman, Batman, Flash,...) mais Marvel est aussi présent (sous le nom de Timely) avec, notamment, Captain America. Ces super-héros sont non seulement invincibles et munis de superpouvoirs (à l’exception de Batman) mais ils sont surtout porteurs de valeurs positives et ont un moral inébranlable. On comprend alors que leur première mission est de combattre les vilains et, notamment, les nazis (captain america a été d’ailleurs créé pour cela). Puis les super-héros disparaissent peu à peu ; peut-être parcequ’ils ne sont plus à la mode ou qu’il n’y a plus de nazis à combattre (cependant Thor et Iron-Man se retourneront plus tard contre les communistes) ; peut être aussi parce qu’ils sont accusés de tous les maux par le psychologue Fréderic Wertham qui entame une campagne contre eux, en accusant notamment Superman d’inciter au racisme (N.B. : mon collègue Xavier Fournier, rédacteur en chef de la revue « comic Box » vient de trouver mieux : les auteurs d’un pamphlet français accusant au début des années 1950 Tarzan d’avoir incité un jeune garçon de 12 ans à commettre un meurtre). Mais à partir de 1963 il se produira une formidable renaissance. En effet, entre 1961 et 1963, Stan Lee, Jack Kirby et Steve Ditko créèrent pour le compte de Marvel les personnages des quatre fantastiques, Daredevil, Spiderman, X-Men, Thor, Dr Strange, etc,... Ce sont ces super-héros qui font les succès actuels des films Marvel et c’est probablement dans ces personnages de papier qu’il faut chercher les sources de l’engouement actuel. Qu’est ce qui les caractérise et les différencie des super héros de la période précédente ? Ils ont, bien entendu, des super pouvoirs (pour la plupart) mais ces super pouvoirs, à la fois « techniques » et magiques, reflètent bien les craintes liées à la science qui se développent alors : alors que Captain America fut, en 1940, le produit d’une expérience scientifique, ils sont en général, dans les années 1960, la conséquence d’un accident (en général lié à la radio activité) ; la science n’est plus bienveillante, elle peut être dangereuse. Mais Stan Lee a surtout voulu faire des super-héros ressemblant moins à des demi dieux que leurs prédécesseurs et plus proches des humains ; il a donc développé ce qui concerne leur vie privée (les amours difficiles de Peter Parker/Spiderman sont très représentatives de ce fait) et les a rendus fragiles. Il est remarquable de vérifier que les super-héros sont pour la plupart des handicapés physiques (Daredevil est aveugle, Iron Man est cardiaque,...) ou des exclus sociaux à l’instar de Peter Parker qui n’arrive pas à se faire accepter par les autres adolescents. Enfin, le super-héros doit gérer au moins deux identités, son identité civile et son identité de super héros, ce qui complique singulièrement sa vie, et doit parfois se débrouiller avec un passé douloureux (comme Peter Parker qui n’a pas su sauver son oncle d’un assassin). Tous ces éléments existaient en germe chez Superman mais ils ont été nettement développé chez les personnages Marvel et ceux-ci vont probablement se trouver « en phase » avec les questionnements des années 1960. Durant ces années nous assistons à une montée de la question de l’identité individuelle : contrairement au début du 20ème siècle où dominait une identité nationale, dans les années 1960, on commence à revendiquer de multiples identités : français, jeunes, étudiant, etc... (liste non exhaustive) ; la question des identités multiples devient donc cruciale. Cette question des identités est également au cœur de l’adolescence, l’âge où on n’est plus enfant mais pas encore adulte. Il est évident que les atermoiements de Peter Parker correspondent aux questionnements des nombreux baby boomers qui atteignaient alors l’âge de l’adolescence. Mais les récits de super Héros empruntent aussi aux récits plus anciens tels que les mythologies ou les contes. Tous les lecteurs ont clairement vu, par exemple, que l’arrivée de Superman sur Terre est un décalque de l’histoire de Moïse. De même, les soubassements mythologiques sont nombreux dans les récits Marvel avec, je crois, une préférence pour la mythologie scandinave. C’est en tout cas très net dans le film « Avengers » qui confronte les deux frères ennemis que sont Thor et Loki (deux dieux du panthéon nordique) et le combat final du film n’est pas sans rappeler le Ragnarok (également improprement appelé « Crépuscule des Dieux »).

Finalement, cela fait que le film de super-héros est en train de prendre une place occupée autrefois par les Peplum et les Westerns (et est de ce point de vue en « lutte » avec les Space-Opera du type « Starwars »), lesquels Péplum et Western remplissaient aussi une fonction de discours « mythique ». Voila ce qui a probablement fait le succès des super –héros dans les années 1960 aux Etats-Unis (le succès est venu plus tard en France) mais à l’exception du soubassement mythologique, ces éléments sont peu présents dans les films : certes dans Avengers, il y a de rapides allusions au passé de la veuve noire ou aux difficultés de maitrise de soi de Huk mais on n’insiste pas là dessus. Si je ne peux expliquer le succès actuel des films, il me semble qu’on peut déjà détecter ce qui pourrait provoquer leur déclin : les années passant, le spectateur risque fort de se lasser des super pouvoirs, des effets spéciaux et des grosses bagarres et il aura besoin de s’attacher aux personnages et à leurs faiblesses or c’est dès maintenant que les cinéastes doivent développer ces aspects. Tous ces éléments sont plus développés dans un livre à paraitre (http://www.editions-hermann.fr/ficheproduit.php?lang=fr&menu=9&ref=Sciences+sociales+Sociologie+des+super-h%E9ros&prodid=1216 ) dont  je parle ici (http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Bruce-Toussaint/Videos/Les-supers-heros-1066251/ ). Et si les super-héros vous intéressent, je vous conseille un des meilleurs spécialistes français : http://www.comicbox.com/, notamment les « oldies but goodies » : http://www.comicbox.com/index.php/articles/oldies-but-goodies-action-comics-252-mai-1959/

 

 

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