L’HÉRÉDITÉ COMME ON NE VOUS L’A JAMAIS RACONTÉE

L’HÉRÉDITÉ COMME ON NE VOUS L’A JAMAIS RACONTÉE

Antoine DANCHIN

Humensciences – 2021

(Note de lecture par Thierry Rogel)

Depuis le 19ème siècle la question de l’évolution du vivant et de l’hérédité occupent une place essentielle dans les sciences du vivant mais aussi, dans une moindre mesure, dans les sciences humaines et sociales. Cette question s’est imposée dès le milieu du 20ème siècle sous l’image de la « Théorie synthétique de l’évolution » (ou, selon les termes de Danchin, « Synthèse Moderne de l’Évolution »)qui a permis de nombreuses avancées mais qui, comme toute théorie hégémonique, peut aussi entraver le développement de cheminements moins orthodoxes. Étienne Danchin, spécialiste de l’évolution du comportement et de l’hérédité non génétique, propose dans ce livre d’enrichir et de dépasser cette Grande Théorie et offre des perspectives qui peuvent être utiles à la réflexion en sciences sociales.

 

La Théorie synthétique de l’évolution

Au milieu du 20ème siècle s’est imposée une conception de l’hérédité et de l’évolution bien spécifique, la « Théorie synthétique de l’évolution ». Celle-ci provient de la conjonction de trois types de travaux

L’hérédité (si on passe sur son sens premier de transmission des biens entre générations) renvoie aux ressemblances entre « parents » et « enfants ». Avant Darwin on retenait deux mécanismes essentiels de l’évolution :

+ L’hérédité des caractères acquis (habituellement attribuée à Lamarck mais que Darwin a pu retenir à l’occasion)

+ L’évolution par sélection naturelle qu’on attribue à Darwin.

Cette dernière, qui va s’imposer, repose sur trois éléments essentiels : les mutations au hasard touchant les organismes ; la sélection dès lors qu’elle favorise l’adaptation à l’environnement ; enfin, la transmission de cette mutation à la génération suivante (hérédité).

Quelques années après la parution de l’ouvrage de Darwin, « L'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle», Gregor Mendel met en évidence que les caractères phénotypiques récessifs et dominants se transmettent d’une génération à l’autre selon des « lois » bien précises.

Un troisième élément viendra s’ajouter : la « barrière de Weissman » selon laquelle les caractéristiques acquises sont des caractéristiques des cellules somatiques qui ne peuvent donc être transmises aux générations à venir. En d’autres termes, l’environnement ne peut pas avoir d’effet sur l’hérédité si  ce n’est par la sélection des mutations génétiques avantageuses.

La « Synthèse Moderne de l’Évolution » postule donc que l’évolution se fait à partir de mutations génétiques graduelles dues au hasard ; que ces mutations sont perdues ou sauvegardées en fonction de l’adaptation à l’environnement des organismes touchés ; qu’il ne peut y avoir d’influence de l’environnement du type « hérédité des caractères acquis ».

Cette approche met donc tout l’accent sur les gènes et l’évolution ne peut être qu’à base génétique. C’est cette idée qu’Etienne Danchin entreprend de discuter.

 

La métaphore du lampadaire

Cette théorie synthétique de l’évolution a permis énormément d’avancées dans la compréhension du vivant mais, en braquant le projecteur sur la seule idée de gène, elle nous a rendu aveugles aux autres explications ^possibles. C’est la fameuse métaphore du lampadaire où un individu préfère chercher l’objet qu’il a perdu sous le lampadaire qui éclaire la rue et non dans le coin sombre où il l’a effectivement perdu.

Danchin indique d’abord que  la conception du gène généralement admise est en réalité double, composée d’une conception pré ADN et d’une conception post ADN (en effet, la découverte de l’ADN puis celle de sa configuration en double hélice ont engendré de vrais bouleversements dans notre conception du vivant). Dans la première conception, antérieure à 1950, le gène désignait simplement « ce qui est transmis de parents à enfants, conduisant ces derniers à ressembler à leurs parents ». Dans la conception « post ADN », le gène va être défini comme « une séquence de bases azotées contenu dans l’ADN », définition qui change de la définition précédente où le gène désignait seulement un support supposé de l’hérédité. Cette coneption « Pots-Adn » va amener à la prédominance de la « chaine classique » que Danchin nomme « évolution «séquencique » pour laquelle un gène permet de coder une protéine qui forme un phénotype ; une chaine simple et linéaire.

Mais il y a une confusion constante entre ces deux conceptions du gène (la conception « pré ADN »et la conception « post ADN ») qui peut amener à des erreurs quand, par exemple, nous parlons de « maladie génétique ». Le terme « maladie génétique » peut désigner trois réalités différentes : une maladie héréditaire (transmise de parent à enfants) ; une maladie associée à une mutation ; une maladie associée à un gène.

