PATRONDÉPATRON ET LE GRAND CHERCHEUR

PATRONDÉPATRON ET LE GRAND CHERCHEUR

 

2008 : dans le rapport AJE (« Association Jeunesse et entreprise »), Yvon Gattaz se plaint de la présence de la sociologie dans les programmes de sciences économiques et sociales des lycées, discipline, selon lui « trop compassionnelle » et « trop proche de la politique » mais les enseignants y ont vu d’autres intentions.

La petite saynète ci-dessous avait été écrite cinq ans plus tôt, en 2003.

Cette saynète est pure fiction : toute ressemblance avec la réalité ne serait que purement fortuite, pour un des deux protagonistes seulement.

 

 

La scène se passe en 2015 dans des bureaux administratifs.

Monsieur « patrondépatron » attend patiemment. Côté cour entre le « grand chercheur ».

 

-          PATRONDÉPATRON : « Alors, cher ami. Comment avancent vos affaires ? »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « Je suis content, content, content,.. »

 

-          PATRONDÉPATRON (émoustillé) : « Allez ! Racontez ! Ne me faites pas languir mon ami ! »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « Eh bien ! Nous arrivons enfin au bout de nos peines ! Le ministère de l’Education nous suit enfin et nous en sommes à la dernière étape de nos réformes. »

 

-          PATRONDÉPATRON : « Il était temps que ces enseignants se rendent à la réalité et comprennent enfin qu’il faut laisser tomber tous ces éléments inutiles. »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « …l’environnement, la chaîne alimentaire,…certes, tout cela est important et intéressant. Mais, franchement ! Perdre autant de temps avec l’étude de la flore et de la faune…ce n’est pas raisonnable. »

 

-          PATRONDÉPATRON : « Nous avons connu des problèmes similaires avec nos enseignants en sciences sociales : qu’allaient ils faire de la sociologie, de l’ethnologie,…que sais je encore ? »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « De la science politique ! »

 

-          PATRONDÉPATRON : « Oui ! Oui ! De la politique !  Il fallait recentrer tout cela sur ce qui est vraiment important »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR  (lui coupant la parole): « L’économie ! Vous avez parfaitement raison ! Nous avons fait de même dans notre domaine. Sauf pour ceux de nos élèves qui songeraient à se spécialiser dans la botanique ou la zoologie - mais cela ils le feront après leur baccalauréat - la connaissance de l’anatomie et de la biologie humaine est largement suffisante.

 

-          PATRONDÉPATRON : « Recentrer sur ce qui est essentiel ! Vous avez parfaitement raison.»

 

-          LE GRAND CHERCHEUR (se rengorgeant comme un coq) : « Mais nous sommes allés plus loin, cher ami. Dès aujourd’hui, l’ensemble de l’enseignement de la biologie sera recentré sur la seule étude du cerveau car qui y a-t-il de plus important que le cerveau de l’homme ? »

 

-          PATRONDÉPATRON : « Et qui y a-t-il de plus important dans la Nature que l’homme ? »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « Vous avez tout compris »

 

-          PATRONDÉPATRON (d’un air satisfait) : « Cela est fort bien, cher ami. Mais je crois que nos propres avancées sont telles que nous n’avons rien à vous envier »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « Vous m’intriguez »

 

-          PATRONDÉPATRON : « Notre démarche est similaire à la vôtre. Qu’y a-t-il de plus important dans nos sociétés que l’économie ? »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « Rien, assurément ! »

 

-          PATRONDÉPATRON : « Et qu’y a-t-il de plus important en économie que l’entreprise ? »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « Rien ! Comme le cerveau pour l’homme ».

 

-          PATRONDÉPATRON : « Comme le cerveau pour l’homme ! C’est tout à fait exact. Voilà pourquoi vos professeurs de « sciences de la vie et de la terre » - quelle appellation grotesque- devront recentrer leur enseignement sur le cerveau ».

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « Et voilà pourquoi vos professeurs de « sciences économiques et sociales » -l’appellation ne me semble pas moins grotesque- devront recentrer leur enseignement sur l’entreprise »

 

-          PATRONDÉPATRON : « Mais cela n’empêchera pas vos professeurs de présenter l’homme dans son ensemble… »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « …bien sûr, mais seulement en complément des connaissances de base. De même que vos professeurs de « sciences économiques et sociales » pourront parler des consommateurs et de l’Etat …»

 

-          PATRONDÉPATRON : « …qui n’existent que parce que l’entreprise est là, çà va de soi. »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR (professoral) : « Cela va de soi »

 

-          PATRONDÉPATRON : « …Et les vôtres pourront peut être parler de la faune et de la flore »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « …S’il reste du temps. »

 

-          PATRONDÉPATRON : « S’il reste du temps ! Evidemment ! »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « Les vôtres auront ils le loisir d’enseigner de la sociologie ? »

 

-          PATRONDÉPATRON : « Des bribes…s’ils le désirent. Et s’il leur reste du temps ! »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « S’il leur reste du temps ! Cela va de soi. Finalement, nous avons fait du bon travail, chacun dans notre domaine. »

 

-          PATRONDÉPATRON (ne pouvant s’empêcher de sourire) : « Je crois que nous sommes allés un peu plus loin que vous dans les réformes »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR (visiblement vexé) : « Je ne vois pas en quoi ! Nous avons recentré l’enseignement des sciences de la nature sur l’étude du cerveau. Vous avez recentré l’enseignement des sciences sociales sur l’étude des entreprises. Nous sommes à égalité ».

 

-          PATRONDÉPATRON : « Pas tout à fait ! Vous en êtes encore à présenter l’étude des deux cerveaux : le gauche et le droit »

 

-          LE GRAND CHERCHEUR : « Certes ! Et alors ! »

 

-          PATRONDÉPATRON : « Nous, nous n’étudions plus que le droit ».

 

Le Patrondespatrons, fier comme un paon, tourne les talons et sort de la scène.

                                   Fin de l’Acte ( ?)

 

 

Thierry Rogel

 

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