POUR LA SOCIOLOGIE - Et pour en finir avec une prétendue culture de l'excuse

POUR LA SOCIOLOGIE

ET POUR EN FINIR AVEC UNE PRETENDUE « CULTURE DE L’EXCUSE »

Bernard LAHIRE – LA DECOUVERTE – 2016

 

2016 : Bernard Lahire publie ce livre à la suite de la parution de « Malaise dans l’inculture » de Philippe Val fustigeant le « sociologisme » et des propos de Manuel Valls sur la « culture sociologique de l’excuse ». Selon Val et d’autres auteurs, la sociologie, dédouanerait les individus de leur responsabilité en mettant en avant les déterminismes sociaux. Selon celle-ci les  incivilités, l’échec scolaire ou la délinquance seraient à mettre exclusivement au compte des conditions de vie ou de l’origine sociale. Ce discours est porté principalement par des hommes politiques mais aussi par beaucoup de journalistes et par un certain nombre d’intellectuels (dont certains sociologues). Face à cette présentation partielle et dévoyée de la sociologie, Lahire entreprend de remettre la réalité sur ses pieds. Pour lui, la fonction première de la sociologie est de mettre en lumière les multiples formes de déterminismes sociaux dans lesquels l’individu est pris et dont il n’est pas toujours conscient mais cela n’implique pas de déresponsabiliser l’individu car penser cela c’est confondre deux ordres de discours : le discours de la science (positif) qui cherche à dégager les causes , parfois complexes et lointaines, d’une action et le discours du Droit qui cherche à établir les responsabilités d’un acte.

Lahire conseille d’ailleurs à ceux qui répugnent à ouvrir un livre de sociologie de se lancer dans la lecture des Maigret de Simenon qui lui semblent être une bonne illustration de la démarche du sociologue : le travail de Maigret ne consiste pas à juger l’auteur d’un acte délinquant mais à le découvrir à travers l’analyse du contexte social dans lequel celuici agit et des raisons qui l’animent. Comme l’indique Lahire personne ne songerait à suggérer que Maigret cherche à excuser l’acte délinquant. Lahire n’a alors pas de mal à rappeler que le héros de Simenon ne juge pas et qu’il n’excuse pas. Il cherche l’auteur en expliquant son acte et pour cela il doit se mettre « à la place » du délinquant ou du criminel pour saisir ses intentions. Il doit donc « comprendre » (au sens sociologique » du terme) les intentions du  délinquant c’est à dire inférer par interprétation sans pour autant faire preuve de compassion ni excuser. Cette incompréhension (au sens courant du terme) de ce qu’est le travail du sociologue vient donc de la polysémie du terme « comprendre » et de la confusion des deux ordres de discours que sont la science et le Droit.

Il ne s’agit cependant pas d’éliminer l’individu de l’analyse. Ce que Lahire rejette, c’est l’idée d’un individu pleinement souverain, opérant en pleine conscience et pleine « clarté sociale ». Reprenant le concept d’habitus  à Bourdieu, il affine celui-ci en rappelant que la personnalité d’un individu est le fait des multiples expériences que celui-ci a connu au cours de sa vie, expériences parfois contradictoires mais pour lesquelles il ne faut pas s’étonner de retrouver des cohérences en fonction des groupes d’appartenance ou de référence. Lahire indique donc bien que l’individu n’est pas un automate social qui réagirait mécaniquement à un habitus homogène et que cet individu fait des choix. Mais l’analyse de ces choix doit se  faire avec la prise en compte de l’ensemble des contraintes qui s’imposent à l’individu ; des contraintes « internes » (les dispositions de l’individu relatives aux habitus multiples) et des contraintes « externes » (relatives au contexte social dans lequel l’individu agit). Il rejette donc les visions « enchantées » d’un individu « monade », sans attaches, lequel est une fiction juridique et philosophique, ainsi que la vision « naturalisée » d’un individu entièrement soumls à des déterminations innées. Lahire remet également en cause le discours commun qui ferait de la sociologie une science des groupes et des ensembles et ignorerait l’individu (il consacre une longue annexe au livre de Philippe Val qui constitue une caricature du genre). Bien au contraire, la sociologie permet d’analyser les actions individuelles et les cas statistiquement atypique en prenant en compte les réseaux de contraintes auxquels les individus sont soumis. Mieux, elle permet d’analyser relationnellement les individus ou les groupes car un individu n’existe qu’en relation avec les autres. L’individu libre est généralement perçu comme celui qui peut donner un « consentement éclairé ». Lahire  reprend la question en s’appuyant sur le cas de la prostitution. Qu’est ce que le consentement libre dans ce cas si on ignore le réseau de contraintes (plus ou moins explicites) passées et présentes qui amènent à cette situation? Il faut toujours, écrit Lahire, se demander « quel type d’individu donne son consentement  à la suite de quoi et dans quelles conditions ? »

A l’inverse, la philosophie individualiste poussée à son terme amène à considérer l’individu non seulement comme pleinement conscient de ses choix, mais , en l’absence de prise en compte des contraintes, comme pleinement responsable de son sort (c’est l’image rabâchée du « faux chômeur »). De plus, cette position amène à légitimer la position des dominants ou des favorisés qui ne devraient leur réussite qu’à leur mérite. Ces discours publics sur les « chômeurs volontaires », « les profiteurs du système »,… ont donc pour conséquence de masquer d’autres questions au moins aussi importantes (sur les mares de liberté d’action des individus, par exemple). Le rôle de la sociologie est alors de faire émerger ces autres questions.

C’est tout ce réseau de données qui fait que la sociologie est régulièrement rejetée et Lahire préconise d’enseigner la sociologie dès l’école primaire en initiant à la pratique des enquêtes et des entretiens.

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