On met donc l’accent exclusivement sur le gène et,  rappelons le, cette vision exclusive de l’hérédité amène à ignorer d’autres supports possibles de l’hérédité. C’est ces autres supports que Danchin propose de réintégrer dans l’analyse de l’évolution en développant une « Synthèse Inclusive de l’Évolution ». Il s’agit de prendre en compte toutes les formes d’informations transmises entre générations qui affectent la ressemblance « parents-enfants ».

 

Hérédité épigénétique

L’épigénétique aborde l’étude des changements d’expression des gènes qui ne seraient pas dus à une variation dans la séquence nucléotidique de l’ADN et qui sont transmis entre générations de cellules ou entre générations d’organismes, donc des changements non dus à des mutations des bases azotées. Il s’agit d’après Danchin d’étudier les modifications de la structure 3D de l’ADN. Dans ce cas, l’environnement peut avoir un effet sur ces structures ; la barrière de Weissman est donc moins étanche qu’on ne le pensait. L’auteur cite un certain nombre d’expériences où une modification expérimentale de l’environnement induit une modification de l’information transmise sur plusieurs générations. Par exemple, dans le cas d’expérimentations sur des souris, on a fabriqué expérimentalement une situation de négligence des mères à l’égard de leur progéniture et on s’est aperçu que cela impacte les gènes des filles et se transmet à la descendance. De même en associant une odeur à un stress on a créé une situation de peur chez des souris et les descendants des première et deuxième génération éprouvaient du stress face à l’odeur sans avoir été soumises au protocole expérimental. Mais quand, par ma suite, on soumet les descendants à cette même odeur sans l’associer à un stress, l’effet de peur finit par disparaitre. Cela montre l’aspect réversible de l’hérédité épigénétique (contrairement à l’hérédité génétique qui est irréversible).

De même certains travaux sur des rats semblent montrer que les effets de la pollution pourraient se transmettre génétiquement sur quatre générations. Étienne Danchin suppose également la possibilité de transmission génétique d’une obésité acquise par une mauvaise hygiène de vie via de petits ARN. Et de nombreuses expériences montreraient des cas de transmission de phénotypes acquis via les gènes, effets d’un régime alimentaire, stress mental, molécules chimiques, absence d’exercice physique ou alcoolisme.

 

Hérédité culturelle

L’étude de l’hérédité culturelle s’est déroulée de manière parallèle à l’étude de l’hérédité épigénétique.

Danchin retient cinq critères pour définir la Culture :

+ Un trait phénotypique est appris par « copiage » ou imitation

+ Ce trait est transmis entre les classes d’âge et persiste au cours du temps.

+ Le trait doit être mémorisé suffisamment longtemps pour être copié

+ Dans le cas du « copiage », l’apprentissage social doit porter sur une caractéristique de l’individu et non sur l’individu lui-même.

+ L’apprentissage social doit être conformiste mais permet le maintien des alternatives à une faible fréquence.

Ces cinq critères doivent normalement permettre l’émergence de traditions.

Mais contrairement à la transmission génétique qui se fait verticalement, la transmission culturelle peut se faire horizontalement, « obliquement », entre individus de même âge mais de lignées différentes.

De plus en plus, on accumule les observations de terrain sur l’existence d’une culture animale. Les exemples les plus connus sont ceux des mésanges qui ont appris à percé les opercules de bouteilles de lait et l’ont transmis aux autres membres de l’espèce ou celui des macaques qui ont appris le lavage des patates et se sont transmis cette technique. Danchin a également mis au point une expérience qui permet de favoriser les mâles d’une certaine couleur dans une population de drosophiles et de faire en sorte que cette préférence se transmettre dans les générations suivantes. Cette transmission culturelle peut affecter les comportements mais également les phénotypes physiques comme la morphologie via l’alimentation.

 

Enrichissement théorique

Pour comprendre l’Évolution, on ne peut donc plus s’en tenir à la seule « Synthèse Moderne de l’Évolution » basée sur la seule transmission génétique « séquencique ». Sans rejeter celle-ci, il faut maintenant prendre en compte l’hérédité épigénétique et que l’hérédité culturelle ainsi que les interactions qu’elles entretiennent. Faire intervenir des processus culturels est parfois la seule manière d’expliquer la structure génétique de certaines populations humaines (p178-179). « Ainsi, l’hérédité culturelle modifie les dynamiques évolutives à cause de la transmission horizontale qui facilite la diffusion d’un comportement au sein d’une population et change les pressions de sélection ». (Danchin p.179)

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